Straight edge pour faire face à la multiplication des dépendances

Lorsque le mouvement straight edge est apparu aux États-Unis dans la scène punk au début des années 1980, trois dépendances étaient visées : l’alcool, les drogues, le fait de coucher avec n’importe qui. C’était cela les paroles du premier groupe de musique portant la culture straight edge, Minor Threat.

Quarante ans après, on peut voir qu’avec le développement de la société de consommation, le nombre de dépendances et leur intensité a explosé. Il y a les jeux d’argent, les réseaux sociaux, la pornographie, les séries, des activités sportives intenses, les jeux vidéos sur console, la voiture, le smartphone, les combats pratiquement sans règles sur les rings, les jeux pour tablette ou smartphone à la Candy crush…

Le nombre de choses où les gens restent « scotchés » est devenu tellement important que la dépendance peut même éventuellement changer de forme, pas de contenu : hier on traînait sur Facebook, aujourd’hui sur Instagram. On regarde Netflix, demain cela sera un autre service.

Car consommer implique de consommer même ce qu’on consomme. C’est la hantise d’Apple que de passer de mode, et qui pourtant n’échappera pas à cette loi du turbocapitalisme. Tout doit être consommé rapidement et efficacement, toujours renouvelé. Hier on appelait cela les modes, aujourd’hui on appelle cela les tendances.

Il est inutile de préciser que le véganisme est devenu lui-même une telle tendance et qu’il a déjà épuisé son quota de crédibilité sur le plan de la consommation. Il y aura quelques restes, car les gens continueront de passer d’une chose à une autre, du non-véganisme au véganisme, puis à autre chose. Mais ce n’est déjà plus une vraie tendance, à part pour les médias pour racler des dernières possibilités de buzz ou d’articles.

C’est bien la preuve qu’il y a tout intérêt pour les personnes véganes à s’intéresser à la culture straight edge. Bien sûr, elle non plus n’échappe à la tyrannie de la consommation et il en existe bien des versions édulcorées, surtout en ce qui concerne le refus de coucher avec n’importe qui, même avec un prétendu « respect ».

Toutefois le principe authentiquement straight edge du désengagement par rapport à toute dépendance est incontournable pour qui cherche à décrocher des valeurs dominantes. Une personne végane accro au simili-carné, c’est une personne encore accro au carné dont le simili-carné n’est qu’un ersatz. C’est un problème.

On pourrait résumer tout cela en disant que le mouvement straight edge est la rencontre fructueuse des valeurs punk et hippie. Ce n’est pas pour rien que des membres de l’un des principaux groupes du straight edge, Youth of today, qui a par ailleurs introduit le végétarisme dans le straight edge, sont passés chez les Hare Krishna. Nul besoin d’aller aussi loin dans l’illusion spirituelle (ou la dérive sectaire), mais en tout cas l’exigence culturelle doit être aussi profonde, aussi dense.

C’est ce qui fait d’ailleurs que les Hare Krishna, même s’ils ne sont pas vegans, auront plus d’intérêt que des antispécistes habillés en noir et broyant du noir ou des straight edge résumant le refus de la dépendance à une simple « protection » individuelle.

Car les dépendances ne sont pas des abstractions, mais une réalité culturelle. Et qui produit cette culture ? Une société qui vise la consommation superficielle et n’éprouve aucun intérêt pour les choses profondes, que ce soit dans les domaines de la sensibilité ou des arts.

Croire qu’une telle société puisse devenir vegan, dans les conditions actuelles, est une illusion complète. Il faut d’abord que les gens décrochent, qu’ils se désintoxiquent.

Et moins ils le font, plus la société a des valeurs pourries, corrompues, exigeant une véritable tempête de feu, pour paraphraser le troisième grand groupe de musique straight edge, Earth Crisis.

On vit dans une société totalement bloquée. Alors, où sont les jeunes portant une culture alternative, du niveau de mai 1968 ou des hippies américains, des squatters allemands des années 1980 ou des punks anglais ? Les raisons de rompre avec les valeurs de la société ne sont-elles pas mille fois plus nombreuses ?

Malheureusement, comme on le sait, les contre-sociétés existantes en France ne sont que religieuses. Des dizaines de milliers de gens, voire des centaines de milliers de gens se sont réfugiés dans la dépendance, se précipitant dans un profond infantilisme. Ces contre-sociétés sont elles-mêmes le reflet de la société : elles sont fades, formelles, sans utopie. Les religions ne donnent que des images en noir et blanc.

Or, ce qu’il nous faut, c’est de la couleur, c’est d’être gai comme la vie. Et la vie est riche, car elle n’a pas de dépendance à des choses qui n’ont aucun rapport avec elle. On en est au point où on se demanderait comment feraient les gens pour vivre si internet était coupé pendant une semaine. Comme s’ils vivaient vraiment !

Aussi y a-t-il tout intérêt d’adopter la philosophie straight edge, qui se résume à un principe simple : pas d’intoxication physique ou mentale par des choses répétitives et encore moins si elles sont impulsées par des industries en tirant du profit.

C’est avec cela qu’on libère sa psychologie et c’est précisément pour cette raison que les straight edge se sont tournés vers le végétarisme, puis le véganisme. Ils se sont demandés : qu’est-ce que je fais de manière mécanique, sans réfléchir, de manière imposée sans même que je le remarque.

Le jour où la société commencera une telle remise en question raisonnable et exigeante, alors l’horizon de la libération commencera à être visible.

Le militantisme à « l’anglo-saxonne »

Il y a plein de gens formidables faisant un travail de fond, changeant les choses dans leurs fondements mêmes, en affrontant les gens tels qu’ils sont. Cela s’appelle un travail démocratique et c’est cela le noyau dur de toute activité authentique.

Mais dans notre société ceux et celles qui font ce travail sont isolés et anonymes, quand ils ne sont pas méprisés, ostracisés. On n’échappe à la domination de la célébration des egos et au culte de l’apparence.

Ainsi, c’est un aspect de plus en plus prégnant à la fois dans l’activisme écologiste, du moins en faveur du climat, et dans celui lié à la question animale en général. Il existe une tendance très marquée à agir de manière « hors-sol », en étant ouvertement déconnectée de la situation locale ou nationale, pour s’appuyer sur des tendances liées aux réseaux sociaux.

En voici un exemple. Personne en France ne connaît la « Official Animal Rights March », dont voici le logo. Et pourtant c’est une manifestation annuelle qui ce mois d’août a rassemblé des petits cortèges à Londres, Berlin, Amsterdam, Copenhague, Athènes, Helsinki, Milan, Dublin, Cologne, Istanbul, Zurich, Oslo, Vienne, Bruxelles, Prague, Sofia, Varsovie, Ljubljana, Bucarest, Toronto, New York, Dallas, Miami, Séoul, Manille, Perth, Auckland, Osaka, etc.

Pourquoi, comment? C’est très simple : le groupe à l’origine de cela – une sorte de structure vegan à la sauce éducative activiste anglo-saxonne – envoie des gens un peu partout pour monter une manifestation dans des grandes villes. Tout est donné clef en main. C’est totalement hors-sol. Donc, pour des gens consommateurs, cela marche.

C’est une véritable tendance de fond et il ne faut pas se voiler la face. Aucune structure qui fait un travail de terrain n’a réussi ces dernières années à progresser numériquement dans les questions de l’écologie ou des animaux, à part en s’appuyant sur les réseaux sociaux et les médias. L214, 269, Extinction Rebellion, Youth for climate… toutes ces structures sont nées de raisonnements à la va vite faits sur les réseaux sociaux, de passions poussées par la « crédibilité » virtuelle.

Toutes ces structures vivent d’ailleurs d’une fuite en avant pour le bruit médiatique. Et ils sont prêts à tout, même à aller en Chine sans contact et sans parler chinois, comme le relate candidement ici un membre de « DxE France » dans une interview à la revue des bobos Les inrocks :

En général nous enquêtons dans des élevages Français mais, au mois de juillet, nous sommes partis en Chine avec l’aide de l’association Stéphane Lamart, qui a financé le voyage.

On voulait aller filmer dans un élevage de chiens destinés à la consommation, pour interpeller la population. Une minorité de la population en Chine consomme du chien, mais, en Europe, c’est considéré comme quelque chose de choquant. On voulait donc montrer comment se passe l’abattage d’animaux que nous considérons comme des compagnons, qui sont proches de nous, parce que cela touche plus.

L’idée avec cette enquête était de dire que ça se passe pareil chez nous pour les cochons, les vaches et les poulets, et que si on est choqué pour les chiens, il n’y a pas de raison de ne pas l’être pour les autres animaux.

Nous n’avons finalement pas pu faire de vidéo dans un abattoir de chiens, parce qu’aucune association locale n’a bien voulu nous donner une adresse, de peur que les autorités fassent fermer leurs refuges. Par ailleurs, en ne parlant pas chinois, c’était un peu compliqué. Mais nous avons pu aller dans un refuge qui recueille des chiens sauvés par des activistes chinois, ainsi que sur un marché aux chiens.

Jamais par la population, toujours par en haut, jamais par la raison, toujours par l’affect. Les animaux sont ici les otages pour beaucoup d’une sorte de crise existentielle face à l’horreur du monde, mais dans le refus de toute perspective concrète de changement. La révolution? Jamais entendu parler. Le peuple, la démocratie? Connais pas.

Pour cette raison, face à cette déferlante, il n’y a pratiquement pas de place pour quelque chose de construit, de conscient, de raisonné. Parce que les gens ne font aucun effort et qu’il y a eu à chaque fois des structures virtuelles se montant en série pour siphonner les forces vives.

Pas étonnant qu’il n’y ait personne dans les refuges, et autant de monde pour toutes les initiatives bruyantes qui ne changent rien à rien !

La seule exception, et de taille, c’est AVA, dont le mouvement contre la chasse à courre a des fondements résolument ancrés dans les situations locales, d’où sa force.

Mais eux-mêmes doivent faire face à ces tendances de repli sectaire et folklorique. Ainsi, des gens qui, en Bretagne, ont quitté AVA, ce qui est par définition regrettable, ont formé un groupe avec comme nom… « Forest Keepers », soit les gardiens de la forêt en anglais. C’est bien connu, en Bretagne, on parle anglais.

Il y a deux raisons à cela à ce constat d’échec général, à part donc AVA :

– les gens sont fainéants et fonctionnent à l’affect seulement ;

– ils sont passifs et consommateurs ;

– ils veulent la reconnaissance de leur ego.

Les gens font donc confiance à ce qui fait du bruit dans les médias et sur les réseaux sociaux. Leur mot d’ordre : je te valorise, tu me valorises. Cela marche entre les gens, cela marche avec les « causes ». C’est du donnant-donnant, uniquement du donnant-donnant.

La raison des gens s’efface, s’annule, disparaît totalement devant Greta Thunberg, une construction d’ONG de bout en bout, parce qu’on la vend comme une adolescente suédoise ayant tout fait d’elle-même. Sa pseudo-pureté devient la pureté des gens qui la soutiennent. C’est donnant-donnant.

Et pour les personnes sur le terrain, le vrai, comment exister quand quelqu’un comme elle est lancée par une semi-ONG avec une chaîne youtube, reprise directement par un représentant d’une grande banque (Nordea, en Finlande) qui a 200 000 personnes suivant son compte twitter?

Et le succès médiatique nourrit le succès médiatique. Ainsi Amnesty International a remis prix Ambassadeur de conscience pour l’année 2019 à Greta Thunberg et Fridays for Future.

Rappelons qu’en juillet 2019, Greta Thunberg était également accueilli en star à l’Assemblée Nationale. c’est un vrai déni de démocratie.

A chaque fois le processus a été le même : le militantisme est donné clef en main, avec logos, slogans, mots d’ordre, ligne mono-thématique. A cela s’associe un soutien sur les réseaux sociaux et une crédibilité au moyen d’actions symboliques « chocs ».

Cela ne veut pas dire que cela marche tout le temps. PeTA France a cette démarche depuis une décennie au moins, sans jamais décoller pour autant, malgré la force de sa maison soeur américaine, malgré Pamela Anderson et le soutien de nombreuses stars avec des postures racoleuses, de partenariats plus ou moins branchés, etc.

Voici un exemple, avec les chaussures de la marque André « Peta approved » venant tout juste de sortir.

PeTA continuera sa démarche hors-sol jusqu’à réussir, quitte à avoir des va et vient incessant dans son noyau dur. Car l’approche « anglo-saxonne » vise à interpeller l’opinion publique par en haut et à accrocher ainsi un certain nombre de gens. c’est un vrai style.

Voici une photographie de la marche pour le climat du 21 septembre 2019. On y voit, à Paris, un slogan placé sur un pont. C’est une allusion au fait que l’année dernière, Emmanuel Macron a reçu le titre de « Champion de la terre », décerné par l’ONU.

Mais c’est en anglais. L’objectif de la banderole, c’est quelque chose d’au-dessus de la réalité, c’est une opinion publique virtuelle.

Voici une autre photographie. Elle est tirée d’une vidéo très récente dans le plus grand abattoir de cochons de France, avec des images insoutenables. Elle n’a eu que très peu d’écho. Là encore tout est en anglais pour cette action du groupe Direct Action Everywhere (mentionné plus haut), qui a mené l’action de manière « internationale », car sa section française n’a pas participé, préférant « les enquêtes aux manifestations et blocages ».‬ Le principe, c’est de forcer l’entrée au groupe dans chaque pays.

Dans un registre bien différent, début septembre, l’ALF a libéré des perdrix en France. Mais les signatures sont en anglais… « ALF says hi », « hunters will be hunted ».

Voici un autre exemple de ce style hors-sol.

Tout cela peut bien entendu être utile. Mais cela ne touche pas le noyau dur de la population. Cela ne touche que marginalement la société. C’est en décalage complet avec la réalité quotidienne des gens, avec les besoins d’implication concrète, anonyme, en acceptant d’être un simple rouage anonyme d’une cause qui dépasse les individus.

En fait, on a des initiatives qui sont à l’image de la société. Comme celle-ci est pourrie, rien de bon ne sort, car il faut une rupture à la base et bien peu veulent en payer le prix, par ego, besoin de reconnaissance, envie de confort, etc.

Les trois récentes grandes vagues de crise des opioïdes aux États-Unis

Google vient d’annoncer en cette mi septembre 2019 la mise en place d’un site spécial, recovertogether.withgoogle.com, destiné aux… 21 millions d’Américains dépendants aux opioïdes. Avec deux cartes en lignes : les adresses de 83 000 centres pour sortir de l’addication et… les adresses où trouver de la Naloxone, l’antidote en cas d’overdose !

C’est dire l’ampleur de la catastrophe, alors que l’entreprise Purdue Pharma vient justement d’établir une entente provisoire bloquant le procès devant se tenir dans un mois. Pas de hasard dans tout cela : c’est que la crise des opioïdes a atteint aux États-Unis une telle ampleur qu’elle connaît désormais une reconnaissance publique.

L’origine de tout cela, on la connaît. Car évidemment, dans une société célébrant les egos et l’individualisme, il est inévitable que les drogues s’immiscent dans la vie quotidienne. Ce n’est pas seulement une question de relativisme libéral, c’est aussi et même surtout une question de valeurs. Un ego, ça se soigne, ça se cultive, ça se célèbre jusqu’à une volonté de transcendance.

D’où la fascination pour l’ivresse, les sensations très fortes, tout ce qui apporte des illusions, de la virtualité, etc. C’est la fuite dans les paradis artificiels.

Dans une société comme la nôtre, où il y a encore des acquis sociaux, une telle démarche de fuite existe de manière très importante, mais elle est confrontée à nombre d’obstacles. Aux États-Unis, il n’y a pas de tels obstacles et cela a produit trois grandes vagues populaires de consommation massive d’opioïdes.

Les vagues de crise des opioïdes aux États-Unis avec le nombre de morts
pour 100 000 personnes.
En orange on a l’héroïne, en mauve les principaux opioïdes prescrits
par les médecins, en noir les opioïdes les plus puissants, légaux comme illégaux.

Par opioïdes, il faut comprendre des psychotropes comme la morphine, l’héroïne, la codéine, le fentanyl. Ils sont à la fois hautement puissants et hautement addictifs. On peut les utiliser comme drogues, tout comme on les utilise plus communément comme anti-douleurs. Ils sont à ce titre utiles en ce sens.

Cependant, aux États-Unis, de tels anti-douleurs ont commencé à être prescrits de manière massive au cours des années 1990. Cela a une telle ampleur, que désormais aux États-Unis, toutes les onze minutes une personne meurt d’une overdose d’opioïdes.

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L’opioïde considéré comme étant le démarreur de tout le processus est l’OxyContin, une version commerciale de l’oxycodone, diffusé par l’entreprise Purdue Pharma. Elle a été commercialisée comme une sorte de potion magique, non plus simplement pour les personnes ayant le cancer et souffrant de manière très importante, mais pour tout le monde, comme pour des blessures dues au sport, l’arthrite, le mal de dos, etc.

Les médecins ont été corrompus à coups de séminaire par exemple dans la prestigieuse station balnéaire de Boca Raton en Floride, il y a plein d’objets de promotion distribués, etc. Le site STAT, qui présente ces « cadeaux », raconte que le pare-soleil contenait deux textes : au recto on lisait « l’oxycodone durant le plus longtemps ayant jamais existé », avec en petit « attention, peut provoquer l’addiction », et au dos, en rouge… « AI BESOIN D’AIDE S’IL VOUS PLAÎT APPELEZ LA POLICE ».

En cinq ans, le médicament « magique » rapportait déjà un milliard de dollars par an. Jusqu’en 2016, il ramènera 31 milliards de dollars.

Une sorte de funeste blague est ici que le responsable de la Food and Drug Administration (FDA) ayant autorisé la mise sur le marché s’est retrouvé deux ans plus tard cadre de Purdue Pharma ! Une belle preuve de corruption, poudre aux yeux y comprise. Car le gouvernement fédéral des États-Unis a infligé à l’entreprise 635 millions de dollars d’amendes pour publicité mensongère, en 2007.

Une somme totalement négligeable par rapport aux gains, qui n’a en rien empêché la famille Sackler de devenir richissime. Mortimer Sackler, l’un des deux frères ayant fondé Purdue Pharma, s’est même empressé d’abandonner la nationalité américaine pour payer moins d’impôts.

La famille a d’ailleurs été entre autres une mécène du Louvre. Son nom était inscrit pour douze salles de l’aile des antiquités orientales du Louvre depuis 1997, avant d’être enlevé cet été en raison d’une protestation qui vient d’être mené par le groupe PAIN, qui vise tous les mécénats artistiques faits par la famille Sackler.

Cependant, il s’agit de simples entrepreneurs : le père des deux frères fondateurs était un simple épicier. Si ce n’était pas eux, cela aurait été un autre, car le véritable problème est la manière de concevoir la santé dan un système fondé sur la compétition.

Les assurances privées américaines ne veulent pas payer sur le long terme et les gens veulent être rapidement efficaces, pour continuer à « fonctionner ». C’est la fuite en avant et l’opioïde qu’a été l’OxyContin a répondu à une véritable demande.

Le résultat, c’est qu’entre 1991 et 2011, les prescriptions d’antidouleurs sont passés de 76 millions par an, à 219 millions par an. En 2016, on était passé à 289 millions de prescriptions par an.

Une évolution des prescriptions de l’hydrocodone et de l’Oxycodone.
Les données cessent ici au moment de l’arrivée de la Fentanyl,
qui est elle non plus semi-synthétique, mais synthétique.

Le nombre de morts est tel – 130 par jour, en comptant l’héroïne qui est à l’origine d’un tiers des morts – que pour la première fois depuis les années 1950, l’espérance de vie aux États-Unis est de nouveau en baisse. Les victimes ne sont évidemment pas les couches supérieures de la société. Ce sont, si l’on veut, les électeurs de Donald Trump : blancs, pauvres, vivant en périphérie plutôt rurale.

Les états de la Virginie occidentale de l’Ohio sont les plus touchés. La Virginie occidentale est l’un des états les plus pauvres – Donald Trump a obtenu 68,5% des voix en 2016, son meilleur score. Il a également gagné dans l’Ohio, avec 51,69%, alors que les démocrates avaient gagné les deux précédentes présidentielles. Google y a ouvert cet été un centre de traitement des personnes dépendantes aux opioïdes.

Pour 2012, la carte du nombre de prescriptions pour 100 personnes.
On remarquera que dans tous les cas, le chiffre dépasse 50% !

Les populations amérindiennes sont également touchées, entre 1999 et 2015 le nombre d’overdoses a été multiplié par cinq. Les populations afro-américaines échappent par contre à cette tendance, en raison de leur marginalisation sociale.

Car la crise des opioïdes n’est pas une crise des marges de la société, elle se développe en son cœur même.

L’État américain a d’ailleurs essayé de mettre un frein. Comme on le sait, on ne peut pas freiner un phénomène ancré dans la société, on peut le renverser, le dépasser, mais pas le mettre de côté. Il s’est donc passé une chose simple : en rendant les prescriptions plus difficiles, il y a une vague de passage à l’héroïne.

Toute la question de la drogue mexicaine vient de là. Plus de 90 % de l’héroïne aux États-Unis vient du Mexique ; entre 2005 et 2018, la production mexicaine d’héroïne a été multipliée par 10.

Chiffres du nombre d’hectares de production d’héroïne au Mexique,
et de la production pure estimée, en tonnes.

La troisième crise a quant à elle commencé en 2013, avec l’arrivée sur le marché d’un nouveau produit, le Fentanyl, qui est 100 fois plus fort que la morphine, 40 à 50 fois plus fort que l’héroïne. En 2016, il y avait aux États-Unis déjà 20 100 morts par overdose de Fentanyl, parmi lesquels le chanteur Prince.

Il faut dire, des pharmaciens et des médecins géraient des «pill mills», des endroits où recevoir des prescriptions adéquatement placés près des grands axes, ce qui en a fait de véritables supermarchés légaux pour opioïdes. 200 personnes par semaine, pour 250 000 dollars de bénéfices par mois…

Il faut bien comprendre que l’ouverture légale aux opioïdes a engendré toute une mafia et cela au coeur même de la société. Avec un appel d’air sur le plan des profits : un kilo d’héroïne coûte 6-7000 dollars à fabriquer, un kilo de fentanyl 5000 dollars. Le premier rapportera 80 000 dollars, le second peut tellement être dilué qu’il en ramènera 1,5 million de dollar.

C’est un énorme problème d’ailleurs pour les policiers et les premiers secours. Rien qu’en contact avec la peau peut provoquer un coma ! Aussi, désormais, la naloxone, connue sous le nom commercial de narcan aux Etats-Unis et servant d’antidote, fait partie de leur matériel !

Donald Trump a justement imposer un état d’urgence sanitaire en octobre 2017, afin de débloquer six milliards de dollars pour que la naloxone, qui fonctionne comme injonction nasale, soit plus aisément disponible dans le pays.

Tout cela est donc désormais connu de par l’opinion publique, dans ses grandes lignes. Des sentences tombent : cette année, l’entreprise Johnson & Johnson a fait un accord pour payer 572 millions de Dollars. Mais c’est trop tard. Les estimations les plus pessimistes craignent 500 000 morts dans les dix prochaines années comme conséquence de la crise des opioïdes.

Et, déjà, entre 1999 et 2017, 400 000 personnes sont décédées en raison d’une overdose d’opioïdes.

Il faut ici préciser qu’il est parfois considéré que les estimations officielles du nombre de morts par overdose d’opioïdes sont sous-évaluées et qu’il faudrait augmenter leurs chiffres de 30% !

Les coûts pour la société, en plus des pertes humaines, sont énormes. Il est déjà estimé par l’État américain lui-même que toute cette crise coûte 500 milliards de dollars par an à la société.

C’est toute une société en faillite économique, culturelle, humaine. La machine à vendre du rêve tourne à fond, mais l’envers du décor est terrifiant.

Et il va le rester. Purdue Pharma, au centre de la tourmente, vient tout juste de passer un accord provisoire : elle va proposer de payer 12 milliards de dollars, dont 3 par la famille Sackler, en devenant parallèlement un «public beneficiary trust », une entreprise dont les bénéfices serviront pour payer.

C’est un beau coup de jarnac : le capitalisme vend des horreurs à des gens voulant fuir le réel, les profits s’accumulent, la société et l’État réparent ensuite ce qui peut l’être, et on recommence.

C’est la conséquence inévitable d’un mode de vie anti-naturel, célébrant les egos et faisant de l’intoxication un style en soi. Une société rejetant les valeurs vegan straight edge au quotidien ne peut que s’enfoncer dans une crise de civilisation.

Aux Etats-Unis, la conscience de la gravité de la situation est là et Donald Trump a été obligé d’être très lyrique :

« Nous causerons une défaite à cette crise, nous protégerons nos merveilleux enfants, et nous leur assurerons un avenir meilleur, plus fort et plus grand que tout ce qui a existé auparavant. »

Mais il est lui-même une partie du problème. Et cet exemple américain n’est qu’un reflet extrême de ce qui se passe en France, dans de moindres grandes proportions, mais dans la même tendance et à terme la même ampleur.

C’est l’agonie existentielle d’un monde sans empathie, sans compassion, fondé sur les egos.

L’arbre, ses blessures, ses cicatrices, ses compartimentations

L’arbre est un être vivant et par conséquent, il peut lui arriver d’être blessé. Ces blessures sont plus ou moins graves et ce qui est d’autant plus intéressant, c’est de voir qu’il existe un grand débat pour savoir dans quelle mesure l’arbre est capable de faire face, tout seul, à ses blessures.

La Nature existe-t-elle ou bien l’arbre n’est-il qu’une accumulation de matières premières, du bois vivant mais concrètement quasi mort dans sa définition même?

Regardons déjà à quoi ressemblent les blessures peuvent avoir de multiples origines, mais dans tous les cas, c’est comme pour les êtres humains, il y a comme une sorte de trou. Voici un exemple où l’on voit bien une ancienne blessure, avec comme une plaie rebouchée.

Il est bien connu qu’en France, jusqu’à il y a une trentaine – quarantaine d’années, on appliquait une méthode totalement absurde consistant à… boucher le trou de l’arbre avec du béton. Comme si le trou existait dans une construction, dans un bâtiment, etc. Il va de soi qu’un être vivant à qui on met du béton en lui le vit plutôt mal…

Avant le béton, il y avait l’utilisation de l’onguent de Saint-Fiacre, c’est-à-dire de la bouse de vache mélangée à de l’argile. La technique existe encore, tout comme de nombreux magasins proposent du mastic spécial arbres blessés.

C’est qu’on a compris très tôt que si la plaie ne se refermait pas correctement, l’arbre risquait sa vie… A moins que cela ne soit plus compliqué que cela.

Si les soins échouent, les conséquences physiologiques sont théoriquement significatives. Pour l’arbre, cela veut dire que l’eau va avoir du mal à circuler, tout comme les éléments chimiques vitaux. Ce qu’on appelle la sève voit sa circulation perturbée. Il peut y avoir une infection, avec des champignons s’incrustant, avec un phénomène de pourrissement.

En fait, l’écorce sert de protection à la vie interne de l’arbre. C’est pourquoi ce dernier va donc chercher à cicatriser, tout comme nous. Il se forme alors un bourrelet cicatriciel, qui va progressivement, dans un mouvement partant des bords, recouvrir la plaie, pour rétablir l’écorce.

Ce bourrelet progresse très lentement, tant qu’on le remarque facilement, il est encore en action…

Pour cette raison, les élagueurs doivent faire attention à ce que le futur bourrelet puisse bien se développer. Si une partie du cercle du bourrelet n’a pas les moyens d’exister parce qu’on a mal coupé, alors c’est un échec aux conséquences terribles pour l’arbre. De la même manière, la plaie doit éviter de dépasser 5-10 centimètres.

Sans cela, le trou ne se referme pas et c’est justement alors un abri pour beaucoup d’êtres vivants. ce qui est une bonne chose.

Or, les arbres creux peuvent tout à fait être vivants. Cela est pourtant incompatible avec l’interprétation d’une bataille pour la survie où l’arbre est censé faire face au reste de la vie pour survivre, etc. C’est qu’évidemment la Nature est en réalité un ensemble et non pas un assemblage d’éléments en compétition.

C’est là où se complique donc la conception comme quoi la blessure est forcément mortelle. On trouve ici une approche très intéressante du biologiste et phytopathologiste du Service des forêts des États-Unis Alex Shigo (1930-2006), l’un des plus grands spécialistes des arbres.

Selon lui, un ajout de quelque chose pour soigner la plaie d’un arbre est inutile et même nuisible, car interférant avec le processus naturel. Alex Shigo considérait que l’arbre n’était pas du « bois mort » et qu’il était capable de compartimenter ses éléments pour bloquer une infection.

Voici comment il résume la question:

La plupart des soins inappropriés appliqués aux arbres résultent de la confusion entre les arbres et les animaux : dans de nombreux cas, on traite les arbres comme des animaux, voire comme des humains… On panse les plaies des arbres afin d’éviter l’infection et l’altération, et de favoriser la cicatrisation.

On nettoie les parties altérées jusqu’au bois sain, comme un dentiste nettoie une carie.

On taille les branches au ras du tronc, et dans certain pays, on taille des facettes dans l’écorce du tronc à la base de la branche : on imagine que la cicatrice qui apparaît est un signe de guérison de l’arbre. Aucun de ces traitements n’est curatif ; paradoxalement, tous sont nuisibles.

Aucune étude scientifique ne permet d’affirmer que l’application d’une quelconque substance sur une blessure empêche l’altération. Les mastics utilisés ont surtout un effet esthétique (outre le fait que cette pratique rassure les gestionnaires des arbres).

Nettoyer une cavité de bois altéré pour mettre le bois sain à nu est le plus sûr moyen de propager l’infection au bois sain ; cette pratique est certainement ce que l’on peut imaginer de pire et de plus nuisible pour l’arbre, car l’existence même d’une telle cavité indique que l’arbre avait réussi à circonscrire la zone d’altération.

Enfin, une taille inappropriée favorise la contamination des cellules blessées du tronc. A la base de chaque branche se trouve un renflement que l’on appelle un bourrelet axillaire : ce bourrelet renferme des tissus de protection de la branche, c’est-à-dire les tissus qui produisent les défenses chimiques de la branche. Il faut éviter de blesser ce bourrelet lors des opérations de taille.

Sa conception est dénommée CODIT, pour Compartmentalization of decay in trees, ce qu’on peut traduire par Compartimentation du pourrissement dans les arbres.

Elle va de paire avec la compréhension que le développement de champignons, la présence d’eau ou d’animaux, ne signifie pas du tout forcément quelque chose de négatif pour l’arbre. Il y a des interactions qui se forment, une adaptation de l’arbre qui se développe et profitant à tout le monde.

Alex Shigo dépasse ainsi la vision de Robert Hartig (1839-1901), qui fut le premier à étudier le rapport entre les champignons et le pourrissement des arbres.

Selon Alex Shigo, les arbres compartimentent. Ils ne peuvent pas se déplacer, donc pas fuir. Ils ne font pas non plus des « auto-réparations » comme le font les animaux. Ce qu’ils font, c’est qu’ils isolent des secteurs.

Voici un exemple. La partie en noir témoigne de l’isolement d’une infection par des champignons profitant du trou causé par un tir de chevrotine. Au bout de cinq ans, le trou est refermé et la croissance reprend par-delà le secteur isolé. L’arbre a été coupé neuf ans après l’apparition du trou.

Voici une image tirée d’un article d’Alex Shigo, où l’on voit bien le processus d’isolement de la partie de l’arbre ayant pourri.

Voici une autre image présentant, de la même manière, la compartimentation du pourrissement.

Voici une autre image, symbolisant cette fois la compartimentation interne du tronc. Il va de soi que c’est schématique, juste pour donner l’idée. Au sens strict, cela veut dire qu’un arbre… est une sorte de multi-arbres, ceux-ci poussant au milieu des autres, chaque anneau amenant un nouvel élément.

Voici comment L’éclaircie du service canadien des forêts présente les murs de la compartimentation.

• Mur 1 : il vise à bloquer les éléments conducteurs du bois (par exemple, les vaisseaux).
• Mur 2 : les épaisses parois des cellules formant le bois final de chaque cerne annuel lui confèrent son efficacité.
• Mur 3 : mur discontinu formé par les cellules de rayon.
• Mur 4 : formé à la suite d’un dommage, il correspond à une bande plus ou moins épaisse de cellules contenant souvent des composés antibiotiques et très résistants aux micro-organismes. Son rôle est d’isoler le bois atteint du bois sain.

Comme on le voit, tout cela est incroyablement complexe et on n’en est qu’au début. Alex Shigo attribue, pour l’anecdote, la possibilité des découvertes à… la tronçonneuse, permettant des coupes en longueur et une étude plus approfondie. Lui-même a étudié des arbres coupés par milliers à travers le monde…

C’est que pour comprendre la vie d’un arbre, le développement d’une maladie, il faudrait voir comment cela se développe en son intérieur. Au lieu de fabriquer des bombes, c’est vers une capacité à voir un arbre dans son développement qu’il faut aller!

Toute cette vision scientifique n’en est encore qu’à ses débuts. A l’humanité d’être à la hauteur pour se tourner vers la Nature et comprendre son incroyable richesse, en se mettant à son service.