Quand on pense aux jardins, on peut penser au divertissement ou la tranquillité, mais ce n’est pas forcément le cas : parmi les premiers jardins qui ont eut une grande importance, il y a ceux de Platon et d’Aristote, lieux d’intense réflexion.
La Grèce de l’Antiquité avait déjà une culture de la promenade, avec des allées dans les villes, où l’on pouvait se promener, discuter, faire des jeux, se confronter sportivement, etc.
A Athènes, plusieurs jardins étaient dédiés au héros mythique Academos, et c’est dans un de ces jardins qu’a débuté l’école de Platon, appelé pour cette raison « académie. »
Platon et ses disciples disposaient alors d’un grand jardin, avec plusieurs autels (les jardins dédiés à Academos en avaient toujours), des salles de cours et une bibliothèque, des habitations et un gymnase.
Il ne s’agit pas que d’un décor : Platon enseignait dans le jardin, par la suite il fit lui-même l’acquisition d’un jardin où il enseigna.
Son disciple Aristote fit de même, dans un jardin au sein du Lykaion, le « gymnasion » (du grec gymnós qui signifie « nu ») dédié à Apollon Lykaios (c’est-à-dire au dieu Apollon sous l’un de ses aspects, Lykaios désignant la lumière).
Le mot a évidemment donné « lycée » en français (mais il faut aussi penser au mot école, car le gymnasion était un lieu où l’on devait progresser, se parfaire – σχολή, scholé en grec, notamment pour les sportifs).
Les disciples d’Aristote étaient appelés les « Lukeioi Peripatêtikoi », « ceux qui se promènent près du Lycée », les péripatéticiens (du terme grec peripatein, « se promener », le terme en français a fini par désigner les prostituées!).
Le jardin était donc synonyme de réflexion; la pensée devait être à l’air libre, et non pas enfermée.
Le jardin peut même être le lieu à l’écart de rassemblement de ceux qui veulent vivre pacifiquement: Épicure ouvrit également son jardin, ouvert aux hommes ainsi qu’aux femmes, et où lui-même enseigna jusqu’à sa mort.
On ne sait quasiment rien de ce jardin, mais voici ce qu’en dit Sénèque dans les Lettres à Lucilius, qui montre la dimension pacifique et tranquille du jardin.
Pour bien comprendre le passage, il faut penser que l’épicurisme vise la « paix de l’âme », l’ataraxie, et qu’il s’agit d’une philosophie matérialiste (opposé à l’académie platonicienne donc, et d’ailleurs situé non loin, faisant une sorte de concurrence).
Or, certains pensaient que l’épicurisme vise simplement à satisfaire ses besoins brutalement (c’est encore ainsi que beaucoup comprennent le mot épicurisme), alors qu’en réalité il s’agit d’un éloge de la simplicité et de la frugalité, du contentement naturel de la vie. Sénèque se moque de ceux qui n’ont pas compris l’épicurisme.
Si je cite volontiers toute noble parole d’Épicure, c’est surtout pour les gens qui se réfugient dans sa doctrine séduits par un coupable espoir, s’imaginant trouver là un voile à leurs vices : je veux leur prouver que, n’importe le camp où ils passent, il leur faut vivre vertueusement.
Lorsqu’ils approcheront de ces modestes jardins, de l’inscription qui les annonce : « Passant, tu feras bien de rester ici ; ici le suprême bonheur est la volupté ! » il sera obligeant le gardien de cette demeure, hospitalier, affable : c’est avec de la bouillie qu’il te recevra ; l’eau te sera largement versée ; et il te demandera si tu te trouves bien traité.
« Ces jardins, dira-t-il, n’excitent pas la faim, ils l’apaisent ; ils n’allument pas une soif plus grande que les moyens de la satisfaire : ils l’éteignent par un calmant naturel et qui ne coûte rien. Voilà dans quelle volupté j’ai vieilli. »
Je ne parle ici que de ces désirs qui n’admettent point de palliatif, auxquels il faut quelque concession pour qu’ils cessent. Pour ceux qui sortent de la règle, qu’on peut remettre à plus tard, ou corriger et étouffer, je ne dirai qu’un mot : cette volupté, bien que dans la nature, n’est point dans la nécessité ; tu ne lui dois rien : si tu lui fais quelque sacrifice, il sera bénévole.
L’estomac est sourd aux remontrances : il réclame, il exige son dû ; ce n’est pas toutefois un intraitable créancier ; pour peu de chose il nous tient quittes : qu’on lui donne seulement ce qu’on doit, non tout ce qu’on peut.