Jurisprudence du « préjudice écologique »

Le procès de l’Erika – le bateau qui avait fait naufrage et provoqué une marée noire – avait déjà condamné Total, mais ce dernier a fait appel et ce nouveau procès s’est terminé hier.

Total a de nouveau été condamné, ce qui a rassuré en partie en raison de l’arrière-plan (voir Marée Noire de l’Erika : 12 ans après, le pollueur Total pourrait être exonéré de toute condamnation, Total doit « payer » en réalité sans rien payer – mais qu’est-ce que le FIPOL?). En recondamnant Total, la cour a également fait « jurisprudence » pour la notion de « préjudice écologique. »

C’est-à-dire que sur les 200 millions de dommages et intérêts versés par Total, 13 devront l’être pour « préjudice écologique. »

Ce « préjudice écologique » n’est donc pas inscrit dans la loi, mais un juge pourrait de nouveau appliquer une telle peine, puisqu’elle l’a déjà été (c’est le principe de la « jurisprudence »).

Sauf que le principe de « jurisprudence » peut être utilisée… ou pas. Il n’a pas de valeur en soi, et tout reste d’un flou extrême, tant pour la définition de ce préjudice, ou encore la question internationale.

EELV a parfaitement reconnu cela dans son communiqué, cela a le mérite d’être dit. Seulement évidemment, les conclusions laissent « pantois », puisque EELV reconnaît que finalement rien ne change et que la situation est catastrophique. Mais alors pourquoi ne pas assumer qu’il faut tout changer ?

Par un arrêt historique et innovant, la Cour de cassation vient de confirmer aujourd’hui la décision de la Cour d’appel de Paris du 30 mars 2010 qui prononçait la condamnation pénale de Total et ouvrait la voie de la prise en compte du préjudice écologique. Si Europe Écologie Les Verts se réjouit de cette décision, nous continuons de regretter les lacunes persistantes du droit actuel et appelons le Gouvernement à ouvrir les chantiers du droit de la mer et du préjudice écologique.

La portée symbolique de la décision de la Cour de cassation ne doit pas être minimisée. Le message envoyé est fort et sans concession. Mais sa portée pratique est toute relative : cette décision ignore la non-conformité du droit civil et pénal français en vigueur en 1999 avec les conventions internationales, et il est fort probable qu’elle ne soit pas reconnue, donc inapplicable, à l’étranger.

Une autre question se pose : et si le naufrage de l’Erika survenait aujourd’hui, le droit permettrait-il une vraie mise en cause des responsabilités ? Même si les textes ont évolué dans le bon sens depuis 1999, il reste des incertitudes juridiques fortes quant à la conformité du droit français au droit international. Elles pourraient conduire au même résultat en demi-teinte : une décision française sans aucun effet juridique au-delà de nos frontières ! Pas très pratiques quand le pavillon est maltais, l’affréteur français, l’armateur et la société de contrôle italien.

Enfin, la reconnaissance du préjudice écologique par la Cour de cassation est un grand pas, attendu depuis longtemps. Son régime juridique devra être affiné, la décision de la Cour de cassation laissant des questions ouvertes. Europe Ecologie Les Verts souhaite que celles-ci soient rapidement intégrées à la feuille de route du groupe de travail juridique de la Conférence environnementale.

Comme on le voit, les gens d’EELV n’ont pour le coup aucune illusion sur la substance de cette histoire de jurisprudence. Il faut vraiment l’opportunisme et le carriérisme pour prétendre pouvoir améliorer tout cela !

Il y a toutefois quelque chose de plus grave. En déplaçant la question vers le droit, EELV empêche que la question principale apparaisse : celle de l’écologie. Car comment quantifier les préjudices ? C’est une abstraction, un danger fondamental. Il faut reconnaître la Nature comme un tout et combattre impitoyablement la moindre agression contre elle.

Il ne faut pas accepter le simple principe que les pétroliers sortiront le carnet de chèques, l’océan exige d’être protégé dans son ensemble. La moindre attaque, aussi petite soit-elle, a la valeur culturelle d’une marée noire dans ce qu’elle représente dans sa dimension historique actuelle : un véritable écocide !