Du rififi chez le Réseau Sortir du nucléaire

Nous publions régulièrement les communiqués du Réseau Sortir du Nucléaire, parce que nous les considérons comme très intéressants, aussi est-il inévitable de présenter l’actuel rififi qui s’y déroule.

Car ce rififi est ô combien révélateur des problèmes auxquels on est confronté quand on veut lutter pour Gaïa, ou plus exactement quand on ne veut pas.

Expliquons-nous: le principal porte-parole du Réseau Sortir du nucléaire a été débarqué de sa fonction.

Cela faisait en fait plusieurs mois que ce réseau de plus de 800 associations est tiraillé par un conflit  entre une partie de la direction du mouvement, regroupée autour du directeur du réseau, Philippe Brousse et une autre, regroupée justement autour de ce porte-parole, Stéphane Lhomme.

Stéphane Lhomme qui était d’ailleurs porte-parole depuis huit ans et dont les médias ont souvent parlé, notamment lors de sa mise en garde à vue par le contre-espionnage français en mai 2006 et en mars 2008 pour s’être fourni un document classé «confidentiel défense» expliquant que le réacteur nucléaire de troisième génération EPR ne résisterait pas au crash d’un avion de ligne.

Lhomme était accusé de « compromission du secret de la défense nationale » mais finalement la procédure a été classé sans suite l’année dernière.

On notera par contre et d’ailleurs qu’il y a quelques jours, on pouvait lire dans le Canard enchaîné que depuis 2006 justement  Lhomme était « espionné »  par une entreprise suisse nommée Securewyse travaillant pour EDF!

Alors pourquoi Lhomme a-t-il été éjecté?

Il faut en fait savoir que le Réseau Sortir du Nucléaire est une grosse structure, qui s’est construite à partir des restes de la défaite du mouvement anti-nucléaire de la fin des années 1970.

Le réseau s’est fondé à la fin janvier 1998, regroupant des associations… mais également des structures politiques. Il s’agit en quelque sorte d’une sorte de lobby anti-nucléaire mi-associatif mi-politique.

Seulement voilà: avec le réchauffement climatique et le renforcement de la conscience écologiste, les rapports de force se modifient.

Auparavant, les choses étaient simples: la France était totalement dominée par le lobby du nucléaire, et cela même malgré Tchernobyl!

Notons au passage pour la culture générale que le fameux « le nuage de Tchernobyl s’est arrêté aux frontières »… n’a en fait jamais été dit, ou tout au moins pas comme cela.

La personne qui est censée avoir prononcé cette phrase, le professeur Pellerin alors Directeur du Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants, a toujours nié l’avoir dite et a gagné tous ses procès en diffamation.

Ce qui s’est passé, par contre, c’est que le ministère de l’agriculture avait publié le 6 mai un communiqué contradictoire expliquant d’un côté:

« Le territoire français, en raison de son éloignement, a été totalement épargné par les retombée de radionuclides consécutives à l’accident de la centrale de Tchernobyl. »

tout en disant de l’autre:

« A aucun moment les hausses de radioactivité observées n’ont posé le moindre problème d’hygiène publique. »

Ce qui contredit évidemment le passage précèdent!

Ce n’est donc en tout cas que bien après Tchernobyl que s’est monté le Réseau Sortir du Nucléaire, au point d’être devenu une structure du type entreprise, avec 12 salariés et un million d’euros de budget annuel.

En pratique, cela signifie que Stéphane Lhomme a été licencié (et a priori sans indemnités) par le petit conseil d’administration, comme dit plus haut en raison du conflit entre deux groupes, et officiellement en raison de « plusieurs manquements graves au droit du travail et à ses fonctions. »

Alors, que représente ces deux groupes? En fait, ils représentent deux versions de l’écologie non radicale, même si l’une va plus loin que l’autre. Et tout cela se lit très bien quand on voit les participants au Réseau Sortir du Nucléaire, qui sont de trois types.

Il y a déjà les associations, qui forment le noyau dur; elles sont de niveau national ou bien simplement local (les Amis de la Terre-France, Agir pour l’Environnement, Stop Golfech, Tchernoblaye, Médiane, Sortir du nucléaire Ardennes, Collectif sortir du nucléaire Sud Aveyron, etc.).

Il y a ensuite les politiques, avec les anarchistes (Alternative Libertaire, la Fédération Anarchiste) et la social-démocratie de type « branchée » (Mouvement des Jeunes Socialistes, les Verts, le NPA, les Alternatifs…).

Et enfin, il y a… des entreprises, actives dans les énergies renouvelables, l’agriculture biologique, ou bien commerçantes (comme Biocoop).

Tout cela fait qu’il y a une forte tendance à s’institutionnaliser, car politiquement l’écologie commence à être porteuse et qu’il faudrait donc savoir assouplir ses positions.

Greenpeace est ainsi sorti du Réseau du Nucléaire à la fin 2007 parce qu’elle voulait participer au Grenelle de l’environnement, alors que dès le départ il avait été dit que le nucléaire ne serait pas remis en cause, ce qui a fait que le Réseau avait refusé toute participation.

Mais assumer une telle position était déjà trop radical, à moins d’assumer une position comme nous nous l’assumons de notre côté: la Terre d’abord!

Ce qui fait que la pression a grandi et a donc amené le débarquement de Stéphane Lhomme, qui représentait le courant partisan de la ligne « dure » au sein du Réseau.
En fait de ligne « dure » il faudrait plutôt dire que c’est la défaite de l’influence des politiques et le triomphe de ceux qui voudraient que le Réseau Sortir du Nucléaire s’institutionnalise davantage, un peu à la manière de la Fondation Nicolas Hulot, en quelque sorte.

Ce qui évidemment ne sera absolument pas pour déplaire aux Verts, qui verront leur influence culturelle grandir… Et qui de toute manière, avec « Europe Ecologie » seront clairement prêts à accepter le nucléaire, comme le fait déjà ouvertement Yann-Arthus Bertrand (qui prétend vouloir s’en passer, tout en expliquant en même temps qu’on ne peut pas).

Et l’on notera d’ailleurs que la problématique n’est pas récente, mais date du début du Réseau Sortir du Nucléaire. Ainsi, il n’avait jamais été décidé s’il fallait revendiquer une sortie du nucléaire rapide ou non.

Ce qui fait qu’il était simplement demandé une « décision immédiate de sortie du nucléaire. »

C’est cette ambiguïté qui fait qu’avec l’actualité écologiste, il y a des espaces pour ceux qui considèrent qu’il faut profiter tout de même du nucléaire qui serait « propre » en attendant mieux, ou encore qu’il faut une sortie échelonnée sur du très long terme, etc.

Et comme quoi dans tous les cas, il y aurait le temps de discuter, etc.

Il existe d’ailleurs deux sites (ici et , avec également une pétition) de soutien à Stéphane Lhomme, et l’on ne peut être que frappé du caractère non écologiste des arguments mis en avant (ce qui est d’ailleurs exactement pareil dans le communiqué du NPA à ce sujet).

La lutte entre les deux tendances n’est pas expliquée, ni évidemment son contenu et ce n’est pas pour rien: il faudrait un saut qualitatif et assumer la libération de la Terre.

Car entre les ONG et la libération de la Terre, il n’y a pas d’espace: soit on est une partie du problème, soit on est une partie de la solution!

Ellul et la critique chrétienne conservatrice et romantique de la technique

Voici un article sur Jacques Ellul, article également présent dans nos archives culturelles. Au sens strict, Jacques Ellul n’a aucun rapport avec l’écologie radicale ni le véganisme, il n’a aucun lien avec la libération animale ni la libération de la Terre.

Mais, pour diverses raisons, ce théologien est présenté comme une figure de l’écologie politique!

Une chose absolument intolérable, qu’il fallait donc critiquer, au prix du terrible ennui qu’a été d’affronter cet austère religieux expert en droit, qui fait l’apologie du passé notamment le Moyen Âge et son culte de la tradition, dans une sorte de grand élan romantique…

Pour voir à quoi ressemble le personnage et son univers (jusqu’à l’insupportable musique), il y a également une longue interview vidéo en ligne ici.

C’est dommage de consacrer du temps à cela, mais il faut bien se confronter à cela alors que l’écologie devient une sorte de mode, une sorte de fourre-tout prétexte à tout et n’importe quoi, au détriment évidemment des animaux et de Gaïa.

Dans les années 1930, le fascisme s’est beaucoup développé sur le plan des idées, et en France il y a eu tout un courant plus ou moins chrétien qui a tenté de développer de la même manière des « idées nouvelles », une « troisième voie » entre capitalisme et communisme.

On a qualifié les théoriciens de ce courant les « non conformistes », Jacques Ellul (1912-1994) était de ceux-là. On retrouve donc chez Ellul des préoccupations philosophiques du même type (et ce sont celles du pétainisme): la question de la ruralité faisant face au développement des villes et des techniques, avec l’apologie de petits groupes autogérés liés à la terre.

Tout comme beaucoup de non conformistes, Ellul finira par participer à la résistance gaulliste. Si la page wikipédia en anglais qui lui est consacré le présente comme ayant été un de ses « leaders », une biographie plus sérieuse dit : « c’est dans le petit village de Martres (Gironde) qu’il participe à la Résistance où il se livre à l’agriculture pour nourrir sa famille. Il avouera avoir tiré autant de fierté d’avoir récolté sa première tonne de pommes de terre que d’avoir obtenu son agrégation de droit romain (1943). »

C’est alors au lendemain de la guerre que ce chrétien, qui va jusqu’à des prises de position de type théologique, publie « La technique ou l’enjeu du siècle. »

Ellul a alors passé sa vie à être enseignant à la faculté de Bordeaux et Sciences-Po Bordeaux, critiquant la technique et faisant l’apologie du christianisme, considéré comme authentiquement subversif.

Jacques Ellul est parfois présenté comme un théoricien de l’écologie, ce qu’il n’est absolument pas. Ellul est un théologien qui ne fait que mettre en avant les mêmes thèmes réactionnaires que l’extrême-droite des années 1930, il n’a rien voir ni de près ni de loin avec le véganisme, la libération animale, la libération de la Terre.

Les thèses d’Ellul sont l’équivalent français des thèses faites par Heidegger en Allemagne. La société est « technicienne et technicisée », la technique est partout et s’impose toujours plus rapidement, et les êtres humains ne peuvent plus vivre sans « prothèses techniques. »

Ces positions d’Ellul des années 1950-1960 existaient déjà dans l’extrême-droite des années 1930, et lui-même n’a absolument jamais fait partie du Parti Communiste (contrairement à ce que disent certaines biographies, qui se fondent sur des articles erronés publiés à sa mort). Ellul avait justement été membre, au coté de Bernard Charbonneau, d’un groupe proche de la revue Esprit et le groupe Ordre nouveau (c’est la mouvance « personnaliste » qui refuse « le désordre capitaliste et l’oppression communiste », considéré par l’historien Zeev Sternhell comme étant donc lié au fascisme).

Ellul met en avant la vieille rengaine ultra-réactionnaire: avant, c’était différent, c’était mieux, les humains étaient plus humains, la technique était sous contrôle, elle était quelque chose de « relativement stable, qui ne changeait pas beaucoup », la tradition prédominait, etc.

Sur le plan culturel, Ellul est donc totalement réactionnaire; dans le « Le bluff technologique » il explique que « chaque culture est rendue seulement obsolète. Elle subsiste en dessous de l’Universel technicien, sans avoir plus ni utilité ni sens. Vous pouvez continuer à parler français. Vous pouvez relire les poètes et les grands auteurs… Mais cela n’est plus qu’un aimable dilettantisme. »

La technique devient selon lui de plus en plus dominante, parce que plus elle se développe, plus elle se développe dans de nouveaux domaines; ce n’est plus l’humain qui utilise la technique, mais le contraire.

Ellul a donc critiqué très largement l’informatique, après avoir « espéré » qu’elle aide l’humanité à se libérer. Car Ellul croit en l’humanité… comme un chrétien: « c’est la mission prophétique du chrétien d’essayer de penser avant que l’événement ne soit devenu fatalité. Il y a des moments où l’histoire est souple, c’est alors qu’il faut s’insérer à l’intérieur pour faire jouer les rouages. »

La vérité est donc… ailleurs: « Ceux qui n’acceptent pas le Transcendant comme réalité dernière au-delà de notre connaissance et de notre expérience, doivent admettre qu’il n’y a aucun autre avenir que la fin technicienne, dans tous les sens de ce terme, et la fin de l’humain, dans le seul sens de l’élimination. »

On notera également que ce « spiritualisme » datant des années 1930 est également violemment pro « occidental. » Ellul explique que « La technique est essentiellement orientale: c’est dans le Proche-Orient principalement que la technique se développe. Et elle ne comporte presque pas de fondements scientifiques. »

Dans « La subversion du christianisme », il considère que tout ce que le christianisme a fait de mal (croisade, colonialisme, etc.) provient en fait… de l’Islam. Quant à l’inquisition et le procès de Galilée, on s’en ferait une fausse idée…

Ellul considère évidemment que tout le monde doit devenir chrétien, et même que c’est révolutionnaire: « Nous devons mainenir cette claire certitude que la Bible nous apporte une Parole antipouvoir, anti-étatique et antipolitique. »

Quel est le rapport avec la libération de la planète, et bien entendu la libération animale? Absolument aucun! Les thèses d’Ellul sont de vieilles thèses nauséabondes des années 1930 remis au goût du jour, afin de promouvoir le pessimisme et de nier la possibilité de changer le monde.

Car il s’agit justement, aujourd’hui, d’utiliser les techniques non pas pour détruire, mais pour produire, sur les fondements d’une éthique en accord avec Gaïa.

Ellul est un réactionnaire, un romantique voulant retourner dans un passé totalement idéalisé, aux valeurs forcément traditionnelles, religieuses et rurales, le tout formant une sorte de douce anarchie.

Son écologie, c’est la même que Pétain, cela n’a rien à voir avec une écologie radicale: Ellul ne parle jamais ni des animaux, ni de Gaïa.

Il nie le progrès ayant permis l’avènement de l’éthique vegan et d’une humanité pouvant enfin avoir les moyens non plus seulement de survivre, mais de vivre, en harmonie avec Gaïa et tous ses habitants, sans exploitation ni oppression!