Gaïa, notre mère la Terre

Nous employons régulièrement le terme de Gaïa et nous disons que la Terre est notre mère.

Si nous le faisons, c’est parce que tout ce qui existe appartient aux « règnes » minéral, végétal, animal, ou à celui des fungi (les champignons, bactéries, etc.). Rien n’existe en dehors de la Nature, et tout ce qui existe dans la Nature est relié au reste.

L’humanité ne pourrait pas vivre sur Mars, tout comme les bactéries se débrouillent toujours pour aller même là où on ne veut pas. Les plantes poussant à travers le bitume sont une démonstration que rien n’arrête la marche de la Nature.

Voilà pourquoi nous parlons de notre mère la Terre : nous savons qu’en tant qu’individus, nous n’existons qu’au sein d’un ensemble. Et la base de l’écologie radicale, c’est de dire : il faut préserver le tout, vivre à l’encontre du tout est absurde, être dénaturé c’est être malheureux.

Le mode de vie vegan straight edge est, à nos yeux, naturel et logique pour les humains. Une autre démarche est dénaturée et nous sépare de notre mère la Terre.

Rien de mystique à cela, bien au contraire, il s’agit même de l’athéisme le plus radical qui soit. Le contraire du concept de « Terre-mère », c’est Dieu.

Soit on dit que Dieu existe et a donné le monde à l’humanité pour qu’elle fasse ce qu’elle veut, c’est la conception par exemple de Descartes, qui veut que nous soyons comme « maître et possesseur de la nature. »

Soit on dit que Dieu n’existe pas, que les êtres humains sont des animaux et appartiennent à la nature, qui forme un grand mouvement à l’échelle de la planète.

Ainsi, parler de « mère nature » est quelque chose de tout à fait courant chez les athées, les « matérialistes », les « libertins » qui ont combattu les religions, et ce en France comme en Inde, en Chine, dans le monde arabe, etc.

L’un des textes les plus connus et les plus beaux est « De Natura Rerum », de Lucrèce :

« Mère de la Nature, aïeule des Romains,
O Vénus, volupté des dieux et des humains,
Tu peuples, sous la voûte où glissent les étoiles,
La terre aux fruits sans nombre et l’onde aux mille voiles;
C’est par toi que tout vit ; c’est par toi que l’amour
Conçoit ce qui s’éveille à la splendeur du jour. »

Mais sans vouloir parler de toutes les personnes qui sont allées dans cette direction, parlons simplement des auteurs français puisque nous ne « tombons pas du ciel. »

Car en France, la pensée de Rousseau est très connue et lorsque nous critiquons le fait d’être dénaturé, nous parlons finalement la même chose que lui. Comme Rousseau, nous constatons :

«  Ô nature ! Ô ma mère, me voici sous ta seule garde »

Et les gens qui nous critiquent, critiquent surtout Rousseau à la manière de Voltaire, déiste rejetant la Nature, et disant de l’oeuvre de Rousseau :

« On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes ; il prend envie de marcher à quatre pattes, quand on lit votre ouvrage. »

Mais Rousseau avait de grands contemporains et de grands prédécesseurs. La Mettrie, par exemple, une grande figure des Lumières pour qui l’être humain est un animal, une machine naturelle, et qui explique :

« La Nature nous a tous créés uniquement pour être heureux ; oui tous, depuis le ver qui rampe, jusqu’à l’aigle qui se perd dans la nuée. »

La Mettrie met un N majuscule, comme nous, ou plutôt finalement, nous comme lui. Parler de Dame Nature, de Gaïa, de notre mère la Terre, c’est peut-être une métaphore, mais c’est surtout la reconnaissance que la Nature est un tout.

C’est soit Dieu (qui est ailleurs et a créé le monde à partir de rien), soit la Nature (rien ne naît de rien, tout se transforme).

D’où ces oiseaux qui expliquent à Cyrano de Bergerac (le vrai, l’auteur « libertin » du 17ème siècle) :

« La mort, me dirent-ils (me mettant le bec à l’oreille), n’est pas sans doute un grand mal, puisque nature notre bonne mère y assujettit tous ses enfants »

Au 18ème siècle, les auteurs des Lumières cherchaient ainsi à tout prix la loi naturelle, car la Nature est ordonnée, elle n’est nullement cruelle mais la source du sens de notre vie.

Et cela prolongeait l’effort des « libertins » du 17ème siècle et de l’humanisme du 16ème siècle. Chez Fénelon, on lit par exemple que :

« C’est ainsi, continuait Adoam, que parlent ces hommes sages, qui n’ont appris la sagesse qu’en étudiant la simple nature. »

Et nous avons bien sûr Montaigne, qui parle ouvertement de mère Nature.

« Et pourtant la saveur et la délicatesse de divers fruits de ces contrées, qui ne sont pas cultivés, sont excellentes pour notre goût lui-même, et soutiennent la comparaison avec ceux que nous produisons.

Il n’est donc pas justifié de dire que l’art l’emporte sur notre grande et puissante mère Nature.

Nous avons tellement surchargé la beauté et la richesse de ses produits par nos inventions que nous l’avons complètement étouffée.

Et partout où elle se montre dans toute sa pureté, elle fait honte, ô combien, à nos vaines et frivoles entreprises.

Et le lierre vient mieux de lui-même
Et l’arbousier croît plus beau dans les lieux solitaires,
Et les oiseaux, sans art, ont un chant plus doux,
[Properce, I, 2, 10.] »

Voilà ce que nous voulons dire par Gaïa, notre mère la Terre!