Anthropocène, un concept lié à l’anthropocentrisme

Revenons sur le concept d’anthropocène qui, à notre sens est erroné. En effet, l’humanité ne peut pas exister « à côté » de l’ensemble de la vie. Il n’existe pas de muraille infranchissable entre les humains et les végétaux, les animaux, les fungi, les bactéries…

Aussi est-il erroné de s’imaginer que l’humanité devient le grand dominateur, le grand façonneur de la réalité terrestre. L’humanité est bien en train de provoquer des modifications massives, cependant :

– ces modifications sont causées par une humanité qui fait face à la Nature, et cela ne peut pas durer bien longtemps. De gré ou de force l’humanité devra reculer.

– il n’y aucune raison de penser que les humains, mêmes civilisés, seraient en dehors de la Nature. Cela pose bien entendu la question de savoir quelle place notre civilisation humaine doit avoir au sein de l’ensemble.

Pour souligner la dimension anthropocentrique du concept d’anthropocène, voici un extrait d’un document de l’historien Christophe Bonneuil, où l’on retrouve ce fantasme sur « l’âge de l’Homme ».

Penser l’Anthropocène: un enjeu interdisciplinaire

L’Anthropocène, ce n’est pas la fin du monde; c’est la fin d’une époque. Et c’est notre époque. Notre condition. C’est le signe de notre puissance, mais aussi de notre impuissance. Cette nouvelle époque géologique, ouverte par la révolution thermo-industrielle et succédant à l’Holocène, a été proposée par Paul Crutzen, chimiste de l’atmosphère et prix Nobel pour ses travaux sur la couche d’ozone. En février 2000, lors d’un colloque du programme international sur la géosphère et la biosphère à Cuernavaca au Mexique, une discussion s’anime à propos de l’ancienneté et l’intensité des impacts humains sur la planète au cours de l’holocène.

Paul Crutzen se lève alors et s’écrie : «Non! Nous ne sommes plus dans l’holocène mais dans l’anthropocène! » Ainsi naissait la proposition scientifique d’une nouvelle époque géologique.

Deux ans plus tard, dans un article de la revue scientifique Nature, Crutzen développe sa proposition d’ajouter un nouvel âge à nos échelles stratigraphiques pour signaler que l’homme, en tant qu’espèce, est devenu une force d’ampleur tellurique. Après le Pléistocène(qui ouvre le quaternaire il y a 2,5 millions d’années) et l’Holocène (qui débute il y a 11 500 ans), «il semble approprié de nommer ‘Anthropocène’ l’époque géologique présente, dominée à de nombreux titres par l’action humaine.

» Le prix Nobel propose de placer symboliquement à 1784, date du brevet de James Watt sur la machine à vapeur, le début de ce nouvel âge, pour signifier la rupture que constitue avec la révolution industrielle, la combustion de charbon prélevé dans la lithosphère et dégageant dans l’atmosphère des gaz à effet de serre modifiant le climat.

Le Grec ancien Anthropos signifiant « être humain » et Kainos signifiant « récent, nouveau »,
l’Anthropocène est donc la nouvelle période des humains, l’âge de l’Homme. L’Anthropocène se caractérise en effet par le fait que « l’empreinte humaine sur l’environnement planétaire est devenue si vaste et intense qu’elle rivalise avec certaines des grandes forces de la Nature en termes d’impact sur le système Terre. »

Ce n’est pas la première fois que des scientifiques prophétisent ce pouvoir humain sur la destinée de la planète, tantôt pour le célébrer, tantôt pour s’en inquiéter. En 1780, dans
ses Epoques de la nature, Buffon expliquait que «la face entière de la Terre porte aujourd’hui l’empreinte de la puissance de l’homme». Cette influence s’exerce notamment sur le climat: en modifiant judicieusement son environnement l’humanité pourra «modifier les influences du climat qu’elle habite et en fixer pour ainsi dire la température au point qui lui convient».

Après lui, le géologue italien Antonio Stoppani définissait en 1873 l’Homme comme une «nouvelle force tellurique», puis, dans les années 1920, Vladimir I. Vernadsky, inventeur du concept de biosphère pour désigner tout le tissu vivant de la planète, soulignait l’emprise humaine croissante sur les cycle bio-géochimiques du globe.

Le problème est facile à comprendre : soit on considère que l’humanité est sortie de la Nature et qu’elle forme une nouvelle structure, soit on considère que l’humanité est un prolongement un peu « particulier » de la Nature.

Le terme de « noosphère », pris dans un sens chrétien formulé par Teilhard de Chardin, est par exemple une sorte de nouvelle « sphère » dominant la Terre, mais si l’on prend des scientifiques défendant la conception de Gaïa, comme Lynn Margulis, la « noosphère » est un aspect de la planète elle-même…

Nous reviendrons sur cet aspect qui est, en fin de compte, le cœur de la grande bataille d’idées qui va déchirer l’humanité dans les 30 prochains années.