Interview de Gary Francione

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VEGAN REVOLUTION : Gary Francione, pouvez-vous vous présenter et nous dire comment vous êtes devenus l'un des principaux penseurs des droits des animaux?

GARY FRANCIONE : Je suis professeur de droit à la Rutgers University School of Law, qui est une université publique de l'Etat du New Jersey, aux USA.

J'ai été avocat et professeur de droit pendant plus de 20 ans, et j'ai commencé en 1984 à enseigner au sujet du droit des animaux et la loi.

J'ai également representé un certain nombre d'organisations et de défenseurs des animaux aux Etats-Unis dans différents procès aux Etats-Unis.

Je suis l'auteur de plusieurs ouvrages concernant les droits des animaux, dont Introduction to Animal Rights: Your Child or the Dog? (2000) [Introduction aux droits des animaux : votre enfant ou le chien?], Animals, Property, and the Law (1995) [Les animaux, la propriété et la loi], Rain Without Thunder: The Ideology of the Animal Rights Movement (1996) [La pluie sans le tonnerre : l'idéologie du mouvement des droits des animaux], et Vivisection and Dissection in the Classroom: A Guide to Conscientious Objection (with Anna E. Charlton) (1992) [Vivisection et dissection en classe : un guide pour l'objection de conscience].



Au milieu des années 1990 j'ai développé la théorie que le mouvement de protection animale ne parviendrait jamais à amener une protection significative aux animaux non-humains pour la raison que les animaux ont le statut légal de propriété.

J'ai défendu le point de vue que les "droits des animaux" signifiaient que nous devions accorder au moins un droit aux animaux : celui de ne pas être traité comme notre proriété. Si nous reconnaissons ce droit-là, nous tendrions vers l'abolition et non pas la régulation de l'exploitation animale.

J'ai mis en avant le point de vue qu'une position en faveur du droit des animaux nécessite d'être vegan.



J'ai également été très franc dans ma critique concernant le fait que le mouvement pour les droits des animaux aux Etats-Unis emploie une idéologie très réactionnaire, utilisant souvent le sexisme et d'autres moyens critiquables afin de promouvoir le message en faveur du droit des animaux.

J'ai par exemple critiqué l'utilisation d'une imagerie et de messages sexistes par PETA, utilisation renforçant l'oppression des femmes et erronnée en tant que moyen pour aboutir à la justice pour les animaux. Tant que nous ferons des femmes des objets, nous continuerons à faire des animaux non-humains des objets aussi.

VEGAN REVOLUTION : Il y a en France une grande confusion entre le mot "véganisme" et celui de "végétalien". Certaines personnes considèrent le terme de "végétalien" comme la simple traduction du terme "vegan", mais cela est souvent un prétexte pour mettre de côté certains principes (comme le refus du cuir, le refus des produits testés sur les animaux, le refus de l'élevage des animaux, etc.)

Le dictionnaire français explique le terme de "végétalisme" comme un régime alimentaire, pas comme une éthique. Pouvez-vous nous dire comment vous définissez le terme de "véganisme"?


GARY FRANCIONE : Je définis le "véganisme" comme le fait de ne consommer aucun produit animal. C'est-à-dire que cela signifie ne pas manger de viande ou de produits laitiers ou aucun produit dérivé issu des animaux.

Et cela signifie ne pas porter de fourrure, de cuir, de soie ou de laine, et ne pas acheter ou utiliser aucun produit contenant des ingrédients issus des animaux ou ayant été testé sur les animaux.

Le véganisme est le principe de l'abolition appliqué à la vie de l'individu.

J'ai vu que beaucoup d'avocats de la cause animale étaient végétariens, et que peu étaient vegans. Beaucoup de ces personnes pensent qu'il est acceptable de consommer des produits laitiers.



Les animaux utilisés pour la production de produits laitiers et la production d'oeufs sont gardés en vie plus longtemps que les animaux utilisés pour la viande, ils sont traités de manière aussi mauvaise, si ce n'est pire que les "animaux à viande", et ils finissent dans les mêmes abattoirs.

Il y a probablement plus de souffrance dans un verre de lait que dans 500 grammes de steak. Le véganisme aide à réduire la souffrance animale d'une manière significative. Chaque personne qui devient vegan amène une réduction de la demande de produits issus des animaux.

Si l'on est d'accord que les droits des animaux signifie l'abolition, alors le véganisme est le seul choix moralement conséquent que l'on peut faire. De la même manière qu'une personne qui possède des esclaves ne peut pas s'affirmer comme abolitionniste de manière conséquente, une personne qui consomme des produits issus des animaux ne peut pas assumer de manière conséquente le fait d'être un avocat des droits des animaux.

La chose la plus importante que nous pouvons faire en tant qu'individus est de devenir des abolitionnistes dans nos vies personnelles, devenir des vegans, qui ne consomment aucun produit issu des animaux.


VEGAN REVOLUTION : Dans nos sociétés, les animaux sont considérés comme des marchandises. Pouvez-vous nous expliquer votre point de vue à ce sujet, et dans quelle mesure cela est l'aspect principal dans la question de la lutte pour la libération animale?

GARY FRANCIONE : Oui, un des points principaux de ma théorie est que tant que les animaux sont des propriétés, nous ne leur accorderons jamais aucune justice. Tant que les animaux sont considérés comme des propriétés, nous sacrifierons leurs intérêts dès qu'il en résulte des bénéfices pour les humains. C'est pourquoi nous devons viser l'abolition de leur status de propriété.

Parmi beaucoup de partisans des animaux il y a la considération que si l'on améliore la protection animale, cela amènera l'abolition de l'exploitation animale. Il n'y a aucune preuve historique pour cela.

Nous avons la protection animale à l'ouest depuis presque 200 ans maintenant, et nous utilisons plus d'animaux de manière encore plus terrible que jamais dans l'histoire humaine.



La protection animale fait peu pour soulager la souffrance animale, elle sert surtout à rendre les humains plus à l'aise par rapport à l'exploitation animale.


VEGAN REVOLUTION : Le mouvement de défense des animaux a de plus en plus mis de côté le projet d'une société végane, au profit d'un réformisme plus ou moins actif et revendicateur. Cela vous semble-t-il juste?

GARY FRANCIONE : Non, je ne pense pas. Je pense que la seule chose la plus importante que nous puissions faire pour changer les choses est de devenir vegan et de promouvoir le véganisme.

Il n'y aura jamais aucun changement significatif pour les animaux tant qu'il n'y aura pas une base politique claire en faveur de l'abolition.

La réforme ne fait rien d'autre que retrancher l'exploitation animale. Dans la mesure où les défenseurs des animaux doivent viser à une réforme du système, ils doivent se concentrer sur les prohibitions, et non pas sur les régulations.

Il y a par exemple dans de nombreux pays, y compris la France, d'horribles cirques itinérants où les animaux en cage sont traînés de village en village pendant toute la chaleur de l'été et vivent de terribles vies.

Je chercherais à favoriser une loi interdisant totalement ces cirques. Je pense qu'une loi qu'une loi exigeant que les animaux de ces cirques soient utilisés "humainement" n'est pas une bonne idée.

Parce que les animaux sont des propriétés, une loi voulant qu'ils soient traités "humainement" n'a aucun sens.


VEGAN REVOLUTION : Pensez-vous qu'une union sur la base de principes soit possible entre les végétariens et les végans, afin de contribuer à la défense des animaux ou la libération animale?

GARY FRANCIONE : Si vous me demandez si je pense que les défenseurs des droits des animaux partisans de l'abolition ont un socle commun avec les réformistes de la protection animale, non, je ne le pense pas.

Je les considére comme étant fondamentalement opposés, de la même manière que ceux qui voulaient réguler l'esclavage humain afin de l'"humaniser" par rapport à ceux voulant abolir l'esclavage humain.




VEGAN REVOLUTION : Il y a en France une marche de la "veggie pride", qui est une marche pour la fierté "végétarienne" et "végétalienne" (en anglais le terme de "vegan" est utilisé sur leur site).

Pensez-vous que le principe soit correct, ou que le végétarisme et le végétalisme doivent être rejetés au profit du véganisme comme éthique supérieure sur les plans théorique et pratique? ?


GARY FRANCIONE : Dans la mesure où le terme de "végétalien" ne signifie pas "vegan", l'effort doit être porté en direction du véganisme.

Il n'y a simplement aucun raisonnement logique à distinguer la viande des produits laitiers. Dire qu'il est "mieux" de consommer des produits laitiers que de manger de la viande n'a aucun sens.

Les vegans doivent essayer d'éduquer les végétariens afin de les amener au véganisme. Mais je ne vois pas de différence entre manger de la viande et consommer des produits laitiers.


VEGAN REVOLUTION : Dans un souci d'efficacité certains groupes défendant les animaux ont décidé d'utiliser certains procédés correspondant à la culture hégémonique. La marche de la "veggie pride" utilise des affiches suggestives voir explicitement sexuelles avec une actrice de films pornos, PETA n'hésite pas à mettre en avant des femmes correspondant aux critères des fantasmes masculins (poitrines surdimensionnées, femmes en bikinis se battant dans la boue, etc.)



Si le véganisme est une nouvelle éthique, pensez-vous qu'il soit correct d'utiliser par pragmatisme certains procédés comme mettre en avant des stars, ou utiliser de manière sexiste les femmes?


GARY FRANCIONE : Absolument pas. Je ne pense pas que cela soit moralement approprié ou efficace en pratique.

Le problème est que nous avons une culture hiérarchique dans laquelle les hommes blancs riches sont en haut, et tous les autres sont plus en bas, avec les animaux non-humains tout en bas.

Le problème c'est le patriarcat et la hiérarchie. Dans la mesure où nous engageons dans l'exploitation des femmes ou de n'importe qui d'autre, nous utilisons précisément le même mécanisme responsable pour le problème initial. Cela renforce et non amenuise la hiérarchie.

Des groupes PETA se sont engagés dans ces choses grotesques il y a plus de dix ans maintenant, qu'est-ce que cela a donné?

Ils ont utilisé des femmes nues dans les campagnes contre la fourrure, par exemple. Est-ce que cela a réduit sa consommation?

Non. L'industrie de la fourrure est plus forte que jamais.

Si jamais nous arrivons à créer les conditions pour un changement signifiactif pour les non-humains, nous aurons à quitter le modèle patriarcal, hiérarchique qui façonne notre culture actuellement.

Je dois ajouter que je pense également qu'il est important de rejeter la violence de manière générale. Certains partisans des animaux sont favorables à des actions violentes pour défendre les animaux.

Je ne suis pas d'accord. Selon moi, la position pour le droit des animaux est le rejet ultime de la violence. C'est l'affirmation ultime de la vie. Je comprends le mouvement pour le droit des animaux comme la progression logique du mouvement pour la paix, qui vise à en terminer avec le conflit entre les humains.

Le mouvement des droits des animaux recherche idéalement à aller plus loin sur ce chemin et d'en terminer avec le conflit entre humains et non-humains.


VEGAN REVOLUTION : Nous avons en France une tradition d'intellectuels faisant souvent des interventions dans la vie sociale. Camus et Sartre sont les exemples les plus connus, mais cela continue juqu'à aujourd'hui.

Quel est pour vous le rôle des intellectuels favorables au véganisme? Pensez-vous que les gens vegqns ont besoin de ces intellectuels qui ont parfois un statut déifié?


GARY FRANCIONE : Eh bien, regardons ce que ce statut a fait pour Sartre, il est mort comme l'une des personnes les plus méprisés de France!

Il vaut mieux ne jamais donner à personne un "statut déifié". Si des intellectuels ont des idées intéressantes, on devrait les écouter.

Mais nous devrions écouter toute personne aux idées intéressantes, qu'elles soient dans les universités ou pas, qu'elles soient des auteurs ou pas.


VEGAN REVOLUTION : Que pensez-vous des "animaux de compagnie"?

GARY FRANCIONE : Nous vivons avec cinq chiens. Nous les avons adopté d'un refuge où ils auraient été tués et un vient de la rue.

J'aime nos compagnons canins, mais s'il ne restait que deux chiens sur la planète et si cela dépendait de moi si on devait ou non en faire un élevage pour faire plus d'"animaux de compagnie", ma réponse serait "NON!"

Nous ne devrions pas faire en sorte que des animaux domestiques viennent au monde. Et cela inclut les chiens, les chats, etc.

Nous devrions prendre soin de ceux qu'il y a ici puisqu'ils ne peuvent pas prendre soin d'eux-mêmes, c'est en cela que consiste le fait d'être un animal "domestique".

Mais nous ne devrions pas amener plus d'animaux domestiques à naître.


VEGAN REVOLUTION : Pensez-vous que chaque vegan doive pratique l'adoption dans des refuges, ou que cela reste un choix personnel?

Pensez-vous que les vegans pratiquant l'adoption doivent totalement refuser les forums sur internet traitant des "animaux domestiques" ou au contraire intervenir systématiquement afin de promouvoir le droit des animaux, notamment et en particulier le droit pour eux de vivre dans leur propre environnement, indépendamment des êtres humains?


GARY FRANCIONE : Les animaux domestiques ne peuvent pas vivre indépendamment des humains. C'est là que réside le problème. Ils dépendent de nous.

Si je laisse mes chiens vivre comme ils l'entendent, ils n'en seraient pas capables.

Je ne pense pas que le "véganisme" signifie nécessairement adopter des non-humains en détresse, mais je pense que tout partisan des droits des animaux devrait essayer de s'occuper au moins de quelques non-humains qui ont besoin d'un foyer. Nous devrions encourager la castration et la stérilisation afin d'assurer que nous n'amenons pas plus d'animaux domestiques à exister.

J'ai vu que beaucoup de gens pensent qu'il est faux de castrer ou de stériliser parce qu'il est "naturel" pour les animaux domestiques d'avoir des bébés.

Mais les animaux domestiques ne sont eux-mêmes pas "naturels". Ce sont des créatures qui ont été créé par la manipulation, afin d'être dépendant de nous.

Nous ne devrions pas encourage d'en amener plus à exister.


VEGAN REVOLUTION : Vous prônez une société rejetant la hiérarchie et le patriarcat. Que pensez-vous de la thèse voulant qu'au début de l'histoire humaine, la période appelée "matriarcat" ait été caractérisé par le véganisme?

Pensez-vous qu'il soit intéressant d'étudier par exemple le jaïnisme, qui rejette à la fois les castes et le fait de tuer des vies, en tant que produit des anciennes sociétés ayant existé avant le patriarcat et la division du travail?


GARY FRANCIONE : Nous ne savons pas grand chose au sujet des sociétés matriarcales parce que l'histoire a été écrite par des hommes qui ont systématiquement dévalué tout ce qui touchait les femmes.

J'ai entendu des universitaires féministes dire que les sociétés matriarcales sont moins violentes, mais je ne sais pas si des preuves historiques existent en fait quant au fait si ces sociétés étaient vegans ou non.

Mon point de vue est plus théorique. Le problème est la violence et la hiérarchie. Et je pense que cela est intimement lié à la tendance patriarcale à traiter les autres exclusivement comme un moyen pour des fins.

Si nous quittons le terrain du patriarcat et rejetons la violence comme moyen de résoudre les conflits, ainsi que le principe de hiérarchie et et le fait de traiter les autres seulement comme des moyens, cela ne peut qu'améliorer l'acceptation du véganisme.

Je suis très intéressé par le jaïnisme, mais il est important que voir que le jaïnisme, comme je le comprends, n'a pas rejoint le véganisme et accepte la consommation de produits laitiers.


VEGAN REVOLUTION : D Pensez-vous que le véganisme soit apparu sur la terre uniquement grâce au développement de la production, ou bien pensez-vous qu'il s'agisse d'une idée éthique qui aurait pu se développer à n'importe quelle période historique?

GARY FRANCIONE : Il est clair que l'agriculture touchant aux animaux est un désastre écologique, et je m'attends à ce que de simples questions touchant aux ressources (utilisation inefficiente des terres, pollution des eaux, érosion des sols, etc.) amènera possiblement une baisse de la consommation de produits d'origine animale.

D'un autre côté, toute cette histoire d'ingénierie génétique laisse présager des tentatives de développer de nouveaux types d'animaux consommant moins de ressources.

Tout cela est donc difficile à dire. Je pense vraiment que si les partisans des animaux qui ont adhéré au véganisme unissaient leurs forces dans une campagne internationale d'éducation massive et soutenue au sujet des questions morales impliquées dans le véganisme (de même que les questions de santé et environnementales), nous commencerions à construire une base politique qui aboutirait à amaner des changements significatifs en direction de l'abolition.

Beaucoup de défenseurs des animaux considérent qu'il faut viser la réforme ou ne rien faire.

Mais cela n'est pas un choix.

Le choix est entre viser la réforme ou viser l'abolition.

Si nous visons celle-ci, le meilleur moyen de le faire actuellement est de devenir vegan et d'éduquer au sujet du véganisme tout un chacun avec qui nous rentrons en contact.

Beaucoup de gens vivent avec des animaux de compagnie, comme les chiens et les chats. Ils aiment ces non-humains, et ils reconnaissent qu'ils ont des sentiments, des émotions, qu'ils sont des créatures intelligentes.

J'ai parlé à ces gens autant que je le pouvais et j'ai essayé de mettre en avant la "schizophrénie morale" voulant qu'ils aiment leurs chiens et chats mais plantent leurs fourchettes dans des vaches et des cochons et des poulets - et il n'y a aucune différence conséquente entre ces animaux.

J'ai trouvé que les propriétaire d'"animaux de compagnie" sont un groupe de gens très propice pour une discussion au sujet du véganisme.

Et ensuite, quand je les ai amené au fait d'être vegan au niveau du régime alimentaire, ils voient les autres questions, comme celle d'utiliser des produits contenant des éléments d'origine animale, ou celle de porter de la laine, et, autant qu'ils puissent aimer leurs chiens et leurs chats, que nous ne devrions pas amener à exister de nouveaux animaux domestiqués.


VEGAN REVOLUTION : Merci pour l'interview.