« Il est né en France ; mais il s’est fait naturaliser sauvage »

Dans l’extrait de Diderot que nous publions ici, l’auteur n’a pas choisi encore s’il était déiste ou athée. Mais dans tous les cas, c’est la Nature qui prime, car la religion est une illusion.

Et entre les deux, il n’y a rien, bien entendu… Il n’y a pas d’autres choix que d’être « au nombre des heureux disciples de la Nature »!

L’extrait est tiré de l’Introduction aux grands principes ou Réception d’un philosophe.

UN SAGE, LE PROSÉLYTE, LE PARRAIN.

le sage.

Que nous présentez-vous ?

le parrain.

Un enfant qui veut devenir un homme.

le sage.

Que demande-t-il ?

le parrain.

La sagesse.

le sage.

Quel âge a-t-il ?

le parrain.

Vingt-deux ans.

le sage.

Est-il marié ?

le parrain.

Non. Il ne se mariera même pas ; mais il veut marier les prêtres et les moines.

le sage.

De quelle nation est-il ?

le parrain.

Il est né en France ; mais il s’est fait naturaliser sauvage.

le sage.

De quelle religion ?

le parrain.

Ses parents l’avaient fait catholique ; il s’est fait ensuite protestant : maintenant il désire devenir philosophe.

le sage.

Voilà de très-bonnes dispositions. Il faut actuellement examiner ses principes. Jeune homme, que croyez-vous ?

le prosélyte.

Rien que ce qui peut se démontrer.

(…)

le sage.

Croyez-vous au témoignage de Dieu ?

le prosélyte.

Non, dès qu’il me vient par les hommes.

le sage.

Croyez-vous en Dieu ?

le prosélyte.

C’est selon : si l’on entend par là la nature, la vie universelle, le mouvement général, j’y crois ; si l’on entend même une suprême intelligence, qui ayant tout disposé, laisse agir les causes secondes, soit encore ; mais je ne vais pas plus loin.

le sage.

Croyez-vous à la révélation ?

le prosélyte.

Je la crois le ressort employé par les prêtres, pour dominer sur les peuples.

le sage.

Croyez-vous aux histoires qui la rapportent ?

le prosélyte.

Non ; parce que tous les hommes sont trompés, ou trompeurs.

le sage.

Croyez-vous aux témoignages dont on l’appuie ?

le prosélyte.

Non, parce que je ne les examine point.

le sage.

Croyez-vous que la Divinité exige quelque chose des hommes ?

le prosélyte.

Non ; sinon qu’ils suivent leur instinct.

le sage.

Croyez-vous qu’elle demande un culte ?

le prosélyte.

Non, puisqu’il ne peut lui être utile.

le sage.

Que croyez-vous de l’âme ?

le prosélyte.

Qu’elle peut bien n’être que le résultat de nos sensations.

le sage.

De son immortalité ?

le prosélyte.

Que c’est une hypothèse.

le sage.

Que croyez-vous de l’origine du mal ?

le prosélyte.

Je crois que c’est la civilisation et les lois qui l’ont fait naître, l’homme étant bon par lui-même.

le sage.

Quels sont, à votre avis, les devoirs de l’homme ?

le prosélyte.

Il ne doit rien, étant né libre et indépendant.

le sage.

Que croyez-vous de juste ou d’injuste ?

le prosélyte.

Que ce sont pures affaires de convention.

le sage.

Des peines et des récompenses éternelles ?

le prosélyte.

Que ce sont des inventions politiques, pour contenir la multitude.

le sage.

Bon ; voilà un jeune homme fort éclairé. Rien n’empêche qu’il ne soit agrégé, s’il répond aux questions que prescrit la formule. Croyez-vous que la foi n’est qu’une crédulité superstitieuse, faite pour les ignorants et les imbéciles ?

le prosélyte.

Je le crois, car cela est démontré.

le sage.

Croyez-vous que la charité bien ordonnée est de faire son bien, à quelque prix que ce puisse être ?

le prosélyte.

Je le crois, car cela est démontré.

(…)

le sage.

Promettez-vous de reconnaître la raison pour souverain arbitre de ce qu’a pu ou dû faire l’Être suprême ?

le prosélyte.

Je le promets.

le sage.

Promettez-vous de reconnaître l’infaillibilité des sens ?

le prosélyte.

Je le promets.

le sage.

Promettez-vous de suivre fidèlement la voix de la nature et des passions ?

le prosélyte.

Je le promets.

le sage.

Voilà ce qui s’appelle un homme. Maintenant, pour vous rendre totalement la liberté, je vous débaptise au nom des auteurs d’Émile, de l’Esprit et du Dictionnaire philosophique. Vous voilà à présent un vrai philosophe, et au nombre des heureux disciples de la Nature.

Par le pouvoir qu’elle vous donne, ainsi qu’à nous, allez, arrachez, détruisez, renversez, foulez aux pieds les mœurs et la religion ; révoltez les peuples contre les souverains ; affranchissez les mortels du joug des lois divines et humaines : vous confirmerez votre doctrine par des miracles ; et voici ceux que vous ferez : vous aveuglerez ceux qui voient ; vous rendrez sourds ceux qui entendent, et vous ferez boiter ceux qui marchent droit. Vous produirez des serpents sous des fleurs, et tout ce que vous toucherez se convertira en poison.