« Mais fondée sur toutes les lois de la nature »

Il y a une chose que n’ont pas compris les détracteurs du concept de Nature. Dans leur élan nihiliste, ils ne voient pas que supprimer le concept de Nature, c’est supprimer l’idée même d’une science.

En effet, s’il y a des lois scientifiques, c’est parce qu’il y a une Nature et non pas des choses vraies ici, fausses là-bas. L’électricité, c’est l’électricité, à Paris comme à Tokyo. Une étoile, c’est une étoile, dans notre système solaire avec le soleil ou bien plus loin !

Supprimer le concept de « Nature », c’est supprimer la science, supprimer les définitions, supprimer toutes les études effectuées par l’humanité de la réalité où nous vivons. C’est supprimer l’universalisme, pour célébrer le particularisme qui serait unique en son genre.

A titre d’illustration de la science, voici un extrait des Éléments de la philosophie de Newton, écrit par Voltaire, en 1738. Cet extrait n’a rien de passionnant en soi, loin de là, à part pour l’histoire des sciences.

Mais il montre que les scientifiques n’ont pu être scientifiques qu’en se fondant sur le fait que l’univers obéit à des lois, qu’il est cohérent. Si on en était resté à la vision primitive ou païenne, tout aurait semblé comme désordonné, incohérent, soumis à des arbitraires divins ou magiques, etc.

Or, la Nature a des lois, elle forme un tout cohérent. C’est la base de la conception scientifique…

« Vous voyez que tous les phénomènes de la nature, les expériences et la géométrie concourent de tous côtés pour établir l’attraction. Vous voyez que ce principe agit d’un bout de notre monde planétaire à l’autre, sur Saturne et sur le moindre atome de Saturne, sur le soleil et sur le plus mince rayon du soleil.

Ce pouvoir si actif et si universel ne semble-t-il pas dominer dans toute la nature ? N’est -il pas la cause unique de beaucoup d’effets ? Ne se mêle-t-il pas à tous les autres ressorts avec lesquels la nature opère ?

Il est, par exemple, bien vraisemblable qu’il fait seul la continuité et l’adhésion des corps : car l’attraction agit en proportion directe de la masse ; elle agit sur chaque corpuscule de la matière ; elle fait donc graviter chaque corpuscule en ce sens, comme Saturne gravite vers Jupiter (…).

Les actions des acides sur les alcalis pourraient bien être des chimères philosophiques, aussi bien que les tourbillons. On n’a jamais pu définir ce que c’est qu’un acide et un alcali ; quand on a bien assigné les propriétés de l’un, on trouve à la première expérience que ces propriétés appartiennent aussi à l’autre ; ainsi tout ce qu’on sait jusqu’à présent, c’est qu’il y a des corps qui fermentent avec d’autres corps, et rien de plus.

Mais si on songe qu’il y a une force réelle dans la nature, qui opère la gravitation de tous les corps les uns vers les autres, on pourra croire que cette force est la cause de toutes les dissolutions des corps et de leurs plus grandes effervescences.

Examinons ici la plus simple des dissolutions, celle du sel dans l’eau.

Jetez dans le milieu d’un bassin plein d’eau un morceau de sel, l’eau qui est aux bords sera longtemps sans être salée ; elle ne peut le devenir que par le mouvement.

Elle ne peut être en mouvement que par les forces centrales ; les parties d’eau les plus voisines de la masse du sel doivent graviter vers ce corps de sel ; plus elles gravitent, plus elles le divisent, et cela en raison composée du carré de leur vitesse et de leur masse ; les parties divisées par cet effort nécessaire sont mises en mouvement ; leur mouvement les porte dans toute l’étendue du bassin : cette explication est non-seulement simple, mais fondée sur toutes les lois de la nature.

Concluons, en prenant ici la substance de tout ce que nous avons dit dans cet ouvrage :

1° Qu’il y a un pouvoir actif qui imprime à tous les corps une tendance les uns vers les autres ;

2° Que, par rapport aux globes célestes, ce pouvoir agit en raison renversée des carrés des distances au centre du mouvement, et en raison directe des masses ; et on appelle ce pouvoir l’attraction par rapport au centre, et gravitation par rapport aux corps qui gravitent vers ce centre ;

3° Que ce même pouvoir fait descendre ces mobiles sur notre terre, dans les progressions que nous avons vues ;

4° Qu’un pareil pouvoir est la cause de l’adhésion, de sa continuité et de la dureté, mais dans une proportion toute différente de celle dans laquelle les globes célestes s’attirent ;

5° Qu’un pareil pouvoir agit entre la lumière et les corps, comme nous l’avons vu, sans qu’on sache en quelle proportion.

À l’égard de la cause de ce pouvoir, si inutilement recherchée et par Newton et par tous ceux qui l’ont suivi, que peut-on faire de mieux que de traduire ici ce que Newton dit à la dernière page de ses Principes ?

Voici comme il s’explique en physicien aussi sublime qu’il est géomètre profond.

« J’ai jusqu’ici montré la force de la gravitation par les phénomènes célestes et par ceux de la mer ; mais je n’en ai nulle part assigné la cause.

Cette force vient d’un pouvoir qui pénètre au centre du soleil et des planètes sans rien perdre de son activité, et qui agit, non pas selon la quantité des superficies des particules de matière, comme font les causes mécaniques, mais selon la quantité de matière solide ; et son action s’étend à des distances immenses, diminuant toujours exactement selon le carré des distances, etc. »

C’est dire bien nettement, bien expressément, que l’attraction est un principe qui n’est point mécanique.

Et quelques lignes après, il dit : « Je ne fais point d’hypothèses, hypotheses non fingo. Car ce qui ne se déduit point des phénomènes est une hypothèse ; et les hypothèses, soit métaphysiques, soit physiques, soit des suppositions de qualités occultes, soit des suppositions de mécanique, n’ont point lieu dans la philosophie expérimentale. »

Je ne dis pas que ce principe de la gravitation soit le seul ressort de la physique ; il y a probablement bien d’autres secrets que nous n’avons point arrachés à la nature, et qui conspirent avec la gravitation à entretenir l’ordre de l’univers. »