« l’immense océan de matière du grand Tout »

« D’après Diderot, l’homme, un être purement matériel, fait partie intégrante de l’immense océan de matière du grand Tout qui est en constante évolution.

La notion de « Tout » désigne à la fois l’univers et les êtres, ainsi que l’homme dont les molécules, les fibres et les organes, liés les uns aux autres, composent avec d’autres espèces le seul individu, le grand Tout.

L’organisme humain constitue également un réseau sensible de rapports, susceptible de recevoir plusieurs impressions à la fois.

Ses sensations s’arrangent dans des faisceaux, car l’assemblage en
faisceaux des brins du corps construisent les organes et puis l’organisme selon la conception de l’époque.

Les impressions produisent les sensations qui sont transmises à l’origine du réseau, c’est-à-dire au cerveau. L’homme réagit : il compare les sensations, il acquiert par succession la faculté de la mémoire, la conscience et la réflexion, il raisonne, il juge et exprime ses idées en forme de signes, de gestes et de sons.

Diderot présente ces idées et ces processus à l’aide des images sensibles (…).

Les capacités et les qualités de l’homme conçu comme être matériel sont bien évidemment influencées par sa physiologie. Diderot explique tout à travers la matière et le corps. C’est la raison pour laquelle sa philosophie est nommée « physiologiste ».

Dans notre thèse nous étudions les images à l’aide desquelles Diderot illustre le fonctionnement de l’organisme humain. Le processus de la perception et de la réflexion est représenté par les images de l’horloge ambulante, du clavecin sensible et de la serinette.

Dans la Lettre sur les sourds et muets, la distinction cartésienne entre l’âme et le corps n’est pas encore oblitérée par Diderot.

Dans Le Rêve de d’Alembert, il développe sa critique du modèle mécanique de l’horloge proposé par Descartes, et explique ce qu’est l’être sentant en choisissant comme modèles du vivant le clavecin et la serinette.

Les perceptions sont produites quand les cordes de l’horloge
ambulante ou du clavecin – qui correspondent aux fibres nerveuses du corps – sont tirées ou pincées, autrement dit, quand certaines pressions produisent un effet sur l’organisme humain.

Les perceptions donnent naissance à des idées qui sont représentées par des sons. La petite figure attentive de l’horloge ambulante – le musicien qui écoute si son instrument est bien
accordé – ressemble à s’y méprendre à l’âme pensante cartésienne.

Comme si la petite figure qui orne l’horloge ne faisait pas partie intégrante de la boîte. Pourtant, le clavecin sensible,
doué de la faculté de réfléchir, fait allusion à un organisme humain qui est en même temps le musicien et l’instrument, qui a la conscience du son qu’il rend et la mémoire qui lie ces sons.

À l’aide de l’image de la serinette, Diderot met beaucoup plus l’accent sur l’aspect matériel de l’organisme humain. Les êtres vivants, y compris l’homme tout entier, sont réductibles à la matière et à la principale propriété de celle-ci, à savoir la sensibilité.

À la différence de l’animal, l’homme, grâce aux capacités intellectuelles de son cerveau, est un être organiquement plus complexe et doué de la faculté de réfléchir. »

(Dóra Székesi, La représentation de l’homme dans la philosophie de nature de Diderot)