Mais à ce titre, il montre bien que tout est possible sur le plan du changement, sauf qu’il manque le rapport de forces, la volonté des gens, la culture écologiste qui prédomine.
La loi sur l’air de 1996
La « loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie » du 30 décembre 1996 vise à la « mise en œuvre du droit reconnu à chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé ». En particulier, elle impose la surveillance de la qualité de l’air, la définition de normes de qualité de l’air et l’information du public. A l’origine de cette loi comme ministre de l’Environnement, Corinne Lepage estime que les plans d’urgence prévus n’ont quasiment jamais été mis en place. Rue89
Circulation alternée : comment masquer l’oubli de la loi sur l’air
Si la loi sur l’air avait été appliquée telle qu’elle a été votée en 1996, le droit à respirer un air qui ne nuise pas sa santé – reconnu à l’article premier – ne serait pas virtuel.
Si la loi sur l’air avait été appliquée, chacun d’entre nous, là où il vit, aurait été informé, année après année, non seulement de l’évolution de la pollution, mais également des effets délétères sur la santé publique.
En effet, le droit à l’information concerne non seulement la qualité de l’air mais également les effets sur la santé grâce à la publication annuelle des émissions polluantes et des consommations d’énergie avec l’évolution attendue et les effets sur la santé et l’environnement.
Nul ne peut douter que la pression de l’opinion publique pour que la qualité de l’air s’améliore aurait été d’une autre envergure.
Des plans de protection indispensables
Si la loi sur l’air avait été appliquée, un système simple et efficace se serait mis en place avec :
des objectifs pour la qualité de l’air afin de prévenir ou réduire la pollution atmosphérique (les plans régionaux de la qualité de l’air ou PRQA) auraient fait l’objet de révision tous les cinq ans, pour juger des résultats obtenus et donc de l’efficacité – ou au contraire de l’inertie – des autorités régionales pour améliorer la situation ;
des moyens pour parvenir à ces résultats définis par deux outils : les plans de protection de l’atmosphère pour les zones polluées et les grandes villes, les plans de déplacement urbain pour les transports.
Si la loi sur l’air avait été appliquée, ces plans de protection de l’atmosphère, indispensables, auraient été arrêtés avant le 30 juillet 1998. Leurs objectifs (conformément à l’article 9 de la loi) auraient été de ramener à l’intérieur de la zone concernée la pollution à un niveau inférieur aux valeurs limites.
La loi donne le pouvoir aux autorités de police de prendre toutes les mesures préventives d’application temporaire ou permanente pour réduire les émissions des sources de pollution – y compris pour restreindre ou suspendre les activités polluantes et limiter la circulation des véhicules.
La France a dix ans de retard
Si la loi sur l’air avait été appliquée, les plans de déplacement urbains – qui auraient dû être élaborés avant la fin de l’année 1998 – auraient expressément visé la réduction de la circulation automobile, l’organisation du stationnement, le transport des marchandises, le covoiturage et les plans de déplacement d’entreprises.
Tous ces plans auraient dû être révisés tous les cinq ans pour juger de leur efficacité, notamment au regard des objectifs des plans régionaux. Sauf que Dominique Voynet n’a sorti les décrets d’application de ces différents plans que très tardivement (sauf pour les PRQA dont le décret est sorti en 1998).
Chaque plan s’imbriquant l’un dans l’autre, à la façon d’un puzzle, cette construction n’a jamais pu se mettre en place. Si les premiers PRQA sont sortis en 2000, celui d’Ile de France date de 2009.
De surcroît, ce plan, auquel participent pourtant les Verts, contrevient aux obligations communautaires et prévoit expressément des dépassements. Si les premiers plans de déplacements urbains (PDU) sont sortis au début du XXIe siècle, certains ne l’ont été que vers 2010 et le renouvellement tous les cinq ans n’a presque jamais été opéré.
Enfin, s’agissant des plans de protection de l’atmosphère (PPA), 25 plans ont été approuvés entre février 2005 et janvier 2010. Aujourd’hui, 35 PPA sont en révision ou en cours d’élaboration et trois sont en cours de réflexion.
Dans ces conditions, définir des objectifs dans les plans régionaux de la qualité de l’air n’a aucun intérêt puisque les moyens à mettre en place pour améliorer la situation sont sortis avec près de dix ans de retard. De plus, non seulement les PPA sont tardifs mais la moitié de ceux qui ont été élaborés ne sont même pas conformes aux objectifs communautaires : 12 PPA couvrent des zones faisant l’objet en particulier d’un contentieux avec la Commission européenne concernant des dépassements de valeurs réglementaires en particules PM10.
Notre santé aurait pu être (mieux) protégée
Si la loi sur l’air avait été appliquée, les PPA auraient défini les conditions de gestion des pics de pollution et auraient assuré une large diffusion auprès du public permettant à nos concitoyens de s’organiser en cas de restriction de l’usage des voitures.
La mise en œuvre des plans d’urgence aurait été simple, et lors des nombreux pics de pollution que nous avons vécus depuis dix ans, notre santé aurait été protégée puisque les plans d’urgence prévus par la loi – parfaitement connus du public – qui auraient pu s’organiser, auraient été appliqués non seulement comme le prévoit l’article 12 de la loi lorsque les seuils d’alerte sont atteints mais même lorsqu’ils risquent de l’être.
Si la loi sur l’air avait été appliquée, voilà bien longtemps que la France serait dotée des outils techniques permettant effectivement de réduire la pollution atmosphérique dans nos villes, mais aussi de réduire la consommation énergétique. Nous aurions gagné près de quinze ans par rapport aux lois Grenelle :
contrôle de la consommation d’énergie et des émissions polluantes par les constructeurs ;
limitation de la publicité et des campagnes d’information favorisant la consommation d’énergie ;
spécifications technique des normes de rendement sur les biens mobiliers et immobiliers ;
affichage de la consommation énergétique et estimation du montant des frais de consommation d’énergie dans les logements ;
obligation pour tous les permis de construire délivrés à partir de juin 1997 de permettre le choix et le remplacement de tous types d’énergie ;
identification des véhicules en fonction de leur contribution à la limitation de la pollution atmosphérique ;
construction de véhicules destinés à minimiser la consommation d’énergie et les émissions de substances polluantes, de dioxyde de carbone et autres nuisances susceptibles de compromettre la santé publique (diesel).
L’essor avorté des véhicules propres
Si la loi sur l’air avait été appliquée, 20% au moins de la flotte des véhicules de l’État (des établissements publics, des exploitants publics, des entreprises nationales, des collectivités territoriales et leurs groupements) auraient fonctionné à partir du 1er janvier 1999 à l’électricité au GPL ou au GNV. Cette flotte devant évidemment être renouvelée progressivement par des véhicules non polluants.
Cela signifie qu’aujourd’hui la totalité de cette flotte pourrait être non-polluante, ayant ainsi suscité une forte demande et donc une offre française de véhicules propres.
Si la loi sur l’air avait été appliquée, la France serait aujourd’hui dotée de toutes les prises permettant la charge des véhicules électriques, puisque la loi prévoyait l’installation du réseau de distribution d’électricité publique pour alimenter en courant électrique des emplacements de stationnement de véhicules permettant la charge des accumulateurs.
Si la loi sur l’air avait été appliquée, la fiscalité des énergies fossiles et celle des énergies renouvelables serait totalement différente. En effet, en application de l’article 25, elle prendrait en compte l’incidence de leur utilisation sur la compétitivité de l’économie de la santé publique, l’environnement, et la sécurité d’approvisionnement avec un objectif de traitement équilibré.
Un rapport qui devait être présenté pour la première fois en 1998 aurait été mis à jour tous les deux ans, permettant de suivre l’évolution. Des dispositions fiscales particulières étaient prévues pour encourager les véhicules électriques et les ficus fonctionnant au GPL et au GNV, ainsi que des règles d’amortissement exceptionnel.
Le rôle des lobbys automobiles et pétroliers
Mais la loi sur l’air a été sabotée, par les gouvernements successifs, y compris celui de Lionel Jospin. Si effectivement Dominique Voynet a appliqué la circulation alternée, son manque d’empressement et d’intérêt pour mettre en œuvre le plus rapidement possible la loi grâce aux décrets d’application a planté dès le départ la dynamique extrêmement simple des plans : fixer des objectifs publics, déterminer les moyens d’y parvenir, juger de l’efficacité des moyens pour atteindre les objectifs et ainsi de suite.
La fixation des normes – notamment par Roselyne Bachelot en 2002 – a été caricaturale puisqu’il s’est agi de fixer les niveaux d’alerte et d’information au degré le plus élevé possible, en violation des normes communautaires. D’où les multiples procédures engagées aujourd’hui contre la France, en particulier en ce qui concerne les particules fines.
Quant aux mesures techniques – qui auraient effectivement permis de changer les flottes publiques et privées ou les mesures fiscales – elles ont été anéanties par les lobbys automobiles et pétroliers.
Les premiers avaient fait le choix du tout diesel et l’État avait décidé de le soutenir en refusant de reconnaître l’impact sanitaire (au point de refuser de rendre obligatoire les filtres à particules jusqu’à ce que l’Europe nous y oblige).
Les seconds ne voulaient surtout pas voir se développer le gaz et l’électricité dans le transport.
Pas besoin d’une nouvelle loi
Quelles conclusions tirer de ce qui précède ? Les épisodes de pollution intense que nous vivons – qui sont inédits mais qui, compte tenu du changement climatique, pourrait bien se reproduire – ne laissent désormais plus aucun choix possible autre que celui de prendre le problème à bras-le-corps.
La mise en œuvre de la circulation alternée, bien sûr indispensable pour des raisons de santé publique, n’est en réalité qu’un épiphénomène et un symbole : celui du refus d’agir et de la priorité donnée à de prétendus intérêts économiques sur la santé humaine et les coûts pour les finances publiques.
Nous avons préféré l’industrie automobile du diesel à la santé. Nous avons perdu à la fois la santé (ce qui était attendu) mais aussi l’industrie automobile, aujourd’hui malade notamment de ce choix. Nous avons perdu sur les deux tableaux. Il est plus que temps de se ressaisir.
La seconde conclusion est d’ordre politique. La loi sur l’air n’a pas été appliquée. La loi Grenelle était censée apporter des améliorations à la loi sur l’air ; elle n’a rien changé dans la réalité. Monsieur Martin annonce une nouvelle loi. On n’en a pas besoin. C’est une opération de communication destinée à continuer de ne rien faire.
On a besoin d’appliquer le droit existant et d’être efficace. Tant qu’il n’y aura pas une volonté politique ferme de mettre un terme à ce scandale sanitaire et cette ineptie économique et financière, rien ne changera. Les responsabilités sont claires, mais visiblement l’irresponsabilité reste la norme.
Une fois encore, c’est à nous, citoyens, de prendre notre destin en main et de décider, puisque ne pas respirer n’est pas un choix, que c’est l’environnement dans lequel nous vivons qui doit changer et que nous allons le faire changer.