La théorie Gaïa du professeur Lovelock : la Terre se régule elle-même

Le quotidien irlandais le Irish times parle régulièrement de Lovelock, et voici un article qui avait été traduit en français. Il présente de manière assez claire la conception de notre planète comme « Gaïa », comme écosystème où tout est en interaction.

La théorie Gaïa du professeur Lovelock : la Terre se régule elle-même

Pour de nombreux défenseurs de l’environnement, le scientifique britannique James Lovelock est un des « papes de l’écologie ». Pour une bonne partie de ses collègues, son « hypothèse Gaïa » qui décrit la Terre comme un organisme vivant manque de rigueur scientifique. Portrait d’un homme discret et controversé qui, par ses idées, a contribué à faire de la défense de l’environnement l’une des grandes priorités de cette fin de XXème siècle.

Le Pr. James Lovelock peut se mettre vraiment en colère quand il entend parler d’une « Terre fragile » à la télévision. Ce cliché « Vert » lui rappelle beaucoup la façon dont les hommes de l’époque victorienne parlaient de la fragilité féminine, légitimant ainsi leur sentiment de supériorité et leur possessivité.

« La Terre Mère est forte, explique le Pr. Lovelock, et peut prendre soin d’elle-même : c’est l’humanité future, en tant qu’espèce résidente, qui pourrait bien devenir « fragile ».

Paradoxalement, la démarche même de se préoccuper de la Terre doit sans doute plus à cet homme qu’à quiconque.

Voilà vingt et un ans, il traçait pour la première fois les grandes lignes de son « hypothèse Gaia ». Selon cette hypothèse, la Terre est un organisme vivant qui régule sa propre atmosphère et son système écologique. Cette notion est aujourd’hui irrévocablement liée à ces photographies splendides prises de l’espace de notre planète couronnée de nuages.

Le nom de Gaïa, la déesse grecque de la Terre, lui va à merveille. C’est son voisin dans la campagne de Cornouailles, feu William Golding, qui, avec le sens du symbole propre au romancier, baptisa ainsi le super organisme du professeur.

Pour les écologistes du monde entier, cette métaphore est parfaite. Elle exprime l’unité de la Terre dans sa complexité, là où la science la traite en objet isolé et se limite à l’étude stricte de chacun de ses éléments. Certains Verts vont même plus loin et voient dans « Gaïa » un organisme réellement vivant, doué de conscience et même doté d’un dessein et d’une intelligence globale.

Pour le chimiste Philip Ball, rédacteur en chef de la revue scientifique Nature, l’hypothèse Gaïa est « l’une des idées les plus poétiques de la pensée scientifique récente ». Mais les scientifiques exigent des théories qui puissent être vérifiées et toute la poésie de l’hypothèse Gaïa ne leur est d’aucun secours pour cela. En 1988, un professeur de l’université du Sussex la dénonçait, comme de nombreux biologistes, comme « stupide et dangereuse, génératrice d’un mythe pseudo-scientifique » .

Lovelock lui-même désespère de certaines attitudes non scientifiques, voire de la vénération religieuse à la Terre qu’affichent certains adeptes de ses idées. « Gaia, en tant que nom ou symbole, est allée bien au-delà de mes intentions », a-t-il écrit récemment. « Je la regarde s’enfler rapidement, se remplir principalement d’immondices, comme une benne vide laissée dans une rue londonienne ».

De la planète rouge à la planète bleue

Sa grande découverte se situe au milieu des années 60. Il travaillait alors en Californie pour la NASA, l’Agence spatiale américaine, qui recherchait des signes de vie sur Mars. En comparant l’atmosphère de cette planète à celle de la Terre, il réalisa que notre atmosphère ne pouvait être expliquée par les lois physiques et chimiques normales.

Son mélange de gaz – oxygène, azote, méthane, gaz carbonique – lui parut profondément bizarre. Pour lui, sa stabilité ne pouvait être maintenue sans l’existence d’un. système de contrôle actif englobant tous les organismes à la surface de la Terre.

A partir de cette « illumination », il développa son modèle de la Terre en tant qu’entité vivante en évolution. La surface de notre planète est elle-même un élément de la vie et non un simple environnement où la vie dit s’adapter. L’atmosphère – ou ce qui, en elle, fabrique le temps qu’il fait – est un système circulatoire produit et entretenu par la vie.

Gaïa devient ainsi un écosystème géant dont la stabilité est maintenue par des cycles et des réactions chimiques impliquant les organismes vivants. Les forêts tropicales créent ainsi des nuages pour refroidir l’atmosphère et les algues marines aident à la régulation du cycle du carbone.

Lui et ses collègues « géophysiologistes » ne représentent encore qu’un courant très minoritaire de la science.

Un autre courant, toujours minoritaire mais plus étoffé, accepte l’idée que les organismes vivants agissent sur la composition de l’air, des océans et des roches terrestres, mais rejette l’opinion selon laquelle la Terre pourrait être en autorégulation pour le bien de la vie. La vie et l’environnement ne lui semblent que vaguement associés l’un à l’autre . Lovelock considère que la majorité des scientifiques continuent à agir comme si la Terre était un habitat de rocaille morte auquel « un résidu de vie jeune et ténu  » a dû s’adapter.

La Terre vivante est-elle savante?

En décrivant Gaïa comme un organisme vivant, il ne parle pas d’intelligence ou de conscience. Mais les scientifiques se demandent ce qu’il veut dire exactement quand il déclare que la Terre est « vivante ». Un collègue de Lovelock, le biologiste Lynn Margulis de Boston, accepte en Gaïa l’idée de « cognition » : un système sensoriel construit à partir de toutes les interactions sensorielles des organismes individuels de la Terre. Mais pour la plupart des scientifiques, la difficulté est de vérifier l’hypothèse Gaïa.

Seule cette vérification permettrait à leurs yeux, de transformer l’hypothèse en une proposition « scientifique ». Or l’idée d’un système qui assure la stabilité de toute la planète semble, presque par définition, se situer au-delà de toute expérimentation.

S’il pouvait être prouvé que les organismes participent effectivement à la stabilisation des conditions de leur propre survie, ce serait une preuve de poids en faveur de l’hypothèse Gaïa.

Lovelock suggère par exemple que, dans un monde qui se réchauffe, les algues des océans émettraient davantage de gaz sulfureux afin de favoriser la production de nuages pour refroidir la Terre. D’intenses recherches sont actuellement poursuivies sur les interactions entre les océans et le climat. Lorsqu’il évoque la solidité de la Terre, Lovelock fait référence aux chocs massifs et répétés qu’elle a subis de l’espace et auxquels elle a survécu. Comparativement, la destruction de la nature par l’humanité lui semble représenter un « dérangement mineur ».

Même les trous dans la couche d’ozone ne le préoccuperaient guère si les cancers de la peau en étaient l’unique conséquence. Dans sa vision planétaire, tout fauteurs de trouble que nous soyons, nous ne représentons qu’une des espèces du monde vivant. Si nous n’apprenons pas à nous comporter écologiquement, il suggère que les autres espèces pourraient, inconsciemment et automatiquement, modifier le climat de la Terre de telle sorte que l’Homo sapiens y deviendrait importun ou ne pourrait pas y survivre.

L’Homo-écolo « primitif »

Lovelock n’a jamais joué le rôle de gourou que de nombreux Verts étaient prêts à lui faire endosser. Il en a au contraire dit assez pour se les mettre à dos.

Parmi eux, il égratigne les « primitifs », à son avis incapables d’évoluer, qui jugent toute industrie intrinsèquement nuisible, polluante et spéculatrice .

« L’industrie nucléaire, écrit-il, est trop souvent considérée comme de nature diabolique par excellence. Ce déluge de propagande écologiste ne prend pas en compte cette évidence : si nous renoncions à notre civilisation industrielle, bien peu parmi nous survivraient ».

Il estime que les attitudes anti-industrielles sont allées à l’encontre des changements dont nous avons besoin. Il plaide en faveur de la nouvelle profession de « médecin planétaire » qui permettrait d’agir « empiriquement, en mécanicien » contre la pollution atmosphérique. Mais il a peu de temps à consacrer aux discours à la mode sur la nécessité de prendre en charge « l’intendance » de la Terre.

Il serait seulement prêt à accepter une mission pour l’humanité en tant que « délégué du personnel » de Gaïa. Il représenterait alors les autres formes de vie de la planète et se ferait le porte-parole des champignons et de l’humus aussi bien que « des nouveaux riches de notre planète, poissons, oiseaux et autres animaux ».

Michael Viney, Irish Times (Irlande)