L’abattoir Gad et le « pacte d’avenir » ministériel

Comme le 15 octobre c’était l’Aïd-el-Kébir, il y a eu de nouveau une campagne contre l’abattage rituel, de la part de l’extrême-droite surtout.

Mais jamais l’hypocrisie de ce combat partiel n’aura autant sauté aux yeux. En effet, nous avions parlé il y a deux semaines de François Hollande promettant des centaines et des centaines de millions d’euros aux éleveurs, chaque année (Sommet de l’élevage : un milliard d’euros par an en soutien aux éleveurs).

Mais à cela s’ajoute la question des abattoirs bretons, un vaste mouvement contre des fermetures ayant lieu depuis plusieurs jours. Une réunion de crise a été organisée hier par le premier ministre Ayrault, avec carrément treize ministres !

Un « pacte d’avenir » va être organisé d’ici la fin de l’année, et en attendant il a été décidé, pour pallier à l’urgence :

– un déblocage de 15 millions d’euros afin de pouvoir « aider » les entreprises agroalimentaires ;

– la reprise par la communauté de communes de Landivisiau (Finistère) du site de l’abattoir Gad de Lampaul-Guimiliau.

Comme on le voit l’exploitation animale est portée à bout de bras. On voit bien ici que les luttes partielles concernant les abattages rituels ou bien le « bien-être », de Brigitte Bardot à L214, dévient la lutte, qui doit porter précisément sur ce point.

Nous avions parlé, lors de la grande grève américaine des fast-foods tout récemment, de la capacité de révolte des gens de ce secteur.

Citons ici un article du quotidien Libération exprimant la détresse sociale suite à la fermeture de l’abattoir, mais aussi, et c’est vital de le souligner, de son existence qui a brisé les ouvriers :

Le visage marqué, «cassés par des années de travail», les salariés de l’abattoir Gad de Lampaul-Guimiliau, dans le Finistère, ne se font «aucune illusion» sur leur avenir après l’annonce de la fermeture de leur usine.

«Je vais aller voir un employeur et lui dire que ça fait 20 ans que je découpe de la viande… Le gars il va me dire au revoir», tempête Martial, un salarié de l’abattoir situé à moins de 300 mètres de la mairie de la petite commune, à l’entrée de laquelle une pancarte prévient le visiteur: «Crise porcine + fermeture d’usine = mort du Finistère».

«Je suis arrivé frais comme un gardon il y a 20 ans et je repars physiquement détruit», assure cet homme de 44 ans aux traits tirés.
(…)

Le drame est décuplé quand, comme c’est parfois le cas, les deux membres d’un couple travaillent à l’abattoir et perdent simultanément leurs moyens de subsistance.

«Je rencontre tous les jours des gens qui pleurent dans la rue, et pas que des salariés» de l’abattoir, témoigne Jean-Marc Puchois, maire sans étiquette de la jolie commune de 2.000 habitants qui a vu naître dans les années 1950/60 l’entreprise Gad, premier employeur privé de la Communauté de communes du pays de Landivisiau (32.000 habitants et 19 communes).

«C’est un véritable gâchis de supprimer un tel outil», s’insurge l’élu, expliquant que l’abattoir se trouve «dans un des bassins de production porcine les plus importants de France avec deux millions de cochons dans un rayon de 20 km».

(…)

A titre d’exemple, un an après le licenciement de quelque 900 salariés du volailler Doux, et malgré les promesses des responsables politiques, à peine 10% d’entre eux ont retrouvé un emploi, selon les syndicats du groupe en redressement judiciaire.

On se doute bien que pour ces ouvriers, dont c’est la subsistance même est en jeu, quelque chose comme le « Paris vegan day » n’existe même pas et l’existence même d’une telle chose fait passer le véganisme pour un truc de bobo parisien payant dix euros pour entrer dans un salon de shopping branché.

Il est facile de voir le décalage, et il est logique de penser que quand une industrie comme l’exploitation animale est aussi forte, on ne peut pas arriver et exiger un changement individuel, alors qu’il faut assumer de modifier toute une production, expliquer le projet concrètement… Cela exige une grande responsabilité, une capacité de trouver des perspectives.

La morale est essentielle, mais si elle ne peut pas se transformer en réalité, c’est vain. Mais il est facile de voir que pour certaines personnes, le véganisme n’est qu’un existentialisme coupé de toute exigence de lutte et de perspective de changement total (Le véganisme deviendra-t-il en France un existentialisme ?).

Et comme déjà dit, le système se casse la gueule. Ainsi, un salaire minimum va sans doute être établi très vite en Allemagne dans les abattoirs, à 8,5 euros de l’heure, au lieu de 3-4 euros.

Les ouvriers de ce secteur viennent des pays de l’Est et non seulement ne gagnent pratiquement rien, mais en plus vivent dans des conditions d’insalubrité et de surpopulation, avec bien évidemment des conditions de travail terribles.

La condition des ouvriers d’abattoir est une horreur psychologique, culturelle et sociale et les ouvriers des abattoirs de GAD ne peuvent pas s’en sortir individuellement, ils doivent briser le système dont eux-mêmes sont victimes.

C’est là toute la contradiction qu’ils leur restent à comprendre et exprimée sur cette pancarte : « Salariés roués de promesses et abattus comme des porcs bravo Prestor. »

En ne comprenant pas la nature de l’exploitation animale, les ouvriers des abattoirs sont devenus un rouage de celle-ci, et y sont écrasés dans une même logique de profit et de mort.