Un ex du wwf « invente » la pêche « écolo »

Puisque nous parlons en ce moment de la petite production « locale », voici un exemple particulièrement fort dans le genre, avec une personne ayant décidé de transformer sa vie privée pour assumer sa démarche bobo – durable – petit producteur.

L’article est tiré de Libération et est bien entendu très complaisant, puisque la société et le capitalisme n’ont aucun souci avec l’apologie des petits producteurs locaux, la seule chose qui les dérange c’est de revendiquer un changement total, supprimant toute exploitation animale, même « locale »!

Non, l’écologie ce n’est pas une « aventure »  individuelle consistant à faire le petit marchand de produits du « terroirs », c’est au contraire une exigence planétaire allant avec une exigence morale, le vrai projet universel de notre siècle!

Charles Braine veut réconcilier le vert et l’hameçon

Il est passé de l’autre côté de la barre. Lui qui vantait la pêche durable dans une ONG est devenu marin pour mettre les prêches écolo à l’épreuve des flots.
Personne ou presque ne connaît son passé, ici. Charles Braine a débarqué il y a neuf mois à Saint-Quay-Portrieux, dans la baie de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor).

Un Parisien, c’est tout ce que les gens savent. Un petit nouveau qui trime pour «apprendre à être un bon pêcheur». Les gars du port, ça les fait marrer. Ils le chambrent gentiment. Ça s’arrête là. Ici, on parle peu, encore moins de soi.

Charles Braine n’a tué personne. Il a fait pire. Il y a dix-huit mois, il pilotait encore le programme «pêche durable» au WWF, l’ONG au panda. Il a négocié le Grenelle de la mer face à des représentants des pêcheurs «éloignés du terrain», politiquement surpuissants, et à des ministères tétanisés, dont «le seul but est de préserver la paix sociale».

A WWF, Charles Braine a organisé les obsèques symboliques du thon rouge (voir la vidéo), menacé de disparition. Il a manqué de se faire casser la figure. «Les fantasmes», lâche-t-il devant sa coquille de noix bleue. «Certains accusent même les écologistes de vouloir virer les pêcheurs pour aider les pétroliers à mieux forer.» La barbe noisette sourit doucement.

«Les écolos, eux, gagneraient à mieux connaître le métier dont ils parlent. Les ONG font parfois des raccourcis incroyables, ne comprennent pas qu’il y a différentes pratiques de pêche.» Après quatre ans au WWF, il en a eu marre.

«Arts dormants». De là à enfiler une salopette jaune ! Un changement de cap inédit… «J’avais envie de soupeser ce qu’est une journée de travail, de revenir le soir avec trois caisses de poissons.» Il dit ça comme si ça tombait sous le sens.

«Et puis, après avoir raconté à tout le monde comment il faut faire pour pêcher en préservant la ressource, je voulais savoir si j’en étais capable.» Prouver qu’on peut être pêcheur et écolo à la fois. Rapprocher les deux mondes. Etre le trait d’union. Vaste défi : «Je ne voulais pas partir en croisade. Je sentais juste que ce que j’avais à faire à ce moment-là, c’était ça. Et avec les pêcheurs, les discours ne marchent pas, il faut qu’ils voient.»

Charles est pêcheur depuis mars, patron depuis juillet. Il privilégie les «arts dormants» (lignes, casiers, filets ou pièges), limite autant que possible les «arts traînants» (chaluts, dragues à coquillages) et cible différentes espèces, pour respecter leur rythme biologique.

La nuance n’est pas mince. Charles teste aussi des techniques originales : un voisin de quai lui a appris à tremper très peu de temps ses filets, pour remettre vivantes à l’eau les prises dont il ne veut pas.

Le métier est dangereux, physique. Il en bave. Le petit bide du trentenaire a fondu. «Je ne pensais pas que ce serait aussi dur. Surtout de se lever à une heure du matin.» L’ex-Parisien se casse les reins à trier les crépidules, ces coquillages du bout du monde qui gangrènent l’habitat de la Saint-Jacques. Financièrement, il est ric-rac.

Ça ne l’inquiète pas : «Quand je connaîtrai les bons coins, ça ira.» Son expérience lui paraît «de moins en moins dingue», il se dit «à sa place, heureux, privilégié». Charles découvre la sensualité de la mer, l’écoute des vagues, la nuit. La solitude, aussi. Savoure les «moments de folie», quand il ramène 220 kilos de mulets ou 800 kilos de coquilles. Le poids joyeux d’une nouvelle vie.

Ni lubie ni calcul. Charles rumine sa révolution depuis la prime enfance. Choc initiatique avec Gérard, marin taiseux du Pouldu, le village des vacances. Haut comme trois hameçons, il le regarde partir à l’aube sur l’onde, fasciné. Taquine le poisson dans le port. Futur pêcheur, lui ? Pas raccord dans une famille de médecins, d’architectes ou d’ingénieurs agronomes.

Alors l’élève brillant des beaux quartiers choisit l’école d’agro de Rennes, spécialisation halieutique. Suivent quelques galères, jusqu’à cette mission pour un bureau d’études spécialisé : casque «grand bleu», ou comment convaincre les marins d’accepter à bord des scientifiques pour compter les dauphins piégés dans les mailles. «J’ai commencé à réfléchir.» Ecolo «par bon sens», effrayé et agacé par le militantisme, il atterrit par hasard au WWF pour remplacer un pote de promo.

La suite se passe surtout derrière des ordinateurs. En soirée, avec ses amis, il refait la mer, mais n’ose se lancer. Sa compagne tchèque le pousse, prête à le suivre, quitte à faire la navette pour continuer de bosser à Paris. Déclic. «Elle m’a dit : « C’est facile, si tu as envie de le faire, tu le fais. » Elle, à 19 ans, a pris un aller simple en avion sans parler un mot de français.» Démission de l’ONG à l’été 2011. Lycée maritime de Paimpol. Achat de deux navires (le Bag Bihan, «petit bateau» en breton, et l’Even Mor, micromodèle de moins de sept mètres).

L’écolo-pêcheur, surfeur à ses heures, irradie de l’énergie des mordus. Il participe à la création d’une association de la petite pêche française, sorte de Confédération paysanne iodée, qui défend «la polyvalence comme art de vivre» face à la monopêche industrielle.

Il travaille à la conception d’un «navire du futur», éco-conçu, fonctionnant à l’hydrogène ou à l’électricité – les batteries étant de préférence alimentées à terre par une microcentrale hydrolienne installée le long d’une rivière – et prévoyant une place à bord pour un observateur, scientifique ou pêcheur.

Train de nuit. Il veut aussi relancer la vente directe, savoir qui préparera son bar ou son lieu jaune. «Les prix à la criée n’ont pas bougé depuis quinze ans. J’y vends mes coquilles à 2 euros le kilo. Quand je vois qu’elles sont à 11 euros à Belleville… Reconquérir les marchés, pour moi, c’est innovant. J’en vivrais mieux et le consommateur paierait moins cher.»

Il écoule une partie de sa pêche à Paris via Terroirs d’Avenir, qui fournit une centaine de restaurants, dont celui du Sénat. Il s’est offert une camionnette frigo pour livrer les particuliers et rêve d’ouvrir un jour un resto pédago pour expliquer la pêche aux profanes. Il aimerait aussi que soit recréé un train de nuit pour acheminer les produits : «Un kilo pêché au chalut nécessite un litre de gasoil, rajoutez le transport en camion et le bilan carbone est ahurissant.»

Charles veut lancer mille lignes, mais prend son temps. Pour être exemplaire, copiable, enviable, il faut réussir. Alors, en attendant de dévoiler son histoire aux gars du port, sur sa coquille de noix bleue, seul avec l’océan, il apprend.

ITINÉRAIRE
Né en 1980, il obtient son diplôme d’ingénieur halieute en 2003 avant d’oeuvrer comme mareyeur à Rungis, puis en Bretagne. De 2007 à 2011, il travaille chez WWF France en tant que chargé du programme «pêche durable». Il s’est installé cette année comme patron pêcheur dans les Côtes d’Armor et pilote le projet de navire de pêche du futur Alter Avel .