Île-de-France : le juteux commerce des ordures

Voici un texte vraiment très intéressant, même si bien sûr lire les magouilles a quelque chose de rébarbatif. Cependant, aucune démarche écologiste, aucun projet concret ne pourra exister sans proposer des solutions générales à la question des déchets. C’est une question écologiste évidente, et on voit encore ici comment le capitalisme tire du profit à tous les niveaux.

Inévitablement, la question des déchets devra avoir une réponse révolutionnant notre approche du traitement de ceux-ci.

En Île-de-France, l’organisation de la gestion courante des déchets ménagers demeure opaque et très centralisée. Une situation qui ne favorise pas la prise en compte de l’avis des citoyens, et qui n’oppose que peu d’obstacles à la dérive.

Le traitement des déchets est un marché comme un autre. À la nuance près qu’il n’intéresse pas forcément le grand public.

Un paradoxe quand on sait que ce dernier est en fait le principal destinataire des prestations de retraitement, et le premier à en supporter le coût économique et environnemental.

Les citoyens ont ainsi tout intérêt à s’intéresser à la façon dont sont gérés leurs déchets. Et pourtant, ce n’est qu’à l’occasion de scandales et autres affaires douteuses que Monsieur Tout-le-Monde plonge son nez dans les ordures, le plus souvent à contrecœur et pour constater les manquements à la transparence. Pourquoi le secteur est-il si opaque ?

Explications avec un exemple concret : celui de la région Île-de-France.

Les ordures : un club discret et plus select qu’il n’y paraît

Les institutions chargées de la gestion des ordures ménagères en Île-de-France se comptent sur les doigts d’une main.Cette mission de service public est en effet dévolue par l’État au SYCTOM, l’agence métropolitaine des déchets ménagers.

Ce syndicat intercommunal créé en 1984 est dirigé par une équipe de plusieurs conseillers à la mairie de Paris, avec à leur tête François Dagnaud, maire du XIXe arrondissement de la capitale. En coordination avec les mairies, le SYCTOM est donc chargé de gérer, l’ensemble des aspects opérationnels du traitement des déchets dans la région parisienne.

Ces tâches vont de la collecte des ordures ménagères, à l’attribution de contrat pour la construction ou l’exploitation de centrales de retraitement nouvelles ou préexistantes. En Île-de-France comme en bien d’autres endroits dans le pays, le marché public des ordures ménagères n’est ainsi structuré que par le pouvoir de décision de quelques entités.

De fait, il en découle fréquemment une situation de pression sur les agents publics chargés d’attribuer les contrats, et que le journaliste Daniel Bernard a longuement décrite au cours d’une enquête publiée dans Marianne le 5 mars 2011.

Or ces marchés publics représentent des montants astronomiques ; toute entrave à la libre concurrence est donc susceptible d’avoir des conséquences sérieuses sur le portefeuille des citoyens. Daniel Bernard cite d’ailleurs un exemple parisien fort éclairant : « Dans un jugement du 14 mars 2008, le tribunal administratif a condamné la municipalité à verser à la société Epes la somme de 1 539 467 euros. […] Epes a été victime d’une grossière erreur de calcul qui a permis à sa concurrente, la société Derichebourg, de décrocher, notamment la collecte des encombrants ».

Les Parisiens se seraient bien passés de devoir verser une telle compensation ! Cet épisode a d’ailleurs fait grand bruit dans la capitale.

« Alors que la ville fait l’objet de suspicions lourdes pour favoritisme et corruption concernant l’attribution du marché […], je trouve que Bertrand Delanoë et son adjoint [François Dagnaud] ne font rien pour faire progresser la transparence », déclarait début 2013 Jean-François Legaret, chef de file des élus UMP de Paris. Des déclarations qui relèvent de la politique politicienne, mais qui ont le mérite de montrer que certaines les poubelles d’Île-de-France excitent les passions plus que d’autres.

La voix des citoyens

Paris est, à l’évidence, la commune de France où les confrontations publiques au sujet des ordures sont les plus médiatisées. Mais il n’y a guère besoin de s’éloigner beaucoup de la capitale pour constater qu’ailleurs aussi ce sujet est résolument clivant.

À quelques kilomètres de là, à Ivry-sur-Seine par exemple, les confrontations au sujet des ordures font beaucoup moins de bruit, mais n’en suscitent en effet pas moins d’antagonismes. Les projets du SYCTOM ne sont ainsi pas pour satisfaire tout le monde.

Un sujet galvanise notamment les riverains : celui de l’Usine d’Incinération des Ordures Ménagères (UIOM), appelée à être rasée puis reconstruite d’ici 2020. Montant des travaux : environ 1 milliard d’euros taxes comprises, financé par l’emprunt et remboursé par les redevances versées par les contribuables.

Problème : l’UIOM a fait l’objet d’importantes rénovations au cours des 15 dernières années, dont le coût avoisine déjà les 200 millions d’euros hors taxes. Plusieurs associations citoyennes, rassemblées dans un collectif baptisé 3R, s’opposent à ces dépenses jugées superflues. Régulièrement depuis 2010, ce collectif publie des communiqués de presse invoquant l’impossibilité légale de reconstruire ce site. « Le Préfet [Thierry Leleu], ne pourra pas autoriser la reconstruction de l’incinérateur d’Ivry », affirmait déjà en décembre 2010 l’avocat du Collectif 3R, Me Alexandre Faro.

La diversité d’opinion politique à l’intérieur du SYCTOM et de la circonscription d’Ivry n’a jusqu’à présent pas été, comme à l’intérieur du grand Paris, de nature à porter la polémique sur la scène médiatique. Pour autant, la capitale n’a pas le monopole des débats passionnés concernant la gestion des déchets. Le jeudi 18 avril 2013 par exemple, le tribunal administratif de Montreuil a invalidé un arrêté préfectoral obtenu par le SYCTOM qui autorisait l’inauguration d’un centre de méthanisation à Romainville.

« Une décision de justice qui va réjouir bien des associations locales », explique un grand quotidien national. « Inexactitudes, omissions, ou insuffisances […], les vices entachant l’étude de danger ont eu pour effet de nuire à l’information complète de la population et ont été de nature à exercer une influence sur la décision [du préfet Philippe Galli] ». Après des mois de mobilisation, les riverains ont donc quasiment obtenu l’abandon du projet.

Ainsi la gestion des ordures est-elle un véritable terrain d’affrontement politique et un sujet dont les enjeux sont beaucoup plus importants qu’ils n’y paraissent. Dans ce débat pourtant, la voie des citoyens peine parfois à être entendue.

La faute en revient, en Île-de-France du moins, à la grande centralisation et au peu de transparence dont fait l’objet la gestion courante de ce service d’intérêt public. Un mode d’organisation qui montre toutes ses limites au regard des principes démocratiques, puisqu’elle permet à quelques acteurs d’engager des fonds publics, de prendre des décisions engageant les collectivités à long terme sans pour autant avoir été désignées à cet effet par les citoyens. Pour ne pas subir bêtement cet état de fait, il ne reste donc à ces derniers qu’un seul recours : rester informé.

http://collectif3r.blogspot.fr/