Comprendre sans effort le langage des fleurs

Quand on pense à Charles Baudelaire, on imagine un dandy coupé de toute réalité se contentant de paradis artificiels. C’est là une caricature très lycéenne, qui n’a pas de rapport avec la réalité.

Baudelaire est un individu tourmenté, évidemment, mais son œuvre oscille entre le spleen et l’idéal, et il est erroné de ne retenir que le spleen, car Baudelaire était un romantique et donc quelqu’un qui tentait de trouver l’idéal.

Voici justement un poème qui parle de cet « idéal » et on peut y voir de manière évidente le rapport à la nature, qui est la solution.

Comment ? Baudelaire ne le sait pas, évidemment, c’est un romantique, son option passe vite au « cosmique » et la nature est pour lui une porte vers un univers parallèle, elle n’a pas de valeur en soi.

C’est la différence avec les néo-romantiques du 20ème et 21ème, pour qui la nature n’est même plus une porte (à part dans certains courants du Black Metal) vers l’idéal.

Baudelaire est donc comme Rimbaud, son romantisme fait qu’il a des limites, mais il parle de la nature, il voit la nature, il la ressent, et c’est cela est très précieux et nous parle…
Car nous aussi, nous voulons « comprendre sans effort le langage des fleurs » !

Élévation

Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éthers,
Par delà les confins des sphères étoilées,

Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde,
Tu sillonnes gaiement l’immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;
Va te purifier dans l’air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse
S’élancer vers les champs lumineux et sereins ;

Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
– Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes !

Charles Baudelaire, Les fleurs du mal