« S’il n’y avait rien d’autre à manger »

Quelque part sur le net, à l’occasion d’un article sur des personnes véganes, on peut lire la phrase suivante :

X admet que «seul sur une île déserte» il n’hésiterait pas un instant à tuer un animal pour satisfaire sa faim. «S’il n’y avait rien d’autre à manger».

Il y a là quelque chose de très intéressant, parce qu’il y a une problématique de fond quant au véganisme. En effet, le véganisme est une exigence qui rentre dans un contexte précis, à savoir le présent.

C’est un choix, une manière de vivre reposant sur un choix actuel. Est-ce que ce choix serait valable dans une autre situation ?

La réponse ne remet pas en cause le véganisme ; cependant, selon nous elle montre que le véganisme, en soi, n’est pas suffisant s’il n’est pas relié à la question générale de la Nature. En l’occurrence, nous ne pensons pas qu’un retour en arrière soit possible.

Cela ne veut nullement dire, bien sûr, que des gens devenus végans le restent. La grande erreur de la vision quantitative de l’accumulation numérique de personnes végans est que dans les faits cela se passe différemment, parce qu’il n’y a pas tout simplement « de plus en plus de végans ».

De la grande vague végan en Suède dans les années 1990, il ne reste plus grand chose, et les cas similaires sont nombreux ailleurs, notamment en France.

Mais, dans ces cas là, il s’agit d’une capitulation objective, pas d’un choix en tout état de cause (même si bien entendu la personne abandonnant le véganisme prétendra le contraire, voire deviendra farouchement anti-végan pour masquer sa propre défaite).

Par contre, imaginons le scénario farfelu suivant : on prend une personne végane et on la déplace sur une île déserte, où la survie dépend du meurtre d’animaux.

Eh bien nous pensons que la personne végane ne sera pas en mesure de tuer. Elle en sait trop. Même la personne citée plus haut ne le ferait peut être pas.

Abstraitement, on peut comprendre que les gens vivant il y a 100 ans ou même 50 ans n’aient pas été en mesure de devenir végans : trop compliqué à comprendre, à part pour une poignée d’individus. Mais très concrètement, on ne peut pas se transposer à leur place.

Quand on devient végan en effet, on passe un cap, on franchit une certaine dimension dans la démarche de la compassion.

Cela n’est nullement vrai « en général », et nous considérons que nombre de végans n’en ont finalement rien à faire des animaux, méprisant les refuges et se cantonnant dans une sorte de moralité chrétienne toute passive, voire antisociale.

Toutefois, pour une personne vraiment ouverte aux animaux et les aimant, un recul n’est pas possible, et heureusement, parce qu’il y a là une culture qui sera inévitablement celle du futur, à l’échelle de la société.

Le véganisme, en tant que compassion globale, triomphe moralement inévitablement, tout comme le refus de l’esclavage a galvanisé les gens avec le christianisme ou le bouddhisme, pour prendre un exemple historique.
Tuer dégoûte non pas simplement théoriquement, mais également en pratique ; un être vivant connaît forcément la compassion.

Cependant, alors pourquoi des animaux mangent-ils d’autres animaux, pourrait-on répondre ? C’est d’ailleurs un grand argument contre le véganisme, et c’est un argument intelligent car il comprend que le véganisme signifie, en fait et en soi, la compassion globale.

La réponse est à la fois simple et compliquée : tout prend du temps. La Nature n’est pas statique, elle se transforme, comprendre où elle va est difficile, mais il est évident déjà que les êtres vivants savent reconnaître la sensibilité en général.

Reste à avoir les moyens pour assumer la compassion – nous en tant qu’humains nous le pouvons en général ; on sait bien aussi que les animaux, dans de nombreuses situations pratiquent de la même manière la compassion, la solidarité « gratuite », sans parler de l’entraide.

Il existe un roman classique de science-fiction intéressant ici, présentant une utopie où les chiens font en sorte que tous les animaux deviennent végans : « Demain les chiens », de Clifford Simak. Asimov, le grand « pape » de la science-fiction, imaginait pareillement une « Gaïa » comme inévitable sur le parcours de l’évolution (puis une Galaxia, etc.).

Science-fiction, utopie ? L’évolution montre qu’on va vers toujours plus de complexité. On ne va pas vers le passé, vers une situation où il y aurait nous, un pistolet et une île déserte peuplée d’animaux attendant de se faire tuer.

D’ailleurs, cela n’a jamais été le cas : l’humanité « asservissant » la planète ne peut être qu’une parenthèse. C’est pour cela qu’il faut voir les choses en grand, en toujours plus grand !