Le Parlement européen, la « surpêche » et le chalutage en eaux profondes

La bande dessinée contre le « chalutage en eaux profondes » a eu un énorme succès. Nous n’en avions pas parlé avant hier, car l’esprit est plus que critiquable. Avant d’en parler plus précisément, voyons le contexte.

Sur le site du Parlement européen, on peut lire la chose suivante :

Lutter contre la surpêche
Le Parlement européen a adopté mardi le paquet de réformes de la politique commune de la pêche afin de créer un secteur de la pêche réellement durable avec des dispositions pour réduire les rejets de poissons et protéger la mer de la surpêche. Le Parlement européen a également appelé à l’interdiction du chalutage profond dans les zones vulnérables et a approuvé le renouvellement de l’accord de pêche UE-Maroc.

En fait, la question du « chalutage en eaux profondes » n’est qu’un aspect d’une question de fond, qui justement a été masquée par la pétition et la bande dessinée…

De quoi s’agit-il ? Selon le Parlement européen, voilà comment la question se posait :

Réforme de la politique commune de la pêche

En dépit de plusieurs améliorations faisant suite à la réforme de la politique commune de la pêche (PCP) menée en 2002, il a été communément admis que la PCP doit encore être réformée d’urgence, car elle n’a pas permis de rendre la pêche durable, les flottes des États membres de l’UE continuant à capturer des volumes beaucoup plus importants que ceux qui peuvent être remplacés par les écosystèmes marins.

À l’heure actuelle, 88% des réserves en Méditerranée et 39% des réserves dans l’océan Atlantique font l’objet d’une surpêche, en raison de capacités excédentaires de la flotte, de captures excessives et d’un respect inégal des règles de l’UE. L’on a également jugé inadmissible que le volume des « rejets » (les poissons rejetés en mer, souvent morts ou mourants) demeure si élevé.

En 2011, la Commission européenne a proposé une nouvelle législation sur la pêche dans l’UE, et les députés ont joué un rôle capital dans l’élaboration des réformes s’inspirant de cette proposition, étant donné que, pour la première fois, le Parlement était sur un pied d’égalité avec le Conseil en tant que co-législateur, suite à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

Le 30 mai 2013, grâce à un accord conclu entre les négociateurs du Parlement et du Conseil, des mesures visant à mettre un terme à la surpêche et à interdire les rejets – qui sont les enjeux majeurs du Parlement dans la réforme de la politique commune de la pêche (PCP) – ont été garanties. L’accord doit permettre de mettre en place, début 2014, une politique commune de la pêche durable. Le vote final (deuxième lecture) sur le texte concernant cet accord se déroulera le 10 décembre 2013.

Et donc, justement, le 10 décembre, voici ce qui a été décidé, toujours selon le Parlement européen :

La politique commune de la pêche pour 2014 reçoit le feu vert du Parlement

Le paquet de réformes sur la politique commune de la pêche (PCP), qui inclut des mesures pour mettre fin à la surpêche et une interdiction de rejet de poissons en mer – les principaux objectifs du Parlement – a été approuvé lors d’un vote final en plénière ce mardi. Les règles d’étiquetage ont également été révisées afin de mieux informer les consommateurs. La nouvelle législation devrait permettre une pêche plus durable et entrer en vigueur début 2014.

« La réforme s’attaque au principal problème de la politique commune de la pêche: la surpêche. Le Conseil sera désormais tenu d’adopter une approche durable lors des négociations des quotas de pêche », a affirmé le rapporteur Ulrike Rodust (S&D, DE).

Les pêcheurs devront respecter le « rendement maximal durable » (RMD), c’est-à-dire ne pas pêcher plus que ce qu’un stock donné peut produire en une année déterminée. L’objectif est de reconstituer et de maintenir les stocks de poissons au-delà des niveaux de « rendement maximal durable ».

Interdire le rejet de poissons en mer

Les rejets en mer, c’est-à-dire les poissons rejetés en raison de leur espèce ou de leur taille, représentent près d’un quart des captures totales de l’UE. La plupart des espèces rejetées en mer meurent.

Pour mettre fin à cette pratique inutile, qui n’est actuellement pas interdite, les navires de pêche devront débarquer au moins 95% de leurs captures totales conformément à un calendrier pour les différents types de pêche, mis en place progressivement à partir de 2015. Le Parlement européen s’est battu pour maintenir ce pourcentage aussi élevé que possible, proche d’une interdiction totale.

Les captures débarquées de poissons qui n’ont pas la taille requise pourraient par exemple être utilisées à des fins autres que la consommation humaine.

Une réforme globale

La réforme modifie de nombreuses règles de la PCP. Par exemple, le principe de durabilité s’appliquera désormais aux navires européens qui pêchent en dehors des eaux de l’UE. Les pêcheurs européens pourront uniquement capturer les stocks excédentaires dans les eaux territoriales de pays tiers. De plus, les États membres qui ont des flottes de pêche surdimensionnées pourraient être sanctionnés en étant privés des subventions de pêche européennes.

Selon ces nouvelles règles de commercialisation, les consommateurs recevront des informations plus précises sur le poisson qu’ils achètent, notamment parce que les étiquettes devront contenir davantage de détails sur la zone de capture ou le type d’engin de pêche utilisé.

Prochaines étapes

Les représentants des États membres doivent encore approuver formellement la position de seconde lecture du Parlement avant la publication de la législation au Journal officiel de l’Union européenne.

Il y a ici une décision majeure : celle de combattre le « rejet » des poissons « inutiles », qui devra se réduire à au maximum 5 % (et non plus 25 % en moyenne!) de la pêche.

Y a-t-il lieu de se réjouir ? D’une certaine manière oui, mais de l’autre la logique reste meurtrière puisque cette décision a comme but simplement de « reconstituer les stocks ». C’est donc une modernisation de l’exploitation animale.

Et d’ailleurs, comme dans le cas des réglements sur la taille des cages, c’est une manière de renforcer les grandes entreprises contre les petites, ce qui va d’autant plus renforcer la pêche.

Seule l’abolition de la pêche est une affirmation cohérente du point de vue écologiste ; tout le reste est modernisation de l’exploitation animale.

Revenons justement ici sur la fameuse bande dessinée contre le chalutage en eaux profondes. En pratique, les médias ont salué cette manière moderne de faire passer le message, et la pétition est passée grâce à elle d’une vingtaine de milliers à pratiquement 800 000.
Ce qui n’a rien changé, bien entendu, à part que Casino et Carrefour cesseront de vendre dans le courant de l’année prochaine les principales espèces d’eaux profondes, bien entendu, on l’aura deviné, pour les remplacer par d’autres animaux… Pour les entreprises, tout cela n’est qu’une variable d’ajustement, sans conséquence aucune…

Et cela souligne d’autant plus la démagogie de la bande dessinée et son « Prends cinq minutes, copain, et signe ».

En fait, rien n’est plus faux que ces pseudos appels écologistes du type « un clic pour sauver un arbre », ces pseudos appels pour les animaux appelant à signer pour « changer les choses ». On est ici dans des postures du type catholique, dans des témoignages qui n’amènent rien d’autre qu’une satisfaction personnelle, ce qu’on appelle bien sûr la « bonne conscience ».

C’est pour cela que ce genre de démarche passe partout et donc, logiquement, n’aboutit à rien. A partir du moment où le magazine Glamour peut faire l’apologie d’une initiative, on peut bien se douter qu’il y a un problème.

Et il n’y a pas que Glamour : tout le monde a trouvé très bien cette pétition, absolument tout le monde. Sur le net, on retrouve partout des articles favorables à la bande dessinée en question, jusque sur des forums sur les aquariums, ou encore de chasse sous-marine…

Dans ce dernier cas, on peut par exemple lire l’explication suivante :

Même si nos apnées nous permettent pas d’y chasser, la mer est un ecosystème complet.

Ce n’est pas seulement notre loisir qui est impacté mais l’équilibre de notre planête.

Aussi choquant et lamentable que soient ces propos, ils sont parfaitement cohérents avec l’esprit de la pétition et de la bande dessinée. L’esprit est celui d’un appel « catastrophe », où les « tyrans » qui dominent de manière anonyme le monde mènent à la destruction, et où le bon peuple peut, sans se fouler et au moyen d’un clic, intervenir et affirmer son « refus ».

Les multiples remarques sur le net sont toutes d’esprit complotiste, alors que la destruction de la planète est en réalité partout ; il suffit de regarder par la fenêtre pour voir comment la Nature est attaquée. Nul complot dans cela: juste une manière de produire et de consommer, juste une certaine vision, erronée, de la Nature.

En ce sens, la pétition et la bande dessinée reflètent quelque chose de pourri, et rien d’écologiste. Dans un même registre, voici par exemple le commentaire élogieux que fait… Voile magazine :

Dans un premier temps, la pétition lancée par l’association Bloom pour obtenir l’interdiction du chalutage profond n’a pas obtenu un écho considérable. On peut supposer qu’elle ne touchait qu’un public déjà sensibilisé à la sauvegarde de la biodiversité marine, autant dire une cible finalement assez étroite à l’échelle du Web.

Et puis il y a eu cette petite bande dessinée militante réalisée par la talentueuse Pénélope. Un argumentaire très graphique, au ton humoristique mais pas satirique, concerné mais pas moralisateur, qui a fait un carton et porté la pétition des quelque 30 000 signatures où elle stagnait jusqu’à 749 635 ! L’objectif initial était de 600 000 signatures, il a été réévalué à 800 000 et pourrait bien être à nouveau dépassé…
Or 800 000 signatures, ce n’est pas rien.

Eh bien justement si, ce n’est rien, le vote au Parlement européen ne dépend en rien de pétition. Car les responsables politiques savent très bien que la bonne conscience, cela passe et puis ça s’oublie.

Une BD « humoristique », sans radicalité aucune, cela n’a rien de dangereux, c’est du divertissement. Et cela trompe les gens en leur donnant l’illusion qu’ils ont fait quelque chose du bien.

Le coup du « il faut du militantisme sympa et pas radical », pour « ne pas faire peur », « ne pas choquer », « ne pas culpabiliser » etc., c’est de la poudre aux yeux. Les faits sont des faits et l’humanité est en train d’assassiner la planète. Il n’y a pas à tergiverser, ou alors c’est qu’on est de mèche avec ceux qui détruisent et qu’on veut empêcher une révolution plus que nécessaire.

Un critère évident également pour évaluer un phénomène est de voir comment cela se développe. Une preuve que les signatures pour la pétition contre le chalutage en eaux profondes relèvent de l’irrationnel est que s’il y avait une base réelle, alors le mouvement se serait auto-dépassé et ne se serait pas arrêté en si bon chemin.

Cela n’irait pas forcément vers le véganisme, bien sûr, mais il existe une foule de causes diverses et multiples, notamment par exemple autour de cette question du chalutage en eaux profondes.

Comme le constate un article sur le net :

Aujourd’hui d’autres pratiques font beaucoup plus de ravages au niveau des écosystèmes comme la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (avec plusieurs milliers de palangriers asiatiques), la pêche avec des engins prohibés au niveau mondial (filets maillants dérivants utilisés par les Iraniens) et la pêche traditionnelle à la moustiquaire dans les mangroves ou les estuaires (Madagascar, Guinée Bissau, Sénégal, etc.).

Comme on le voit, ce ne sont pas les problèmes qui manquent, rien que sur ce point. Mais quand on voit les autres BD de la blogueuse ayant réalisé cette fameuse BD, on ne peut voir qu’un niveau plus qu’affligeant, avec une vision bisounours du monde et une culture vraiment anti-végan (elle justifie par exemple la pétition en disant que les poissons péchés n’intéressent personne, alors que les autres évidemment c’est différent…).

Tout cela relève de la bonne conscience et du divertissement. C’est l’un des aspects qui fait conséquence au rôle néfaste d’Europe écologie, au fait qu’en France on nie la Nature. Or, on ne peut pas défendre une cause écologiste en niant la Nature, sans inévitablement basculer dans quelque chose ne rimant à rien.

Est-ce que cela veut dire qu’il ne faille rien faire, en attendant de viser le maximum ? Pas du tout, cela veut simplement dire que tout ce qu’on fait doit faire boule de neige, et qu’il faut accepter que cela puisse prendre du temps. Boule de neige, et pas des petits coups de-ci de-là, de manière désordonnée!