« Qui proposent de réfléchir en terme d’arbitrage »…

Voici un article tellement mauvais qu’il en est pathétique, affligeant: c’est une démonstration de la barrière intellectuelle et morale qui borne les « philosophes ». En l’occurrence, c’est le rédacteur en chef de « Philosophie magazine » qui l’a écrit et qui a été publié dans le numéro de décembre. Nous ne reproduisons ici que la partie « philosophique », qui suit une présentation du « manifeste » – pétition organisée par 30 millions d’amis (voir « Manifeste » sur le statut juridique des animaux en France).

L’auteur mélange ici absolument tout, ne comprend pas ce qu’il raconte, bricole des conceptions inexistantes afin d’arriver à faire à croire qu’il comprend quelque chose. Tout cela pourquoi? Parce qu’il n’y aucune pratique, aucune morale: la « philosophie » est ici pure abstraction.

Cette pétition marque la (timide?) émergence, dans le débat français, de la question du droit animal.

S’il existe, aux États-Unis, de nombreux philosophes qui militent pour que l’on donne des droits aux animaux, leurs points de vue divergent. Certains ont une approche déontologique (du grec deon, « devoir »), d’inspiration kantienne. Pour Emmanuel Kant, un être humain ne peut jamais être considéré seulement comme un moyen, mais toujours aussi comme une fin en soi.

Ce respect dû à l’humanité, les déontologues proposent de l’étendre à l’ensemble des êtres vivants doués de sensibilité, qui sont donc « sujets-d’une-vie », selon l’expression de Tom Regan – auteur d’un livre de référence, Les Droits des animaux, qui date de 1983 mais dont la traduction française vient de paraître aux éditions Hermann.

Cela inclut donc les mammifères, les oiseaux et les poissons, mais pas les insectes ni les microbes.

D’autres prônent une approche utilitariste: celle-ci propose d’organiser la société de façon à maximiser le bien-être collectif, en incluant dans ce collectif les êtres humains mais aussi les autres vivants doués de sensibilité.

La figure de proue de ce mouvement est Peter Singer, auteur de la Libération animale (1975). Si Singer est favorable au droit des animaux, notamment dans le cas des grands singes, c’est seulement afin de faire avancer la cause.

Sur le fond, l’utilitarisme est moins enclin à raisonner en termes juridiques qu’à faire des arbitrages au cas par cas.

Ainsi, on peut selon Singer tuer des animaux pour protéger le bien-être des humains (dératiser une maison ou abattre un chien enragé), mais, inversement, on peut choisir de sauver des animaux bien portants plutôt que des humains gravement handicapés (par exemple, en cas de manque d’eau potable). Cette dernière affirmation a, bien sûr, été violemment critiquée.

En dernier lieu, les écoféministes, les théoriciens du care ou encore Élisabeth de Fontenay en France invitent à rompre avec la froideur rationnelle des approches déontologiques et utilitaristes, et préconisent de s’en remettre au sens commun, à la sagesse de l’amour, aux sentiments moraux que nous éprouvons envers les animaux.

De ces trois approches, seule la première est consistante pour créer un nouveau statut juridique de l’animal.

Cependant, les deux autres – qui proposent de réfléchir en terme d’arbitrage ou en tenant compte des liens affectifs qui se forment entre hommes et bêtes – seraient, dans un second temps, indispensables aux juges pour appliquer la loi avec discernement.

On voit très bien dans cette pseudo explication que l’auteur n’imagine pas que la libération animale puisse être un concept. Son horizon, c’est celui de la philosophie en classe de terminale: un gloubi boulga abstrait et contradictoire, n’engageant à rien mais permettant de faire semblant de briller intellectuellement.

Car quelle est la seule chose qui est ici retenue dans la question animale par l’auteur? Voilà tout ce qu’il dit: il y aurait des gens vaguement sérieux – car proches du philosophe libéral Kant – posant une question juridique, tandis que d’autres zozos trop sensibles et surtout des femmes seraient vaguement utiles pour qu’un juge comprenne éventuellement ce qui se passe.

Cela ne va pas plus loin. La réalité sensible est niée, effacée. L’anthropocentrisme et le confort intellectuel bourgeois apparaissent comme des limites infranchissables. C’est tout simplement affligeant.

Mais cette pathétique réduction à des sortes de remarques philosophico-juridiques est logique car il s’agit d’un recyclage des multiples thèses de ce type mises en avant par L214, Droit des animaux, etc. Tout ce qu’on retient de cet argumentaire dénaturé et réformiste, c’est non pas les animaux eux-mêmes, bien sûr, mais une sorte de pseudo évolution juridique qui dans le meilleur des cas prendrait plusieurs centaines d’années…

La planète est en train d’être assassinée et ces gens veulent qu’on se cantonne dans le droit d’une société soutenant les destructions…