La situation de la Cause animale en France en janvier 2025

La Terre d’abord ! a commencé ses publications en octobre 2008, à la suite d’un autre média lancé en 2004 en mode « blog », Vegan Revolution. Nous avons longtemps publié de manière très régulière, quotidienne, avant un grand essoufflement dans la seconde moitié des années 2010.

Nous restons toutefois fidèles à nos convictions, nous sommes toujours partie prenante de la Cause animale et nous sommes des observateurs avisés, scrutant ce qui se passe, prêts à contribuer à ce que les choses progressent.

Notre expérience pratique ne s’est jamais arrêtée. Et nous le disons : il faut commencer à se tenir prêt pour la quatrième vague du véganisme.

Dans les années 1990, le véganisme a commencé à apparaître en France dans les milieux des squats et de l’anarcho-punk, en étant tout de même très marginal tant dans les milieux squats que punks.

Les années 2000 ont vu apparaître une nouvelle génération, influencée par ce qui se passait en Angleterre et aux Etats-Unis. Son travail de fond a permis au terme « vegan » d’exister à grande échelle en France, avec une philosophie militante à l’arrière-plan.

Puis vinrent les années 2010 qui ont amené la grande catastrophe, avec le triomphe des opportunistes, qui ont espéré faire carrière à travers le véganisme. Plus ou moins sincères, ils ont considéré qu’en se mettant eux-mêmes en avant, ils feraient avancer la Cause.

Ils ont voulu faire vivre la cause, ils ont en réalité vécu aux dépens de la Cause, en montant une association, une épicerie, une boutique, un restaurant. Naturellement, bien peu ont réussi, mais cela a été une tendance générale, d’esprit très petit-bourgeois, très commerçant.

On ne peut pas dire que ceux qui ont réussi à « s’installer » au moins pour quelques temps (L214, 269 Libération animale, le Parti animaliste…) n’ont pas une démarche commerçante. C’est absolument évident. Ils ont voulu profiter de la mode pour faire carrière.

Pour s’installer dans le décor, ces gens ont dilué les valeurs de morale et d’abnégation, ils ont diffusé la thèse mensongère d’une avancée permanente du « bien-être animal ».

La mode n’a duré qu’un temps bien entendu. Le résultat, au premier janvier 2025, est que non seulement le véganisme n’existe que de manière vraiment marginale en France, mais qu’en plus il est considéré comme une lubie de bobos dans les centres-villes.

Si on compare la situation française aux autres pays relativement similaires (l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne…), il faut bien le dire, c’est un désastre. Pour donner un exemple hautement significatif : avoir des enfants vegan en France est une bataille gigantesque, tellement il faut affronter les institutions scolaires et médicales, au point que c’est pratiquement impossible.

Le véganisme a été absorbé par la société française, tout en restant un corps étranger. On a perdu en profondeur, sans gagner en dimension. Il y a bien davantage des gens qui deviennent vegans… mais ils ne le restent pas. Aux yeux des gens, c’est une sorte de petite mode rebelle, isolée, marginale, portée par des gens « qui en font trop » et qui de toutes façons finiront bien par changer.

La pâte à tartiner britannique « Marmite », avec de l’extrait de levure, était pratiquement le seul moyen d’avoir de la B12 pour les vegans en France dans les années 1990

Au-delà de cela, il y a l’essentiel, qui est la Cause animale. Là, c’est la catastrophe absolue. La situation ne s’est nullement améliorée pour les animaux sauvages ; quant aux animaux utilisés comme « viande » ou « animaux de compagnie », leur situation est catastrophique et du côté des associations de protection des animaux, c’est la misère totale.

Les associations n’ont ni moyens, ni personnel. Cela tient uniquement par le don de soi de quelques personnes sacrifiant littéralement leur vie, et par la présence, qui ne durera pas, de personnes âgées qui ne sont pas pourries par l’individualisme consommateur.

Les associations pour les animaux n’ont le soutien ni de la part des vegans, ni des jeunes. Cela montre bien qu’il y a un problème !

Il y a bien entendu quelques avancées ici ou là, mais cela ne concerne finalement que l’ouverture de nouveaux marchés pour des consommateurs « conscients », qui veulent plus de bio, de la « viande » plus « éthique ».

On peut très bien résumer les choses en disant que pour les Français, le véganisme est l’aile extrême du flexitarisme. Même les restaurants vegans, pour la plupart, présentent les choses ainsi : très rares sont les restaurants qui s’assument vegans. Soit ils masquent le terme, soit ils l’associent à « végétarien » (même si le restaurant est végétalien).

C’est révélateur de comment le véganisme, pour les Français, reste une sorte de « secte » extrémiste. Ce qui pousse les vegans même activistes à la capitulation dans la formulation, dans l’affirmation. Le véganisme français ne tient pas face à la pression sociale et c’est là le vrai problème.

Il est tout à fait possible de voir à quel moment ça s’est produit, à quel moment le véganisme en France s’est fait intégrer et désintégrer. Voici nos statistiques, qui sont intéressantes parce qu’elles montrent le tournant de 2016.


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20081 61812 023
200911 57683 264
201044 211106 586
2011103 773568 627
2012167 927913 144
2013158 2141 514 890
2014202 1511 793 556
2015263 0672 348 489
2016297 5482 299 862
2017272 9701 169 862
2018257 478976 103
2019229 745844 907
2020164 241978 777
2021107 254526 090
202285 467505 251
202396 629702 653
2024114 770690 867

La cassure, c’est vraiment le milieu des années 2010, lorsque Nicolas Hulot prend la tête de l’écologie à la française et Aymeric Caron la tête du véganisme à la française, lorsque toute la scène végane militante s’évapore du jour au lendemain et que L214, soutenu par les grands médias, se présente comme la « grande association » pour les animaux.

La revue britannique Arkangel fondée en 1989 et qui dura 31 numéros fut un grand marqueur de la culture de la libération animale

Il y a une grande preuve à ce que nous avançons. Il suffit de constater l’étonnement général lorsque l’on avance l’idée que la Covid-19 (SARs-CoV-2) est issue, d’une manière ou d’une autre, de la destruction du monde vivant.

Le virus est né d’une mutation produite par les grandes fermes industrielles, par le caractère dénaturé de la situation des animaux accumulés en masse pour être massacrés et mangés. Tout le monde en avait parlé au moment de l’émergence de la pandémie, il y a eu une vraie réflexion critique autour de ce thème.

Puis… tout a disparu. Le thème s’est évaporé du jour au lendemain. Ici, nous allons dire les choses de manière franche : si l’élan des années 2010 avait réussi à se prolonger jusqu’à la pandémie de 2020, le véganisme aurait pu jouer un rôle majeur en France.

Il aurait pu faire une vraie critique des choses telles qu’elles existent, il aurait possédé une vraie légitimité dans sa dénonciation. La pandémie était une preuve du caractère démesuré et horrible de l’exploitation animale et cette preuve, il aurait été possible de l’utiliser dans l’argumentation en faveur du véganisme.

Pourtant, nous voulons souligner la chose suivante : la pandémie a provoqué un grand choc psychologique et il n’est pas bien difficile de constater que les gens sont devenus passifs et insensibles. Il y a quelque chose de cassé chez eux.

C’est là où le véganisme peut et doit avancer, comme affirmation de la compassion, de l’empathie, de rapports naturels, authentiques.

Si l’on part du principe que le véganisme est le grand retour de la sensibilité dans les mentalités, alors il est évident que celui-ci va revenir sous une nouvelle forme, car le monde d’après la Covid-19, surtout dans les nouvelles générations, il y en a un besoin existentiel.

Un besoin existentiel d’universel, de compassion, de reconnaissance des animaux, de respect de la Nature, d’un environnement qui soit autre chose que la laideur des ronds-points.

Il est absolument impossible qu’on en reste là et que le véganisme soit simplement une annexe, l’équivalent d’un tout petit rayon végétalien dans un magasin bio ou un Monoprix.

Le véganisme véhicule toute une culture du sensible, du doux, du solidaire, de l’engagement en faveur des autres, du partage. Il y a la reconnaissance du vivant, de la vie elle-même. Ce n’est pas pour rien qu’il y a toujours eu une grande majorité de femmes dans le véganisme.

Dans le véganisme, les différences d’âge, de religion, d’origine ethnique sont dépassées. Au service des animaux, l’universel s’exprime, donnant le sentiment d’être à sa place, d’agir de manière juste.

Car ce qui compte, c’est le rapport aux animaux, à la Nature, pas la fuite en avant dans la consommation des objets et des gens, pas la soumission à un mode de vie urbain hédoniste de bobo cherchant un supplément d’âme dans la vanité.

Il faut se tourner vers les animaux, il faut valoriser les animaux. Le véganisme, ce sont les animaux, c’est la Nature, pas des êtres humains auto-satisfaits de simplement éviter les horreurs de l’industrie massacrant les animaux.

La libération animale a pour beaucoup été portée par une partie de la scène musicale punk hardcore, à la fin des années 1980 et le début des années 1990

Maintenant, il y a la question de savoir comment dépasser les problèmes. Nous allons dire les choses simplement, ou plutôt nous irons droit au but. En France, les gens ne savent pas être simplement vegan par compassion pour les animaux, en ajustant leur mode de vie à leur amour pour les animaux.

Les Français relient le véganisme à la noirceur, à la tristesse, à un côté lugubre. Résultat, au lieu d’avoir un véganisme joyeux porté par l’amour des animaux, on a un véganisme dépressif et assumé comme tel d’ailleurs par des gens qui croient bien faire.

Alors, évidemment, la condition animale a de quoi traumatiser. Mais ce n’est pas l’aspect qui doit l’emporter, et trop de gens traumatisés finissent par se complaire là-dedans. Il nous faut un véganisme en couleur, pas en noir et blanc !

Nous disons ça avec d’autant plus de facilité que les vegans sont en général invisibles dans les refuges pour animaux et dans la protection animale en général.

Pour nous, c’est la preuve d’un problème de fond. Le véganisme a connu un hold up par des gens qui parlent sur les animaux, pas des animaux. Ils ne s’intéressent pas aux animaux, à la vie sauvage. Ils prennent les animaux comme prétextes pour exprimer une certaine noirceur, une certaine tristesse.

Il y a une forme de dignité dans tout cela, mais cela pourrit le véganisme. Il y en a même d’ailleurs qui poussent cette logique jusqu’au bout pour faire du véganisme un support du nihilisme nationaliste, du racisme et de l’agressivité.

C’est improductif. Or, le véganisme doit être productif, car les animaux ont besoin de nous. C’est l’humanité dans son ensemble qui mène la guerre aux animaux, c’est l’humanité dans son ensemble qui doit la cesser.

Il faut bien le dire, il est arrivé au véganisme ce qui arrive à tout ce qui existe dans une société capitaliste : il s’est fait rattraper. Le véganisme a commencé comme contre-culture dans les années 1970-1980-1990, et a été formaté par le mode de vie dominant.

Pourquoi cette situation ? Parce que le capitalisme a fait que n’importe qui peut récupérer n’importe quoi.

Des gens se sont appropriés le véganisme sans rien n’y connaître, diffusant des conceptions opposées finalement au véganisme, affaiblissant la Cause puis disparaissant du jour au lendemain.

D’autres, et c’est très courant, se disent vegan sans réellement l’être, afin d’acquérir une sorte de prestige moral. Leur hypocrisie profite du fait que dans une société capitaliste, on est censé être libéral et donc ne pas les critiquer, car après tout s’ils se considèrent comme vegan, cela suffirait en soi.

Voilà comment on est passé, pour décrire la situation à grands traits, des actions illégales de l’ALF au restaurant chic des centres-villes, et encore n’est-ce même pas vrai pour la France. En fait, s’il n’y avait pas les touristes, on peut même se demander où en serait la présence du véganisme en France.

Donc, que faut-il ? Pour que le véganisme prenne une ampleur collective significative et sorte du piège égotique, il faut affirmer l’utopie.

Oui, il est nécessaire qu’une société nouvelle se dessine, dans tous les aspects de la vie, en cohérence avec, a minima, l’abolition de l’exploitation animale comme partie prenante du projet politique.

C’est le sens de notre mot d’ordre La Terre d’abord !, lié à la culture américaine d’Earth First ! et à l’écologie radicale en général. Il faut un projet de dimension planétaire, avec des valeurs universelles. L’humanité en a besoin, la planète en a besoin.

On ne peut plus vivre comme ça. Il faut transformer le monde, sortir des valeurs archaïques et vivre d’une manière nouvelle.

Nous avons été les premiers à associer formellement le véganisme à l’écologie, et nous pensons que c’est toujours très pertinent. Sur le plan des valeurs, tout se rejoint.

D’ailleurs, si on regarde, il est arrivé à l’écologie ce qu’il est arrivé au véganisme. De manière notable, lorsque nous avons commencé, les écologistes n’étaient pas encore installés comme ils le sont aujourd’hui, avec un parti politique, des publicités permanentes des entreprises à ce sujet, un discours officiel de la part de l’Union européenne.

Il y avait une forme de marginalité dans l’écologie, avec par exemple peu de magasins bios, et dans chaque magasin bio des revues gratuites d’esprit « new age », avec des adresses de magnétiseurs, des publicités pour des moyens filtrer l’eau ou des pierres « magnétiques ».

Cela ne fait pas rêver, bien entendu, mais c’est pour dire que l’écologie, comme le véganisme, a été porté par des petits cercles marginaux cherchant à développer une alternative.

Les grandes idées ne tombent pas du ciel et il faut des gens pour produire de la culture.

L’échec d’une tentative ne doit pas conduire à la capitulation, mais à la reprise des fondamentaux, en les améliorant.

C’est ce qui fait que comme pour le véganisme, il y a désormais le moyen de relancer l’écologie maintenant qu’on a passé toute une phase où il y a eu récupération, intégration, perte de substance.

Nous avons besoin de la Cause animale et de l’écologie, ce sont des exigences morales de la plus haute importance, ce sont les leviers pour une vie digne et épanouie.

C’est pourquoi nous disons qu’il faut se tenir prêt à une quatrième vague de véganisme, ou si l’on préfère, à une seconde vague si on considère que les années 1990-2000-2010 relèvent d’une seule et même phase, inévitable.

Barry Horne (1952-2001) a rejoint la Cause à 35 ans seulement, dans les rangs de l’ALF puis de l’ARM, et est décédé à la suite d’une longue grève de la faim contre la trahison du parti du Labour qui avait promis une enquête publique sur l’expérimentation animale

Le véganisme n’a pas réussi en France à passer le crash-test de la réalité. Commencé dans la marginalité, il s’est fait désintégrer par l’esprit de consommation.

Nous devons relancer le processus. En se souvenant de ce que disait Barry Horne, en 1993. Il tenait ces propos alors que l’ALF était devenu un vrai mouvement populaire à la fin des années 1970 et au début des années 1980, pour ensuite s’effondrer.

« Les animaux continuent de mourir et la torture continue de manière toujours plus grande.

La réponse des gens à cela ? Plus de veggie burgers, plus de bières spéciales, et plus d’apathie. Il n’y a plus de mouvement libération animale. Cela est mort il y a bien longtemps.

Tout ce qui reste, c’est une petite poignée d’activistes qui se préoccupent, qui comprennent et qui agissent.

Pour certains d’entre nous, la libération animale EST une guerre que nous avons l’intention de gagner… Les larmes sont réelles, nos cœurs se brisent vraiment et nous SOMMES préparés à mourir pour cela, pas simplement à chanter cela. »

« Ce combat n’est pas pour nous, ni pour nos désirs et besoins personnels.

Il est pour tous les animaux qui ont souffert et sont morts dans les laboratoires de vivisection, et pour tous les animaux qui souffriront et mourront dans ces mêmes laboratoires si nous ne mettons pas maintenant fin à cette entreprise maléfique.

Les âmes des morts torturés réclament justice, les vivants réclament la liberté. Nous pouvons créer cette justice et offrir cette liberté. Les animaux n’ont personne d’autre que nous. Nous ne les décevrons pas. »

Barry Horne n’a jamais abandonné la Cause animale et est décédé très isolé, lors d’une grève de la faim en 2001, alors qu’il protestait contre la trahison du Labour britannique envers les mesures qu’il devait prendre en faveur des animaux.

Ce qu’il nous enseigne, c’est d’assumer l’abnégation et l’engagement, la détermination et la sensibilité la plus grande – ce que les Français sont prompts à considérer comme du fanatisme. Car les Français aiment à se la jouer « raisonnable », à rejeter la Nature comme cruelle, sale et égoïste.

Nous disons au contraire qu’il faut retourner à la Nature, la célébrer. Les animaux ont besoin de nous, la Nature a besoin de nous.

En avant vers l’Eden !