Action antifasciste et action antispéciste

L’assassinat de Clément Méric a amené une médiatisation certaine du logo « Action antifasciste », alors que de temps en temps le logo « Action antispéciste » apparaît ici ou là.

Le groupe VEAN (Vegan Edge Antifasciste Nord) appartient par exemple au réseau historique Action antifasciste (il existe toutefois d’autres groupes se revendiquant eux aussi « Action Antifasciste ») et utilise à la fois l’un et l’autre des logos.

Les deux logos ont leur origine en Allemagne. L’Action antifasciste est un mouvement né au fur et à mesure des années 1980, comme coordination de structures antifascistes (notamment la fameuse antifa M de la ville de Göttingen).

L’Action antispéciste est née à la fin des années 1990, pas du tout sous la forme d’une organisation par contre, seulement sous la forme d’une « démarche. »

Au tout début des années 1990, la question végane est devenue centrale dans le mouvement des « autonomes. » Dans les années 1980, les deux lignes directrices étaient soit les squatts, soit l’anti-impérialisme (avec des groupes armés comme la Fraction Armée Rouge).

Les rares personnes véganes existant étaient alors dispersées et sans véritable impact. La situation change totalement au tout début des années 1990, où le véganisme devient le thème incontournable et une démarche obligatoire chez les « autonomes. »

Aucun repas collectif ne pouvait alors ne plus être végan, et de fait ne pas aller dans le sens de la libération animale était pratiquement impossible. Il faut bien voir que sont concernées ici plusieurs milliers de personnes ; le congrès berlinois de l’autonomie, à Pâques 1995, rassemblait 3000/4000 personnes, et tous les repas étaient forcément végans.

Ce congrès justement fut un moment décisif pour le véganisme en Allemagne, mais dans le bon sens. En effet, il s’agissait de savoir comment le véganisme pouvait être intégré dans une vision du monde qui soit « révolutionnaire. »

A ce moment-là, les autonomes avaient décidé, dans leur majorité, d’adopter le principe de la « triple oppression » : capitalisme, racisme et sexisme étaient les fondements de la société et étaient la « cible » de la révolution.

Pour cette raison, le congrès berlinois de l’autonomie eut comme thème pratiquement central la question de la « unity of oppression » (« UoO ») : l’exploitation des animaux était ajoutée à la « triple oppression. »

Tout le monde trouva alors cela très bien, sauf qu’il n’y avait pas de bases explicatives ; le champ était laissé totalement libre quant aux interprétations. Il y eut ainsi des frictions importantes à Hambourg lors d’un congrès pour la libération animale, avec un conflit au sujet de la question de la Nature.

Un groupe de gens était en effet lié à « Frontline », un mouvement petit mais ayant un grand impact chez les végans et assumant les thèses Hardline, sans le rejet de l’homosexualité et sans être favorable à l’interdiction de l’avortement, et même sans dimension religieuse par ailleurs.

Néanmoins, le groupe Frontline était plus velléitaire qu’autre chose et n’existait déjà plus en 1995 ; inversement le véganisme fut parfaitement intégré culturellement au mouvement autonome, sans pour autant que la libération animale ne soit « combinée » à la question révolutionnaire.

Si on ajoute à cela l’autodissolution de la Fraction Armée Rouge et la grande vague d’extrême-droite, on s’imagine le repli sur plan des idées. Les logos « Action antifasciste » et « Action antispéciste » devinrent alors des symboles de valeurs, mais sans contenu très clair ni précisément défini.

Le logo « Action antispéciste » fut utilisé par les « restes » des autonomes vraiment impliqués dan le mouvement de protection animale. Le magazine « Vegan Info » avait tenté, sans succès, de former une nouvelle culture organisée dans le mouvement autonome, aussi ce sont des gens à Hambourg qui ont en pratique lancé la nouvelle démarche « Action antispéciste. »

Il s’agissait de relancer le mouvement autonome, comme avant, mais avec en plus la libération animale. Il faut bien concevoir ici que la définition du mot « antispécisme » n’a rien à voir avec celles faite en France, comme par exemple celle des « cahiers anti-spécistes », ou d’anarchistes comme lors du « détournement de la « veggie pride » à la fin pour bloquer le McDonald’s.

Il ne s’agit pas d’anarchistes qui sont également végans ou d’universitaires se focalisant sur la question du « spécisme. » Ce sont des gens qui entendent faire la critique générale de la société, du capitalisme, et qui en même temps sont végans et considèrent que c’est un point central.

Il ne s’agit pas de gens rassemblant plusieurs idées, par exemple l’anti-sexisme, l’anti-capitalisme, etc. Il s’agit d’une tentative de combattre le tout comme un ensemble. Cela n’a rien à voir avec l’assemblage hétéroclite pratique par des gens en France se revendiquant « antispéciste. »

L’initiative du groupe « Dämmerung », dont nous avons publié le manifeste (Théorie sociale, critique de l’idéologie et lutte de classe), représente la forme la plus développée de cette démarche anti-spéciste. On retrouve, dans cette même culture « antispé », des gens comme le rappeur Albino ou bien le groupe BerTA, de Berlin.

La mouvance « antispé » combat un système non pas composé de différentes oppressions se combinant, mais formant une seule oppression prenant des formes diverses. Le point central permettant de faire briser tout cela, qui est fondé sur l’exploitation, c’est la compréhension de l’importance du spécisme.

Nous n’avons de notre côté pas de critique à faire d’une telle démarche ; si nous n’utilisons pas le terme de « antispéciste », c’est pour refuser la variante française qui bricole un « spécisme » qui serait une oppression tombée du ciel, hors de toute réalité sociale.

Un tel « spécisme » et un tel « antispécisme » n’ont rien à voir avec la démarche, très élaborée, de la culture version « Action antispéciste. »