La diffusion du GHB/GHL : des décadents aux branchés

L’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies vient de publier un rapport au sujet de la drogue appelée GHB ; en voici les extraits les plus significatifs et ils valent vraiment le détour.

Non seulement parce qu’on découvre les modalités de cette drogue, mais parce que le rapport cible très précisément l’origine de celle-ci, au point qu’on croirait lire du Balzac!

De manière détaillée, le rapport explique comment cette drogue s’appuie à l’origine sur une utilisation par des gens socialement très favorisés et fréquentant des milieux décadents, en quête de sensations fortes, dans les milieux gays parisiens.

Puis, par effet de « branchitude », elle a ensuite été adoptée dans les soirées se voulant « alternatives » (par opposition aux boîtes de nuit hyper-chic ou au « Macumba »), et relevant en réalité d’une fuite dans l’auto-destruction urbaine.

Pour bien saisir l’ampleur du désastre – le GHB (ou encore GHL pour une variante) est largement présent dans les soirées parisiennes et ne coûte pratiquement rien – notons ce « témoignage » de « Sophie, 30 ans, médecin, Paris » publié par Libération.

Ce n’est ni plus ni moins qu’un éloge de cette drogue par une personne se revendiquant médecin… Normalement une telle publication serait interdite, une enquête menée, l’ordre des médecins se mettant également en branle…  Cela ne sera évidemment pas le cas, libéralisme libertaire oblige !

«Je nourris une certaine curiosité vis-à-vis des drogues, même s’il y a aussi une part de crainte.

Je n’ai jamais eu une consommation régulière de quoi que ce soit (à part l’alcool, en soirée), mais j’ai déjà essayé le cannabis, le poppers, la cocaïne, la MDMA, la kétamine…

J’ai pas mal d’amis dans le milieu gay qui prennent du GBL depuis quelque temps déjà.

On m’avait dit que ça faisait un peu plus planer que l’alcool. A l’automne dernier, lors d’une soirée, on était plusieurs à vouloir tester avant de sortir en boîte. L’important pour moi, c’est que cela se fasse dans un contexte «safe», rassurant.

En l’occurrence, j’ai une totale confiance en la personne qui m’en a proposé, qui par ailleurs maîtrise les posologies via son métier et dispose de matériel de précision pour doser. Il nous a clairement mis en garde sur l’interdiction formelle de boire de l’alcool. Je savais que le risque principal était une forte somnolence.

J’ai dilué le produit dans du soda. Une fois dans la boîte, trente minutes après la prise, j’ai senti une détente progressive, une sorte de gaîté, quelque chose d’assez doux, une exaltation, et clairement, j’étais désinhibée sur le plan sexuel.

Par contre, par habitude, j’ai commandé un verre d’alcool au bar, mais tout en surveillant d’éventuels effets indésirables. Par la suite, j’en ai repris environ trois fois, dans des soirées en appartement.

Là où l’alcool rend la vision floue, donne la gueule de bois ou des nausées le lendemain, ce n’est pas le cas du GBL. On m’en a donné, que je conserve chez moi. Peut-être que j’en reprendrai, dans un contexte de rencard, pour le côté désinhibé sexuellement, par exemple.»

Voici les extraits du rapport présentant l’avènement du GHB/GHL comme drogue « branchée ».

Le GHB (gamma-hydroxybutyrate) est une molécule utilisée dans le cadre médical comme anesthésique et dans le traitement de la narcolepsie, qui agit sur les récepteurs GABA1 comme l’alcool ou les benzodiazépines .

Il possède une double action : sédative et amnésiante. Le GHB est utilisé de manière détournée à des fins récréatives ; beaucoup plus rarement à des fins criminelles dans le cadre de tentatives de soumission chimique d’une personne par une autre (Djezzar et al., 2009).

Dans les années 1990, l’usage récréatif du GHB se développe dans les espaces festifs du courant musical électronique (Cadet-Taïrou et Gandilhon, 2009).

Par conséquent, il a été classé comme stupéfiant en France en 1999. Les effets du GHB apparaissent au bout de 15 minutes et durent de 1 heure 30 à 2 heures. À faibles doses, il a un effet relaxant, désinhibant et euphorisant.

À fortes doses, il entraîne une sédation et peut provoquer une dépression respiratoire ainsi qu’une une perte de conscience, communément appelée G-hole par les individus familiers du produit, qui peut aller jusqu’à un coma profond (de plusieurs heures à plusieurs jours) et aboutir au décès.

Cependant, jusqu’à la fin des années 2000, le GHB acquiert surtout une notoriété à travers les mises en garde des usagers des clubs et des discothèques contre la diffusion de la « drogue du viol », allusion à l’usage criminel du GHB .

Le GBL (gamma butyrolactone) est un solvant industriel précurseur du GHB c’est-à-dire qu’une fois ingéré, ce dernier est métabolisé en GHB par l’organisme.

La prise de GBL entraîne donc les mêmes effets que celle du GHB. En revanche le temps d’apparition de ses effets et leurs durées varient puisqu’ils dépendent du temps d’absorption et de métabolisation du GBL.

Ainsi, les effets apparaissent plus progressivement que ceux du GHB (30 à 45 mn) et durent un peu plus longtemps (3 à 5 h). À partir de 2006, l’usage détourné du GBL remplace progressivement celui du GHB (Cadet-Taïrou et al., 2008).

Le GBL ne fait l’objet d’aucun classement juridique du fait d’une utilisation courante dans l’industrie (comme solvant à peinture ou pour le nettoyage des jantes de voiture, par exemple).

La substitution du GHB par le GBL s’explique ainsi par son faible coût et sa facilité d’accès, malgré l’interdiction par l’État de sa cession et de sa vente au grand public en 2011, à la suite de cas d’hospitalisations occasionnés par des ingestions de GBL .

Si le nom usuel donné au produit reste le plus souvent « GHB » (Fournier et al., 2010), d’où l’emploi du terme « GHB/GBL » dans cette note, c’est actuellement le GBL qui circule et qui est consommé.

GHB et GBL exigent tous deux un dosage extrêmement précis du fait de l’écart étroit entre la dose nécessaire à l’obtention des effets recherchés et la survenue d’une perte de connaissance.

Quelques millilitres du produit sont suffisants dans le cadre d’un usage récréatif, c’est pourquoi le GBL doit théoriquement être dosé à la pipette. (…)

Au début des années 2000, le réseau d’observation TREND constate que l’usage de GHB/GBL dans le cadre de la mouvance techno est discret (Cadet-Taïrou et al., 2008 ; Costes, 2010).

La consommation de GHB/GBL est alors un phénomène bien spécifique, lié essentiellement au milieu du clubbing homosexuel8 , principalement parisien. La population concernée est masculine, plutôt restreinte et socialement bien insérée .

Les consommateurs de GHB/GBL sont des hommes appartenant à des catégories socioprofessionnelles plutôt élevées et ayant déjà consommé d’autres drogues auparavant (Bello et al., 2002 ; Bello et al., 2004).

Entre 2002 et 2005, la consommation de GHB/GBL semble s’amplifier dans les espaces festifs gays parisiens, mais reste confinée aux soirées les plus fermées au public hétérosexuel lesquelles autorisent une plus grande visibilité de la sexualité (Fournier et al., 2010). (…)

À partir du milieu des années 2000, l’usage du GHB/GBL s’étend aux espaces festifs gay et gay friendly de plusieurs métropoles régionales françaises investiguées par le dispositif TREND (Bordeaux, Lille, Toulouse et Marseille), où l’absence d’un milieu festif exclusivement homosexuel favorise le brassage entre différentes populations.

Le GHB/GBL touche ainsi, à la fin des années 2000 le public plus large des clubs et les discothèques (y compris hors de la mouvance techno). (…)

L’intensification des consommations de GHB/GBL en espace privé est également liée au développement du chemsex à la fin des années 2000, c’est-à-dire des pratiques de consommation de substances psychoactives dans le cadre de relations sexuelles organisées à domicile par une frange du milieu gay (Batisse et al., 2016 ; Milhet et Néfau, 2017). Cette tendance est accompagnée par l’émergence de nouvelles modalités de rencontres via des sites Internet et des applications mobiles géolocalisées.

Plusieurs enquêtes font état de la place centrale occupée par le GHB/GBL dans la palette des produits consommés lors de ces sessions chemsex en appartement (Fournier et al., 2010 ; Milhet et al., 2017). (…)

Depuis 2015, le produit semble connaître un nouveau cycle de diffusion vers l’espace festif commercial notamment lors des soirées gay friendly, où il est consommé par une population mixte, jeune et hétérosexuelle. Cet épisode est relativement semblable à celui survenu 10 ans plus tôt. (…)

À Paris et à Lyon, cette diffusion s’inscrit dans la tendance plus générale, également observée à Lille, Marseille ou Bordeaux, au développement d’une offre festive « alternative » dans le centre des villes.

Cette offre se traduit par l’organisation d’événements dans des salles, des clubs ou des bars proposant un éventail de musiques électroniques plus variées que les programmations des boîtes de nuit généralistes. (…)

À Paris, cet espace festif alternatif de plus en plus hybride attire ainsi différentes populations : les clubbers mélomanes séduits par la programmation musicale, les teuffeurs en quête de lieux alternatifs où la consommation de drogue est tolérée, des étudiants attirés par des prix relativement réduits, le public LGBTQ par l’ambiance LGBTQ friendly, etc. (Pfau et Péquart, à paraître).

Le site TREND lyonnais constate également une porosité croissante entre les scènes musicales commerciales généralistes et alternatives (en matière d’ambiance, de programmation) favorisant le mélange des publics et la mixité des consommations.

Dans ce contexte, la présence du GHB/GBL semble se renforcer depuis cinq ans « à toutes les étapes des nuits festives : en before, en soirée, et en after, dans les espaces collectifs de danse comme dans les espaces de sexualité » (Tissot, 2017 ; Tissot, à paraître).

C’est une faillite morale et culturelle… Cela souligne d’autant plus la nécessité d’affirmer l’identité vegan straight edge !