La mode meurtière des doudounes à duvet

Nous avions déjà parler de la marque Canada Goose, blouson utilisant des plumes des Bernaches du Canada, avec également un col en fourrure de coyote.

Malheureusement, ce qui devait arriver arriva. Symptôme de notre société entièrement tournée vers l’individualisme, la mode des beaux quartiers – une parka coûte 800 euros, grosso modo – a envahi les classes populaires.

La mode est aux Canada Goose, Moncler et autres marques portées au départ par une « élite » sociale et désormais copiées par des gens s’identifiant autant que possible à un standing social plus élevé.

Il n’y a d’ailleurs pas que Moncler et Canada Goose qui produisent ces objets de « standing », on a aussi Dior, Chanel, Bel Air, Chevignon, Rossignol qui a un partenariat avec Jean-Charles de Castelbajac, Look qui travaille avec Ludovic Alban (un ancien d’Yves Saint-Laurent et d’Hermès)… ou encore Pyrenex, une marque d’alpinistes travaillant avec Alexandre Vauthier (passé par Thierry Mugler et Jean-Paul Gaultier)…

Il y a même un modèle Canada Goose « Colette », du nom du magasin parisien ultra « hype »… Et les sites de vente pullulent, comme un petit « malin » ayant acheté doudounecanadagooseparka.com, canadagoosedoudouneebay.com, canadagoosedoudounebeige.com, etc. !

Ces parkas vendent toute l’année, et évidemment c’est d’autant plus fou que ces parkas sont faites pour ne pas avoir froid par -20° au Canada, qui n’a pas le même climat qu’en France !

Ce qui n’empêche pas ces doudounes – originales comme copies – de s’être vendues à pas moins de 2 millions exemplaires en France l’année dernière ! Ce qui a donné un chiffre d’affaires de 113 millions d’euros, avec une progression de 8 % par rapport à 2012.

Il faut bien voir que cela a une incidence directe sur un secteur de l’exploitation animale très important en France : le foie gras. Les campagnes contre le foie gras ont des limites, que nous avons déjà souligné, et ici elles affrontent une barrière gigantesque.

En effet, ces doudounes n’ont pas que des cols faits de poils arrachés aux coyotes, aux renards, aux ratons laveurs. Elles utilisent des plumes, « sous-produit » de la production de foie gras.

Plus précisément, les marques utilisent des plumes particulières, le duvet, soit entre 8 et 15 % des plumes d’origine française (représentant à peu près 12000 tonnes).

Quand une doudoune coûte moins de 50 euros, elle n’aura pas de duvet, sauf pour les modèles « light » comme le « Ultra Light Down » d’Uniqlo, qui est une sorte de veste à mettre en-dessous, qui va même exister en version chic, sous le nom de « Mademoiselle Plume » !

Et là est encore plus le problème par rapport au foie gras : le duvet le plus prisé, car le plus imperméable, est le duvet d’oie, et non pas de canard. Les doudounes les plus chères utilisent le duvet des oies.

Et vu que les riches restent riches, le marché n’est pas prêt de s’effondrer… Et c’est le double jackpot pour l’exploitation animale utilisant des oies. Foie gras + doudounes ultra-luxes, le panorama est terrible.

Pour les autres, moins riches mais voulant imiter les classes aisées, le duvet vient souvent de Chine, où les canards sont abattus à 8 semaines, contre 13 semaines en France (la « qualité » du duvet étant meilleure si le pauvre animal a davantage grandi), ou bien encore d’Europe de l’Est. Les oies sont plumées vivantes, puisqu’il n’y a souvent pas de « foie gras » de produit…

Tout cela est catastrophique et reflète une sale mentalité, où l’imitation des grands bourgeois va de pair avec exploitation animale « raffinée. »

C’est quelque chose de certainement important à comprendre, puisque c’est en France qu’on trouve cette combinaison, avec le duvet directement lié à la production de « foie gras. »

Une colonie naturiste et végétalienne en Picardie

Voici un intéressant article tiré de l’Union, journal de Picardie et des Ardennes. Il traite, brièvement, d’une colonie naturiste et végétalienne en Picardie.

C’est à Vaux, commune d’Essômes-sur-Marne, qu’eut lieu la première expérience de vie communautaire anarchiste en France, de 1902 à 1909.Elle fut suivie, en 1911, par une autre tentative, à Bascon, à 800 mètres de Vaux.

L’orientation sera légèrement différente. Il s’agit cette fois d’une colonie naturiste et végétalienne. L’un des colons, Louis Rimbault, anarchiste végétalien, y invente un véritable aliment complet composé de 34 variétés potagères, une salade qu’il appelle «La Basconnaise».

C’est surtout de 1919 à 1926 que de nombreux adeptes, de différentes nationalités, affluent à Bascon : des écrivains comme Hélène Patou et Georges Navel, la danseuse Isadora Duncan, le philosophe Han Ryner…

La colonie cesse sa pleine activité en 1931, mais continue sous forme de colonie végétarienne de vacances, centre naturiste et auberge de jeunesse « La Basconnaise » jusqu’en 1951. Un colon original, Jean Labat dit Godec, a laissé des souvenirs dans le voisinage.

Il excitait la curiosité, sur le marché de Château-Thierry, avec ses théories sur le végétalisme et la nocivité du tabac et de l’alcool.

A cause de sa barbe hirsute et de sa longue chevelure, il était surnommé « Jésus-Christ ».
(Merci à notre historien local Tony Legendre pour ses recherches.)

En France, le naturisme, tout comme le végétarisme, n’ont pas été des valeurs assumées en masse par le mouvement ouvrier, contrairement à d’autres pays, comme l’Allemagne ou l’Autriche. Mais il y a eu néanmoins des expériences, qui ont toutes été anarchistes, dans une version individualiste et communautaire à la fois.

Bien entendu, toutes ces expériences et réflexions des années 1930 étaient utopistes, individualistes, et donc forcément limitées. Nous ne pensons pas que le naturisme soit une solution en soi (ni d’ailleurs le mouvement hippie en général).

Néanmoins, nous considérons qu’il faut connaître ces expériences et les considérer comme relevant de notre propre passé… A condition évidemment de considérer le véganisme comme quelque chose de forcément populaire.

Nous reparlerons d’ailleurs bientôt de « l’Union de lutte socialiste internationale », qui luttait en Allemagne durant les années 1930, assumant ouvertement le végétarisme et le refus de l’exploitation animale (ainsi que de l’alcool), et qui a été une forte structure de résistance sous la dictature nazie.

Soulignons également que ce n’est certainement pas pour rien que les personnes vegan straight edge en France viennent de milieux populaires, et qu’il n’y a que les personnes provenant de couches sociales aisées ou au moins disposant d’un certain confort matériel pour sauter au plafond dès qu’on parle de « Gaïa. »

Dans les milieux populaires, il est très net que le raisonnement suivant prédomine: ce que l’on fait à la planète, cela ne se fait pas!

Et il n’est pas un hasard non plus que le mouvement pour la libération animale est le seul où les femmes ont un rôle prédominant. Citons ici deux femmes témoignant de ce regard nouveau et nécessaire: Louise Michel (figure du mouvement anarchiste) et Rosa Luxemburg (figure du mouvement communiste)…

Deux passages magnifiques, démonstration à la fois de la sensibilité et du style de pensée qu’il faut vivre pour avancer dans la lutte pour la libération totale:

Au fond de ma révolte contre les forts, je trouve du plus loin qu’il me souvienne l’horreur des tortures infligées aux bêtes.

Depuis la grenouille que les paysans coupent en deux, laissant se traîner au soleil la moitié supérieure, les yeux horriblement sortis, les bras tremblants cherchant à s’enfouir sous la terre, jusqu’à l’oie dont on cloue les pattes, jusqu’au cheval qu’on fait épuiser par les sangsues ou fouiller par les cornes des taureaux, la bête subit, lamentable, le supplice infligé par l’homme.

Et plus l’homme est féroce envers la bête, plus il est rampant devant les hommes qui le dominent.

Louise MICHEL, Mémoires

Ah! ma petite Sonia, j’ai éprouvé ici une douleur aiguë.

Dans la cour où je me promène arrivent tous les jours des véhicules militaires bondés de sacs, de vielles vareuses de soldats et de chemises souvent tachées de sang…

On les décharge ici avant de les répartir dans les cellules où les prisonnières les raccommodent, puis on les recharge sur la voiture pour les livrer à l’armée.

Il y a quelques jours arriva un de ces véhicules tiré non par des chevaux, mais par des buffles.

C’était la première fois que je voyais ces animaux de près.

Leur carrure est plus puissante et plus large que celle de nos boeufs ; ils ont le crâne aplati et des cornes recourbées et basses ; ce qui fait ressembler leur tête toute noire avec deux grands yeux doux plutôt à celle des moutons de chez nous.

Il sont originaires de Roumanie et constituent un butin de guerre…

Les soldats qui conduisent l’attelage racontent qu’il a été très difficile de capturer ces animaux qui vivaient à l’état sauvage et plus difficile encore de les dresser à traîner des fardeaux.

Ces bêtes habituées à vivre en liberté, on les a terriblement maltraitées jusqu’à ce qu’elles comprennent qu’elles ont perdu la guerre : l’expression vae victis s’applique même à ces animaux… une centaine de ces bêtes se trouveraient en ce moment rien qu’à Breslau.

En plus des coups, eux qui étaient habitués aux grasses pâtures de Roumanie n’ ont pour nourriture que du fourrage de mauvaise qualité et en quantité tout à fait insuffisante.

On les fait travailler sans répit, on leur fait traîner toutes sortes de chariots et à ce régime ils ne font pas long feu.

Il y a quelques jours, donc, un de ces véhicules chargés de sacs entra dans la cour.

Le chargement était si lourd et il y avait tant de sacs empilés que les buffles n’arrivaient pas à franchir le seuil du porche.

Le soldat qui les accompagnait, un type brutal, se mit à les frapper si violemment du manche de son fouet que la gardienne de prison indignée lui demanda s’il n’avait pas pitié des bêtes.

Et nous autres, qui donc a pitié de nous? répondit-il, un sourire mauvais aux lèvres, sur quoi il se remit à taper de plus belle…

Enfin les bêtes donnèrent un coup de collier et réussirent à franchir l’obstacle, mais l’une d’elle saignait… Sonitchka, chez le buffle l’épaisseur du cuir est devenue proverbiale, et pourtant la peau avait éclaté. Pendant qu’on déchargeait la voiture, les bêtes restaient immobiles, totalement épuisées, et l’un des buffles, celui qui saignait, regardait droit devant lui avec, sur son visage sombre et ses yeux noirs et doux, un air d’enfant en pleurs.

C’était exactement l’expression d’un enfant qu’on vient de punir durement et qui ne sait pour quel motif et pourquoi, qui ne sait comment échapper à la souffrance et à cette force brutale…

J’étais devant lui, l’animal me regardait, les larmes coulaient de mes yeux, c’étaient ses larmes.

Il n’est pas possible, devant la douleur d’un frère chéri, d’être secouée de sanglots plus douloureux que je ne l’étais dans mon impuissance devant cette souffrance muette.

Qu’ils étaient loin les pâturages de Roumanie, ces pâturages verts, gras et libres, qu’ils étaient inaccessibles, perdus à jamais.

Comme là-bas tout – le soleil levant, les beaux cris des oiseaux ou l’appel mélodieux des pâtres – comme tout était différent.

Et ici cette ville étrangère, horrible, l’étable étouffante, le foin écoeurant et moisi mélangé de paille pourrie, ces hommes inconnus et terribles et les coups, le sang ruisselant de la plaie ouverte…

Oh mon pauvre buffle, mon pauvre frère bien-aimé, nous sommes là tous deux aussi impuissants, aussi hébétés l’un que l’autre, et notre peine, notre impuissance, notre nostalgie font de nous un seul être.

Pendant ce temps, les prisonniers s’affairaient autour du chariot, déchargeant de lourds ballots et les portant dans le bâtiment.

Quant au soldat, il enfonça les deux mains dans les poches de son pantalon, se mit à arpenter la cour à grandes enjambées, un sourire aux lèvres, en sifflotant une rengaine qui traîne les rues.

Et devant mes yeux je vis passer la guerre dans toute sa splendeur…

Rosa LUXEMBOURG, Écrits de prison