« en son graduel développement, n’ait entre autres destinées celle de renoncer à manger des animaux »

Henry Thoreau (1817-1862) est un écrivain ayant eu dans son pays, les Etats-Unis d’Amérique, une importance culturelle capitale. C’est lui qui a formulé les bases de la tradition américaine qu’on peut qualifier de naturaliste, de hippie, etc. Extrêmement cultivé, Thoreau a défendu la valeur de la Nature, refusant un pseudo progrès qui se couperait d’elle.

Voici ce qu’il raconte dans le très célèbre écrit « Walden », du nom d’un étang près duquel il a vécu pendant deux ans, deux mois et deux jours, dans une cabane. Pour lui, il est inévitable que l’humanité reconnaîtra la Nature et partant de là refusera de mettre à mort des êtres vivants. C’est une question de civilisation.

Cependant, et c’est une question importante, que Thoreau expose également un rapport « sobre » à la nourriture. En fait, c’est le cas d’une très nombreuse part des principaux philosophes.

La démarche du Paris Vegan Day est inverse d’eux: ces philosophes exposent l’importance de se nourrir sainement, sans sombrer dans une sorte de course folle à la sophistication vaniteuse. Il faut avoir du recul, ce qui ne veut pas dire que l’alimentation ne peut pas être bonne ou élaborée! Et en France c’est d’importance, de par un rapport clairement irrationnel qui existe avec la nourriture.

Je me suis aperçu à plusieurs reprises, ces dernières années, que je ne sais pêcher sans descendre un peu au regard du respect de soi-même. J’en ai fait et refait l’expérience.

J’y montre de l’adresse, et, comme beaucoup de mes confrères, un certain instinct, qui se réveille de temps en temps, mais toujours la chose une fois faite je sens qu’il eût été mieux de ne point pêcher ?

Je crois ne pas me tromper. C’est une faible intimation, encore que telles se montrent les premières lueurs du matin.

Il y a incontestablement en moi cet instinct qui appartient aux ordres inférieurs de la création ; toutefois chaque année me trouve-t-elle de moins en moins pêcheur, quoique sans plus d’humanité, voire même de sagesse ; pour le moment je ne suis pas pêcheur du tout.

Mais je comprends que si je vais habiter un désert je me verrais de nouveau tenté de devenir pêcheur et chasseur pour tout de bon. D’ailleurs il y a quelque chose d’essentiellement malpropre dans cette nourriture comme dans toute chair, et je commençais à voir où commence le ménage, et d’où vient l’effort, qui coûte tant, pour montrer un aspect propre et convenable chaque jour, pour tenir la maison agréable et exempte de toutes odeurs, tous spectacles fâcheux.

Ayant été mon propre boucher, laveur de vaisselle, cuisinier, aussi bien que le monsieur pour qui les mets étaient servis, je peux parler par expérience, expérience particulièrement complète.

L’objection pratique à la nourriture animale dans mon cas était sa malpropreté; en outre, lorsque j’avais pris, vidé, fait cuire et mangé mon poisson, il ne me semblait pas qu’il m’eût essentiellement nourri.

Insignifiant et inutile, cela coûtait plus que cela ne valait. Un peu de pain ou quelques pommes de terre eussent rempli le même office, avec moins de peine et de saleté. Comme nombre de mes contemporains, j’avais, au cours de maintes années, rarement usé de nourriture animale, ou de thé, ou de café, etc. ; non pas tant à cause des effets nocifs que je leur attribuais, que parce qu’ils n’avaient rien d’agréable à mon imagination.

La répugnance à la nourriture animale est non pas l’effet de l’expérience, mais un instinct.

Il semblait plus beau de vivre de peu et faire mauvaise chère à beaucoup d’égards; et quoi que je ne m’y sois jamais résolu, j’allai assez loin dans cette voie pour contenter mon imagination. Je crois que l’homme qui s’est toujours appliqué à maintenir en la meilleure condition ses facultés élevées ou poétiques, a de tous temps été particulièrement enclin à s’abstenir de nourriture animale, comme de beaucoup de nourriture d’aucune sorte (…).

Il est mal aisé de se procurer comme d’apprêter une nourriture assez simple et assez propre pour ne pas offenser l’imagination ; mais cette dernière je crois, est à nourrir, lorsqu’on nourrit le corps ; l’un et l’autre devraient s’asseoir à la même table. Encore ceci se peut-il faire.

Les fruits mangés sobrement n’ont pas à nous rendre honteux de notre appétit, plus qu’ils n’interrompent les dignes poursuites. Mais additionnez d’un condiment d’extra voter plat, qu’il vous emprisonnera. Vivre de riche cuisine ! Le jeu n’en vaut pas la chandelle.

Il n’est guère d’hommes qui ne rougiraient de honte s’ils étaient surpris préparant de leurs mains tel dîner, soit de nourriture animale, soit de nourriture végétale, que chaque jour autrui prépare pour eux. Tant qu’il n’en sera autrement, cependant, nous ne sommes pas civilisés, et tout messieurs et dames que nous soyons, ne sommes ni de vrais hommes ni de vraies femmes.

Voilà qui certainement inspire la nature du changement à opérer. Il peut être vain de demander pourquoi l’imagination de ne se réconciliera ni avec la chair ni avec la graisse. Je suis satisfait qu’elle ne le fasse point.

N’est-ce pas un blâme à ce que l’homme est un animal carnivore ? Certes, il peut vivre, et vit, dans cette vaste mesure en faisant des autres animaux sa proie ; mais c’est une triste méthode, – comme peut s’en apercevoir quiconque ira prendre des lapins au piège ou égorger des agneaux, – et pour bienfaiteur de sa race on peut tenir qui instruira l’homme dans le contentement d’un régime plus innocent et plus saint.

Quelle que puisse être ma propre manière d’agir, je ne doute pas que la race humaine, en son graduel développement, n’ait entre autres destinées celle de renoncer à manger des animaux, aussi sûrement que les tribus sauvages ont renoncé à s’entremanger dès qu’elles sont entrés en contact avec de plus civilisées.