« C’est ainsi que tous les animaux eussent alors obéi à l’homme d’eux-mêmes »

Il y a peu nous avions parlé de la position de (Saint) Thomas d’Aquin sur la mise à mort des animaux, parfaitement légale et valable aux yeux du catholicisme (« Est-ce un péché de mettre à mort les animaux et même les plantes? »).

La question suivante se pose alors: si les humains étaient « innocents », le rapport aux animaux changerait-il? C’est une question très importante pour le véganisme en France, malgré les apparences peut-être. En effet, d’où vient l’argument « l’homme est mauvais (par nature) » qui revient si souvent dans le mouvement pour les animaux, si ce n’est du catholicisme?

Et, à côté de cela, les religions proposent la venue d’un Paradis final où tout irait bien, rejetant la transformation de la société actuelle. Mais dans la définition même du catholicisme, les animaux servent d’outils, Dieu les aurait créer afin d’aider les humains, etc. Pour le catholicisme, même les humains « innocents » domineraient « naturellement » les animaux.

Voici comment Thomas d’Aquin, un « père de l’Eglise » (donc un avis officiel), présente cette question:

Article 1 — L’homme dans l’état d’innocence aurait-il dominé sur les animaux ?
Objections :

1. S. Augustin dit que c’est par le ministère des anges que les animaux furent amenés à Adam pour qu’il leur assignât des noms. Mais ce ministère des anges n’eût pas été nécessaire si par lui-même l’homme avait dominé sur les animaux. Donc l’homme dans l’état d’innocence n’avait pas de pouvoir sur les autres animaux.

2. Il n’est pas bon de réunir sous une même domination des êtres en discorde. Mais il y a beaucoup d’animaux qui par nature sont en discorde, tels la brebis et le loup. C’est donc que tous les animaux n’étaient pas englobés sous le pouvoir de l’homme.

3. D’après S. Jérôme , Dieu donna la domination sur les animaux à l’homme qui n’en avait pas besoin avant le péché, parce qu’il savait d’avance qu’après la chute l’homme devrait se faire aider par le renfort des animaux. Donc à tout le moins l’homme n’avait pas avant le péché à user de sa domination sur les animaux.

4. L’acte propre de celui qui domine c’est, semble-t-il, de commander. Mais il n’est pas juste d’adresser un commandement à un être sans raison. Donc l’homme n’avait pas de domination sur les animaux non raisonnables.

En sens contraire, la Genèse (1, 26) dit au sujet de l’homme :  » Qu’il domine sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et les bêtes de la terre.  »

Réponse :

Comme on l’a dit plus haut, la désobéissance envers l’homme de ce qui doit lui être soumis, est une suite et un châtiment de sa propre désobéissance envers Dieu. Et c’est pourquoi dans l’état d’innocence, avant la désobéissance dont on vient de parler, rien ne lui résistait, de ce qui par nature devait lui être soumis.

Or tous les animaux sont par nature soumis à l’homme. C’est là une chose qu’on peut établir à partir de trois données. La première est l’ordre même de la nature.

De même que, dans la genèse des choses, on saisit un certain ordre selon lequel on passe de l’imparfait au parfait, car la matière est pour la forme et la forme plus imparfaite pour celle qui est plus parfaite, de même en est-il aussi de l’usage qui est fait des choses de la nature, car les êtres plus imparfaits sont mis à la disposition des plus parfaits ; les plantes se servent de la terre pour leur nourriture, les animaux des plantes, et les hommes des plantes et des animaux.

Ainsi est-ce par nature que l’homme domine sur les animaux. Et c’est pourquoi Aristote dit que  » la chasse faite aux animaux sauvages est juste et naturelle « , car par elle l’homme revendique ce qui lui appartient par nature.

La deuxième donnée est l’ordre de la providence divine, laquelle gouverne toujours les inférieurs par les supérieurs. Aussi, comme l’homme est au-dessus des autres animaux, puisqu’il a été fait à l’image de Dieu, est-il très convenable que les autres animaux soient soumis à sa conduite.

La troisième donnée consiste dans les propriétés respectives de l’homme et des autres animaux.

Chez les autres animaux, en effet, on trouve au niveau de leur pouvoir naturel d’estimation une certaine participation de la prudence concernant quelques actes particuliers ; tandis que chez l’homme on trouve une prudence universelle, qui fournit le plan de tout ce qu’il y a à faire. Or tout ce qui existe par participation est soumis à ce qui est par essence et de façon universelle.

Et ainsi il est clair que la sujétion des autres animaux envers l’homme est naturelle.

Solutions :

1. Il y a beaucoup de choses qu’une puissance supérieure peut obtenir de ses sujets, et qui restent impossibles à la puissance inférieure. Or l’ange, par nature, est supérieur à l’homme. Aussi y a-t-il tel effet qui pouvait être produit chez les animaux par la vertu des anges et qui ne pouvait être réalisé par le pouvoir de l’homme : ainsi, que tous les animaux fussent rassemblés en un instant.

2. Certains disent que les animaux qui maintenant sont féroces et tuent d’autres animaux auraient été, dans cet état, pacifiques, non seulement avec l’homme, mais aussi avec les autres animaux. Mais cela est tout à fait déraisonnable. En effet, la nature des animaux n’a pas été changée par le péché de l’homme au point que ceux qui maintenant, par nature, mangent la chair d’autres animaux, comme les lions ou les faucons, eussent alors été herbivores.

D’ailleurs, la Glose tirée de Bède ne dit pas à propos de la Genèse (1, 30) que les fruits et l’herbe aient été donnés en nourriture à tous les animaux et oiseaux, mais à certains d’entre eux. Par conséquent l’hostilité eût été naturelle entre certains animaux.

Pour autant, ils n’auraient pas été soustraits à la domination de l’homme, pas plus qu’ils ne le sont maintenant à la domination de Dieu, par la providence de qui tout cela est disposé. L’homme eût été l’exécuteur de cette providence, comme cela se voit encore maintenant pour les animaux domestiques ; en effet, les hommes fournissent des poules aux faucons domestiques pour leur nourriture.

3. Les hommes dans l’état d’innocence n’avaient pas besoin des animaux pour leurs nécessités corporelles, ni pour se couvrir parce qu’ils étaient nus et n’en éprouvaient pas de honte, étant à l’abri de tout mouvement de convoitise désordonnée ; ni pour s’alimenter, car ils se nourrissaient des arbres du Paradis ; ni pour se déplacer, car ils avaient un corps vigoureux.

Ils avaient pourtant besoin des animaux afin de prendre une connaissance expérimentale de leurs natures. Cela est signifié par le fait que Dieu amena à l’homme les animaux, pour qu’il leur assignât des noms, lesquels désignent leurs natures.

4. Tous les animaux ont, dans leur pouvoir naturel d’estimation, une certaine participation de la prudence et de la raison. C’est en vertu de cela que les grues suivent leur guide et que les abeilles obéissent à leur reine.

Et c’est ainsi que tous les animaux eussent alors obéi à l’homme d’eux-mêmes, à la façon dont le font maintenant certains animaux domestiques.