Grands corps d’ingénieurs et programmes ministériels

Fabrice Nicolino est un de ces trublions de l’écologie officielle, c’est-à-dire ces gens très médiatiques qui trucident littéralement l’écologie officielle, ou bien le système alimentaire, comme en témoigne le succès de « Bidoche. L’industrie de la viande menace le monde ».

Le tout est, évidemment, savamment journalistique et théorique, cela ne prête jamais à conséquence, Nicolino n’assume ni l’écologie radicale ni le véganisme ; il vit de ce dont il critique et n’oppose pas d’autres valeurs.

Ceux qui s’intéressent à la WWF, à Greenpeace, à la FNE ou à la Fondation Nicolas Hulot peuvent ainsi lire « Qui a tué l’écologie ? », un ouvrage où Nicolino révèle tous les dessous peu glorieux de ces zélés collaborateurs des institutions.

De manière plus intéressante, voici ce qu’il dit sur une certaine dynamique française, une certaine « gestion » de l’Etat, qui existe quel que soit le gouvernement, car il s’agit d’une tendance de fond. Les grandes entreprises, ce sont les grandes entreprises, à moins de les briser, elles règnent en maître.

« Revenons au propos de Corinne Lepage, qui est réellement éclairant. Que cache donc cette phrase : « en second lieu, le ministère de l’Equipement – et plus précisément le corps des Ponts – a réalisé le rêve qu’il poursuivait depuis toujours : absorber le ministère de l’Environnement » ?

Mazette ! Une absorption, sans que nul ne bronche ? Eh bien, oui. Mais pour bien comprendre le sens de cette manœuvre au caractère meurtrier, il faut se pencher sur l’histoire de la France.

L’ossature administrative de notre vieux pays, au plan technique, repose sur trois grands corps d’ingénieurs d’Etat. J’ai nommé : les Mines, les Ponts et Chaussées, le Génie rural et les eaux et forêts (Gref).

Beaucoup de ces ingénieurs intègrent les écoles liées à leur spécialisation après être passés par Polytechnique (…).

Parmi les grands Mineurs, il faut bien entendu citer Pierre Guillaumat, sorti des Mines en 1933. Ce gaulliste fervent, qui a dirigé le Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) et EDF, est l’homme qui a permis la naissance de la bombe nucléaire française. Ministre des armées en 1958, il aura tout su, tout voulu, tout dissimulé. Il sera dans les années 1960 et 1970 le patron de ce qui deviendra Elf en 1967.

Je ne résiste pas à cette longue citation tirée du lire Les Barons de l’atome, de Peter Pringle et James Spigelman (Le Seuil, 1982) : « Purs produits de la technocratie française, ils [les polytechniciens] professent une foi inébranlable dans l’efficacité, le progrès, la technologie, le pragmatisme et, en conséquence, une impatience considérable devant le « manque d’efficacité » des politiciens. Eux ne servent pas des intérêts partisans, mais l’intérêt général, que représente, de façon purement abstraite, « l’Etat ».

Le monde de l’énergie atomique va fournir un terrain idéal à l’implantation de cette idéologie.

Le corps des Mines, l’élite de cette élite, puisqu’il n’est ouvert qu’aux dix premiers de chaque promotion, va, au fil des ans, monopoliser l’accès à toute une série de postes clés dans les principales branches du secteur public et aussi, de plus en plus, aux postes les plus importants du secteur privé. » (…)

Ingénieur général des Ponts et Chaussées, Bourdillon venait de prendre une retraite – publique – méritée, mais c’était pour mieux commencer une nouvelle vie dans le privé. Juste avant de quitter le ministère de l’Équipement et des Transports, notre ingénieur avait laissé un immense cadeau appelé Les Réseaux de transport français face à l’Europe, publié en 1991. (…)

[Au sujet du rapport de Bourdillon appelant à investir massivement:] Combien ? Oh, pas tant : 1560 milliards de francs en quinze ans, soit plus de 100 milliards par an. Soit 15,38 milliards d’euros. Par an. Une paille.

Où travaillait donc Jacques Bourdillon, en ce jour de gloire où je le visitai [après sa retraite publique et donc son passage dans le privé]? Plutôt, pour qui ? Scetauroute, bureau d’études commun à toutes les société d’autoroute. »