Réactions délirantes face à l’hiver

Voici deux intéressants documents sur l’hiver et les réactions qu’il y a en France. Le second document vient de Sortir du nucléaire: « Hiver, nucléaire et pics de consommation : non, tout n’est pas de la faute des égoïstes Allemands ! » et il présente un aspect intéressant: comment le lobby du nucléaire tente de se présenter comme incontournable, alors que le chauffage électrique est un mauvais choix à la base.

Mais voici tout d’abord un extrait d’une interview donnée au Figaro par Emmanuel Garnier (historien du climat, membre senior de l’Institut universitaire de France à l’université de Caen et professeur invité à l’université de Cambridge).

Ce climatologue sert la soupe, comme on dit, les thèses de l’UMP contre « l’Etat-providence », mais justement dans les réponses que nous citons ici, il constate un phénomène que nous avons tous et toutes pu remarquer: en France, les gens sont totalement déconnectés de la nature, ils ne comprennent même plus qu’il puisse faire froid en hiver!

Le Figaro – Un coup de froid au cœur de l’hiver et cela devient le sujet de conversation numéro un des Français, pendant plus d’une semaine. Sommes-nous une exception?

Emmanuel Garnier – En France, la météo n’existe que par ses manifestations extrêmes. On n’en parle que lors des grosses ruptures. Cela conduit le plus souvent à une sorte de dramatisation. Une forme de catastrophisme qui est typiquement française. Je me souviens l’été dernier d’avoir été sollicité sans cesse sur le manque de pluie. Alors qu’on ne parlait pas encore de sécheresse on projetait déjà l’effondrement des cours des céréales. On pourrait presque dire que nos concitoyens manifestent une «intolérance» à la météorologie non standard.

Qu’est-ce qu’une météorologie standard?

Si l’on caricature un petit peu, les Français considèrent qu’un bon hiver est un hiver sans neige et sans verglas en ville ou sur les routes mais avec un parfait enneigement dans les stations de ski… Globalement, ils ne sont jamais contents du temps qu’il fait. La météo suscite très rarement un discours positif.

Les réactions sont-elles si différentes que cela dans les autres pays?

En Angleterre, par exemple qui subit à peu près les mêmes frimas que nous, l a réaction est effectivement assez différente. Il y a bien sûr des reportages à la télévision et les gens en parlent entre eux mais c’est une situation qui est jugée normale. Ce type de météo est simplement considéré comme faisant partie de l’hiver. C’est la même chose en Espagne où les populations font face sans se poser plus de questions.

Qu’est-ce que cela traduit?

Il y a clairement l’idée en France que l’on ne doit pas être affecté par la nature. Nous restons les héritiers de l’idée de progrès qui ne devrait plus permettre que l’on souffre du froid ou du chaud. Cela traduit en même temps une grande vulnérabilité et une grande attente envers l’Etat.

Voici ici le document de Sortir du nucléaire:

Hiver, nucléaire et pics de consommation

 C’est l’hiver, la saison des frimas, des lumières qui s’allument dès l’après-midi… et des discours alarmistes sur les pénuries d’électricité à venir. Cette année, la tension est encore plus vive… car il paraîtrait qu’à cause des égoïstes Allemands, nous allons tous manquer d’électricité.

 Sous la menace du black-out…

Chaque année, il est question de tensions sur le réseau électrique [1], de black-out en perspective pour la Bretagne ou la Provence et d’une hausse inéluctable de la consommation d’électricité – la faute au couple infernal chauffage électrique/nucléaire, qui solidarise la consommation électrique avec la courbe des températures, mais surtout au recours massif et typiquement français du chauffage électrique, en particulier dans l’habitat locatif. Et les défenseurs du nucléaire de conclure immanquablement : « Dans ces conditions, qui oserait fermer des réacteurs ? Veut-on nous condamner au retour à la bougie ? ».

 Depuis 2011, de nouveaux couplets ont été ajoutés à la complainte. « Comment ferons-nous cet hiver maintenant que les Allemands, ces égoïstes, ont fermé la moitié de leurs centrales nucléaires ? » [2], « Si des centrales sont fermées en France suite à des décisions électorales, comment allons-nous nous chauffer ? ».

… A cause des Allemands ?

La réponse est sans appel : malgré son parc nucléaire et sa pseudo “indépendance énergétique“, la France importe massivement de l’électricité de ses pays voisins. Et, tenez-vous bien, le pays avec lequel la France échange le plus d’électricité est… l’Allemagne. Mais pas pour voler au secours de ces Allemands qui ont dû fermer leurs réacteurs, en leur vendant de notre électricité…

 Non : le dernier relevé mensuel de RTE (Réseau de transport d’électricité), en date de décembre 2011 et arrêté au 6 janvier 2012, était catégorique. En décembre 2011, la France aura vendu 613 GWh à l’Allemagne, mais en aura importé 884 GWh… Soit un solde exportateur déficitaire de -271 GWH, au crédit de l’Allemagne [3].

 Et la situation n’est pas nouvelle : en novembre 2011 la France exportait à l’Allemagne 684 GWh, et en importait 745 GWh ; soit un écart de -61 GWh, toujours au crédit de l’Allemagne [4].

Le constat est donc implacable : pour (mal) chauffer une population française majoritairement équipée de convecteurs électriques, la France doit importer massivement… et ce, même de pays qui sont sortis du nucléaire.

Une consommation française trop importante…

Nos confrères d’Agir Pour l’Environnement sont clairs : en France, la « pointe » de consommation électrique se situe à 96 GW, alors qu’elle n’est que de 80 GW en Allemagne, pour une population forte de 17 millions d’habitants supplémentaires.

Il est stupéfiant de constater comment les défenseurs de l’atome parviennent à présenter les problèmes à l’envers : si nous venons à manquer d’électricité cet hiver, il serait stupide de s’en prendre aux écologistes ou aux Allemands, qui ont bien le droit de prendre des décisions raisonnables en se passant d’une technologie aux risques tant de fois démontrés. Regardons plutôt en face l’absurdité de notre système énergétique nucléarisé.

…A cause du chauffage électrique !

 Un petit radiateur de 1kW « tournant » en moyenne 10 h/j, pendant 180 jours consomme 1 800 kWh. A titre de comparaison, un réfrigérateur de 120W fonctionnant en permanence mais “tournant” la moitié du temps consomme l’équivalent de 526 kWh ; un ordinateur d’une puissance de 150W restant allumé en moyenne 5 heures par jour 274 kWh ; une lampe de 60W allumée en moyenne 5 heures par jour 110 kWh ; et un radio réveil ou une veille de lecteur de DVD d’une puissance de 5W consomme 44 kWh [5]. Ainsi, le chauffage électrique coûte très cher aux Français… pour qu’ils aient froids !

 Aujourd’hui, la France est le seul pays en Europe à promouvoir le chauffage électrique : une option aussi chère qu’inefficace, qui prend des millions de Français au piège de la précarité énergétique, et qui n’a été développé que pour écouler la surproduction d’électricité nucléaire. Par ailleurs, le pic de consommation généré par les millions de convecteurs français propulse nos émissions de CO2 vers le haut [6].

 Alors avant d’accuser nos voisins Allemands d’être la source de nos maux, il serait bon de s’interroger sur notre dépendance électrique. Et commencer par investir dans la rénovation des bâtiments, plutôt que d’engloutir des dizaines de milliards d’euros pour rafistoler pour dix ans de plus des centrales largement en âge de partir à la retraite…

Le saviez-vous ?

  • En Autriche, le chauffage électrique est interdit par la Constitution !

  • Les Français paient certes l’électricité 25 % moins cher que leurs voisins allemands (notamment grâce aux subventions cachées dont bénéficie le nucléaire depuis plus de 40 ans)… mais ils en consomment 1,4 fois plus, alors même que l’Allemagne est plus industrialisée !

  • La consommation du chauffage électrique en France représente l’équivalent de 10 réacteurs nucléaires.

  • Le fonctionnement en permanence de panneaux publicitaires vidéos consomment autant que deux à trois foyers français. [7]

  • Selon le cabinet Enertech, il est possible d’économiser immédiatement 30 % d’énergie sur la consommation des bâtiments grâce à des mesures très simples, comme éteindre tous les équipements qui ne devraient pas fonctionner la nuit et le week-end.

  • Malgré la fermeture de 47 réacteurs nucléaires suite à la catastrophe de Fukushima, le Japon n’est pas plongé dans le noir : la mise en œuvre de mesures simples a permis de réduire le pic de consommation d’électricité de 18 % !

Notes

 [1] En période hivernale, chaque degré en-dessous des normales saisonnières nécessite en effet un appel de puissance sur le réseau électrique de 2300 MW, soit deux réacteurs nucléaires !

[2] Il est d’ailleurs amusant de constater que ce sont les mêmes personnes qui affirment haut et fort que nous sommes énergétiquement indépendants grâce au nucléaire !

 [3] RTE, Aperçu sur l’énergie électrique, décembre 2011, http://www.rte-france.com/uploads/Mediatheque_docs/vie_systeme/mensuelles/2011/apercu_energie_elec_2011_12.pdf

[4] RTE, Aperçu sur l’énergie électrique, novembre 2011, http://www.rte-france.com/uploads/Mediatheque_docs/vie_systeme/mensuelles/2011/apercu_energie_elec_2011_11.pdf

 [5] Méthode de calcul sur http://www.voie-militante.com/politique/energie/le-chauffage-electrique-alibi-du-nucleaire/

 [6] Selon les calculs de l’ADEME et de RTE, chaque KWh consacré au chauffage électrique correspond à l’émission de 500 à 600 g de CO2. Brûler directement du gaz pour se chauffer émettrait 2 à 3 fois moins… et isoler correctement les bâtiments encore moins. ADEME & RTE, Le contenu en CO2 du kWh électrique : Avantages comparés du contenu marginal et du contenu par usages sur la base del’historique, octobre 2007

 [7] http://www.antipub.org/