Article sur la torture dans l’Encylopédie

L’erreur essentielle du réformisme dans la question animale est de ne pas voir les intérêts économiques en jeu. Toutefois, cela va avec une incompréhension de ce que représente un changement de mentalité – qui sous-tend toujours une remise en cause fondamentale, une révolution dans la manière de voir les choses.

En ce qui concerne les animaux, ce dont nous avons besoin, c’est d’un mouvement qui soit autant exigeant que les Lumières, qui porte le même progrès, qui assume la même intransigeance. A-t-on vaincu la torture par des remarques et des appels, ou bien par des attaques sans répit, au nom du progrès, des valeurs universelles?

A-t-on demandé des réformes, ou bien l’abolition? Peut-on négocier avec le crime?

Voici à titre de témoignage l’article sur la torture paru dans l’Encyclopédie [ainsi que celui de Voltaire dans le « Dictionnaire philosophique »]. On y trouve une dureté, un caractère incisif, toujours d’un haut niveau culturel, qui doit être le nôtre: la libération animale est une cause juste, porteuse de valeurs bonnes; les animaux méritent notre abnégation sans compromis!

Torture

Les Romains n’infligèrent la torture qu’aux esclaves, mais les esclaves n’étaient pas comptés pour des hommes. Il n’y a pas d’apparence non plus qu’un conseiller de la Tournelle regarde comme un de ses semblables un homme qu’on lui amène hâve, pâle, défait, les yeux mornes, la barbe longue et sale, couvert de la vermine dont il a été rongé dans un cachot.

Il se donne le plaisir de l’appliquer à la grande et à la petite torture, en présence d’un chirurgien qui lui tâte le pouls, jusqu’à ce qu’il soit en danger de mort, après quoi on recommence ; et, comme dit très bien la comédie des Plaideurs :  » Cela fait toujours passer une heure ou deux « .

Le grave magistrat qui a acheté pour quelque argent le droit de faire ces expériences sur son prochain, va conter à dîner à sa femme ce qui s’est passé le matin. La première fois madame en a été révoltée, à la seconde elle y a pris goût, parce qu’après tout les femmes sont curieuses ; et ensuite la première chose qu’elle lui dit lorsqu’il rentre en robe chez lui :  » Mon petit coeur, n’avez-vous fait donner aujourd’hui la question à personne ?  »

Les Français, qui passent, je ne sais pourquoi, pour un peuple fort humain, s’étonnent que les Anglais, qui ont eu l’inhumanité de nous prendre tout le Canada, aient renoncé au plaisir de donner la question.

Lorsque le chevalier de La Barre, petit-fils d’un lieutenant général des armées, jeune homme de beaucoup d’esprit et d’une grande espérance, mais ayant toute l’étourderie d’une jeunesse effrénée, fut convaincu d’avoir chanté des chansons impies, et même d’avoir passé devant une procession de capucins sans avoir ôté son chapeau, les juges d’Abbeville, gens comparables aux sénateurs romains, ordonnèrent, non seulement qu’on lui arrachât la langue, qu’on lui coupât la main, et qu’on brûlât son corps à petit feu ; mais ils l’appliquèrent encore à la torture pour savoir précisément combien de chansons il avait chantées, et combien de processions il avait vu passer, le chapeau sur la tête.

Ce n’est pas dans le XIIIème ou dans le XIVème siècle que cette aventure est arrivée, c’est dans le XVIIIème. Les nations étrangères jugent de la France par les spectacles, par les romans, par les jolis vers, par les filles d’Opéra, qui ont les moeurs fort douces, par nos danseurs d’Opéra, qui ont de la grâce, par Mlle Clairon, qui déclame des vers à ravir. Elles ne savent pas qu’il n’y a point au fond de nation plus cruelle que la française.

Voltaire – Dictionnaire philosophique – 1764

 

« TORTURE ou QUESTION, (Jurisprud.) est un tourment que l’on fait essuyer à un criminel ou à un accusé, pour lui faire dire la vérité ou déclarer ses complices. Voyez QUESTION.

Les tortures sont différentes, suivant les différens pays ; on la donne avec l’eau, ou avec le fer, ou avec la roue, avec des coins, avec des brodequins, avec du feu, &c.

En Angleterre on a aboli l’usage de toutes les tortures, tant en matiere civile que criminelle, & même dans le cas de haute trahison ; cependant il s’y pratique encore quelque chose de semblable quand un criminel refuse opiniatrement de répondre ou de s’avouer coupable, quoiqu’il y ait des preuves. Voyez PEINE FORTE ET DURE.

En France on ne donne point la torture ou la question en matiere civile ; mais en matiere criminelle, suivant l’ordonnance de 1670, on peut appliquer à la question un homme accusé d’un crime capital, s’il y a preuve considérable, & que cependant elle ne soit pas suffisante pour le convaincre. Voyez PREUVE.

Il y a deux sortes de questions ou tortures, l’une préparatoire, que l’on ordonne avant le jugement, & l’autre définitive, que l’on ordonne par la sentence de mort.

La premiere est ordonnée manentibus indiciis, preuves tenantes ; de sorte que si l’accusé n’avoue rien, il ne peut point être condamné à mort, mais seulement à toute autre peine, ad omnia citrà mortem.

La seconde se donne aux criminels condamnés, pour avoir révélation de leurs complices. La question ordinaire se donne à Paris avec six pots d’eau & le petit treteau, & la question extraordinaire aussi avec six pots d’eau, mais avec le grand treteau.

En Ecosse la question se donne avec une botte de fer & des coins. En certains pays on applique les piés du criminel au feu, en d’autres on se sert de coins, &c.

M. de la Bruyere dit que la question est une invention sûre pour perdre un innocent qui a la complexion foible, & pour sauver un coupable qui est né robuste. Un ancien a dit aussi fort sentencieusement, que ceux qui peuvent supporter la question, & ceux qui n’ont point assez de force pour la soutenir, mentent également.