Peut-on manger avec une personne non végane ?

Peut-on manger avec une personne non végane ? Oui, si elle mange végane. On ne peut pas se dire végan et prôner l’universalité de son propos, et de l’autre côté cautionner l’exploitation animale.

Imaginons que la personne en face vous demande de passer le sel, peut-on le passer si ce sel va arriver sur un animal assassiné et cuisiné ? Pourrait-on dire un « bon appétit » ? Bien sûr que non.

On peut bien entendu arguer que c’est surtout de la politesse, voire de l’hypocrisie, puisque la personne non végane qui mange végan pour une fois peut très bien utiliser des produits testés, porter du cuir, et à côté de cela utilise des aliments issus de l’exploitation animale.

Il y a une part de vérité dans cela, en fait les situations sont très multiples et il faut les appréhender au cas par cas, avec par contre un maximum d’exigences, car il faut marquer le coup, de manière nette.

Et c’est le point de vue que l’on peut reprocher à Moby, qui dans une récente interview racontait la chose suivante, déclarait à la section restaurant du New York Times :

« Je suis végétalien depuis 24 ans. Avec deux écarts. J’ai mangé un yaourt en 1992, et je dois avouer que c’était vraiment bon.

Et ensuite, j’étais dans le restaurant d’un ami à Portland, dans l’Oregon, il y a quelques années, et il m’avait préparé des sushis végétaliens, mais ils m’ont accidentellement servi des sushis au crabe. J’ai pris une bouchée de sushi au crabe, et alors mon ami a couru à travers le restaurant en hurlant « Non! Il contient du crabe! »

Si l’on remonte 25 ans en arrière, il y avait beaucoup plus d’intolérance dans le monde végan. Il y avait une approche plus militante du type nous-et-eux. Et cela, dans une large mesure, semble être mis de côté, tant du point de vue végan que du point de vue non vegan.

Les végans sont parfaitement heureux maintenant, pour la plupart, de traîner avec des gens qui ne sont pas d’accords avec eux à 100%. Et un ou deux soirs par semaine, certains carnivores semblent assez heureux d’aller dans un restaurant végétarien.

J’ai un ami qui vit juste en bas de ma rue, et lui c’est un vrai omnivore – il mangerait même des choses dégoûtantes comme du foie gras – mais il adore le Café Gratitude.

Quand on a 18 ans, cela va avec jeter du faux sang sur les personnes portant de la fourrure.

Et quand on en a 40, cela veut dire ouvrir un restaurant végétalien vraiment sympa avec de la bonne nourriture, être tolérant et accueillant, et ne pas juger les autres, même s’ils sont en désaccord avec vous. »

Moby fait ici l’apologie du mode de vie bobo, où des gens alternatifs ouvrent de petits commerces pour se mettre au service de gens ayant de l’argent et voulant le dépenser pour des choses « originales. »

Seulement si on peut faire le bobo végan à Manhattan, voire éventuellement bientôt à Paris où la mode « végé » commence à exister, c’est impossible ailleurs, et cela signifie donc dans la logique de Moby le pur renoncement au véganisme, puisqu’il n’y a pas de restaurants ou cafés où inviter les personnes non véganes.

On voit la complexité de la situation : refuser toute adaptation ou souplesse peut revenir à une attitude sectaire (mais cela n’est pas forcément systématiquement les cas, loin de là!), mais s’ouvrir signifie forcément être contaminé par un libéralisme à moitié masqué débouchant sur l’acceptation de compromis toujours plus grands.

Il n’est pas difficile de comprendre ici que les personnes qui vont porter le véganisme de la manière plus nette, la plus franche, ne se trouveront pas dans les quartiers chics des grandes villes, mais bien dans les populations les plus pauvres, parce que leur morale sera pratiquement en acier, de part l’adversité à laquelle il aura fallu être confrontée.

Ce n’est pas pour rien si en Suède, c’est la toute petite ville polaire d’Umea, à 500 kilomètres au nord de Stocholm, qui a vu naître la scène vegan straight edge la plus radicale et la plus productive, ou encore si aux Etats-Unis la ville de Portland dans l’Oregon témoigne d’une vie alternative plus forte et radicale que ce qu’on trouve à New York.

On peut même dire qu’avec cette simple question du restaurant, on en a en arrière-plan toute la problématique si le véganisme peut convaincre la majorité, ou bien s’il s’agira toujours d’un simple mouvement à la marge, pouvant être à moitié voire totalement intégré à un mode de vie bourgeois bohème.

La cause de la libération animale nous interdit évidemment de transformer le véganisme en petit à côté original et pseudo-subversif de la « modernité » bourgeois bohème. Il faut être cohérent avec sa morale non seulement sur le plan individuel, mais également avec ce que cette morale implique comme projet pour l’avenir de notre planète.

On ne peut pas s’orienter par rapport simplement à sa propre petite personne, il faut se concevoir par rapport aux exigences de Gaïa, et nous savons à quel point elles sont nombreuses alors qu’une véritable guerre lui est livrée!