Chavez et « l’humain d’abord »

La mort d’Hugo Chavez a amené une vague de réactions très importantes, notamment chez Europe Écologie les Verts qui a salué sa mémoire, son rôle social, etc. Sans vouloir préjuger ici de la question de savoir si Chavez était un progressiste ou alors pas du tout, nous voulons aborder la question par laquelle nous regardons tout : l’écologie.

Si Chavez est mis en avant par EELV (et par d’autres), c’est aussi en raison de l’engagement écologiste qu’il aurait eu. Cela vaut le coup, évidemment, de voir si c’est le cas ou pas, surtout que l’un de ses plus grands partisans, Jean-Luc Mélenchon, parle de plus en plus « d’écosocialisme » et comme quoi le Parti de Gauche est vraiment écologiste, etc.

La véritable clef de tout cela est en fait le discours qu’a prononcé Hugo Chavez au Sommet des Nations unies sur le changement climatique, à Copenhague en décembre 2009. Chavez s’y est présenté comme un rebelle, un écologiste véritable.

Nous avons extrait ici les passages les plus importants de ce discours, que l’on peut retrouver pratiquement mot pour mot, depuis, chez Mélenchon, voire chez EELV, sans parler du Monde Diplomatique (ou encore Le Monde), évidemment les décroissants, etc.

Lorsque Mélenchon lance « l’humain d’abord ! », cela correspond très exactement à ce que dit Chavez. On peut voir d’ailleurs les choses très facilement : aux yeux de Chavez, l’être humain est « la plus merveilleuse création de l’univers. » Par conséquent, il faut préserver la situation, et ce qu’il appelle le capitalisme risque de provoquer des troubles trop grands.

Il n’y a aucune considération pour la Nature – Chavez n’a par exemple jamais mené de campagne écologiste suite à la pollution par 80 000 barils de pétrole de la rivière Guarapiche, en raison de la rupture d’un oléoduc, la situation étant également pratiquée passée sous silence.

Chavez pose uniquement la question du point de vue de l’être humain :

« Deux jeunes gens ont fait irruption ici, bien heureusement les forces de l’ordre se sont comportées correctement, il n’y a eu qu’une petite bousculade, et ils se sont montrés coopératifs, si j’ai bien compris…

Mais dehors, vous savez, il y a beaucoup de monde. Bien sûr, ils ne tiennent pas tous dans cette salle.

J’ai lu dans la presse que quelques personnes ont été arrêtées, qu’il y a eu des manifestations intenses dans les rues de Copenhague, et je tiens à saluer tous ces gens qui sont dehors, des jeunes pour la plupart (Applaudissements).

Ce sont des jeunes qui s’inquiètent, et avec raison, beaucoup plus que nous de l’avenir du monde. La plupart d’entre nous qui sommes dans cette salle ont le soleil dans le dos, alors qu’eux le reçoivent en pleine figure, et ils s’en inquiètent sérieusement (…).

Je lisais certains des slogans que les jeunes scandaient dans les rues, et je crois en avoir entendu de nouveau quelques-uns quand ces deux jeunes gens ont fait irruption ici.

J’en cite un : « Ne changez pas le climat, changez le système. » (Applaudissements). Je le reprends à notre compte : Ne changeons pas le climat, changeons de système, et c’est ainsi que nous pourrons commencer à sauver la planète.

Le capitalisme, ce modèle de développement destructeur, est en train d’en finir avec la vie, il menace de détruire définitivement l’espèce humaine. »

A la question comment faire, la réponse est simple : c’est la décroissance. Il n’y a pas de compréhension de la planète comme système global, simplement une volonté de mieux « gérer. » Voici ce que disait Chavez :

« Figurez-vous que j’ai eu le plaisir de rencontrer ici cet écrivain français, Hervé Kempf. Je vous recommande vivement ce livre, il existe en espagnol -Hervé est par ici-, en français bien sûr et en anglais sûrement : Comment les riches détruisent la planète, d’Hervé Kempf.

Voilà pourquoi le Christ a dit : « Il sera plus facile de faire passer un chameau par le chas d’une aiguille que de faire entrer un riche au Royaume des Cieux. » C’est ce qu’a dit le Christ, Notre Seigneur. (Applaudissements)

Les riches détruisent la planète. Ils veulent peut-être aller s’installer dans une autre quand ils auront fini de détruire celle-ci. Peut-être caressent-ils ce projet.

Mais pour le moment, on n’en voit pas d’autre à l’horizon de la galaxie.

J’ai feuilleté ce livre dès qu’il m’est parvenu – c’est Ignacio Ramonet, lui aussi présent dans cette salle, qui me l’a offert – et je retiens du prologue ou du préambule cette phrase, significative.

Voilà ce qu’écrit Kempf : « Nous ne pourrons pas réduire la consommation de biens matériels à l’échelle mondiale si nous ne faisons pas en sorte que les puissants diminuent la leur de plusieurs crans, et si nous ne combattons pas l’inégalité. Il est nécessaire d’adjoindre au principe écologiste, si utile à l’heure de la prise de conscience –penser globalement et agir localement–, un autre principe qu’impose la situation : consommer moins et distribuer mieux.
C’est là un bon conseil que nous donne l’écrivain français Hervé Kempf. »

Le problème aussi est que Chavez utilise la question des pays du tiers-monde pour avoir l’air écologiste, alors qu’en fait ce qui compte pour lui c’est surtout de pouvoir faire en sorte que son propre pays se développe, pas forcément différemment du tout.

Ici, la question écologiste est un moyen de pression dans un cadre concurrentiel. C’est très clair dans ce qu’il dit : il ne parle jamais de la Nature, des animaux, des végétaux, simplement de l’équilibre planétaire à maintenir, tentant d’arracher des points aux pays les plus développés.

Chavez présente ainsi la situation :

« Mais, je tiens à le souligner, nous sommes là aussi profondément inégaux. Les 500 millions de personnes les plus riches, soit 7%, sept pour cent, sept, de la population mondiale, ces 7% sont responsables de 50% des émissions polluantes, alors que la moitié la plus pauvre de la population de la planète – la moitié, 50% – n’émet que 7% des gaz polluants.

Voilà pourquoi je m’étonne : il me paraît bizarre de solliciter ici la Chine et les Etats-Unis dans les mêmes termes. Les Etats-Unis comptent peut-être 300 millions d’habitants, et la Chine, cinq fois plus. Les Etats-Unis consomment plus de 20 millions de barils de pétrole par jour, et la Chine arrive à peine à 5 ou 6 millions.

On ne peut pas demander la même chose aux Etats-Unis et à la Chine. Voilà un sujet qui mérite discussion. Espérons que les chefs d’Etat et de gouvernement pourront s’asseoir ensemble et discuter ces questions pour de bon, cartes sur table.

En outre, Monsieur le Président, 60% des écosystèmes de la planète sont endommagés, et 20% de l’écorce terrestre est dégradée.

Nous avons été les témoins impassibles de la déforestation, de la conversion de terres, de la désertification, des altérations des systèmes d’eau douce, de la surexploitation des ressources marines, de la contamination et de la perte de la diversité biologique. La surexploitation de la terre dépasse de 30% sa capacité de régénération.

La planète perd sa capacité d’autorégulation, elle est en train de la perdre. Nous produisons chaque jour bien plus de déchets que nous ne sommes capables d’en traiter.

La survie de notre espèce est une question qui hante la conscience de l’humanité. »

Cette approche de « l’humain d’abord » maquillé en exigences concernant le réchauffement climatique, Chavez en a donc fait tout un raisonnement « social » :

« Le conservatisme politique et l’égoïsme des grands consommateurs, des pays les plus riches, révèlent un manque de sensibilité et de solidarité flagrant envers les plus pauvres, les affamés, les plus vulnérables aux maladies et aux désastres naturels (…).

M. le Président : le changement climatique n’est pas le seul problème qui frappe aujourd’hui l’humanité. D’autres fléaux et d’autres injustices nous guettent. Le fossé qui sépare les pays riches des pays pauvres n’a cessé de se creuser en dépit de tous les Objectifs du millénaire, du Sommet de Monterrey sur le financement, de tous ces sommets, comme le faisait remarquer ici le président du Sénégal, qui dénonçait une grande vérité : les promesses, tant de promesses non tenues, alors que le monde continue sa marche destructrice.

(…)

M. le Président : Leonardo Boff se demande –vous avez connu Leonardo Boff ? J’ignore si Leonardo a pu faire le voyage. J’ai fait sa connaissance au Paraguay ; je l’ai toujours beaucoup lu– : « Une Terre finie peut-elle supporter un projet infini ? ». La thèse du capitalisme du développement infini est un modèle destructeur. C’est un état de fait et nous devons l’accepter.

L’histoire nous appelle à l’union et à la lutte. Si le capitalisme s’oppose, nous sommes dans l’obligation de livrer la bataille contre le capitalisme et d’ouvrir les voies du salut de l’espèce humaine. Cette tâche nous incombe à tous, sous les bannières du Christ, de Mahomet, de l’égalité, de l’amour, de la justice, de l’humanisme, du véritable et plus profond humanisme. Si nous ne le faisons pas, la plus merveilleuse création de l’univers, l’être humain, disparaîtra, elle disparaîtra !

Cette planète à des milliards d’années, et elle a vécu pendant des milliards d’années sans nous, l’espèce humaine. Autrement dit, elle n’a pas besoin de nous pour exister. Par contre, nous ne pouvons pas vivre sans la Terre, et nous sommes en train de détruire la Pachamama, comme dit Evo, comme disent nos frères aborigènes d’Amérique du Sud. »

C’est-à-dire qu’aux yeux de Chavez, la planète Terre est une sorte de vaisseau spatial un peu compliqué et qu’il faut savoir gérer. Sa démarche ne va pas plus loin. S’il a l’air radical, c’est qu’il demande aux pays riches de payer et de jouer le rôle principal, en tant que plus gros pollueur.

Mais il n’est pas en rupture avec les valeurs dominantes. Il ne pose pas la question des espaces sauvages, il ne veut pas que la planète redevienne bleue et verte. Il veut que la situation puisse continuer telle quelle.

Ainsi, il a l’air radical, mais il ne l’est pas :

« Un autre slogan donne à réfléchir, parce qu’il est tout à fait d’actualité, avec cette crise bancaire qui a ébranlé le monde et qui continue de le secouer, et la manière dont le Nord riche a volé au secours des banquiers et des grandes banques. Les Etats-Unis à eux seuls…

Le montant de la somme qu’ils ont versée pour sauver les banques est astronomique, on s’y perd… Voilà ce qu’on dit dans la rue : « Si le climat avait été une banque, il aurait déjà été sauvé. » Et je crois que c’est vrai (Applaudissements).

Si le climat avait été une banque capitaliste, une des plus grandes, il y a belle lurette que les gouvernements riches l’auraient sauvé. »

Le terme « sauver » est une clef. Car Chavez était une personnage haut en couleur, un peu le dictateur grande gueule comme on s’en imagine qu’il en existe en Amérique latine. Il faisait des shows télévisés, où il pouvait s’ériger en modèle, comme en disant :

« Certaines personnes chantent sous la douche [et y passent] une demi-heure. Trois minutes [pour une douche] c’est plus que suffisant. J’ai compté trois minutes et je ne sens pas mauvais. »

Cela a l’air écologiste, mais en fait c’est juste de la gestion. Si Chavez voulait « sauver » le climat, c’est pour que les choses continuent, pas pour que les choses changent, pas pour que la Nature soit reconnue, pas pour les animaux et les végétaux !