Jocelyne Porcher et l’apologie de l’exploitation animale

Décidément, l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) ne fait pas que travailler sur le plan technique pour renforcer l’exploitation animale. Elle produit également des intellectuels visant à mettre en avant l’idéologie du « bien-être animal ».

On connaissait Florence Burgat, mais il y a en fait Jocelyne Porcher. La perspective est la même : c’est la défense du « bien-être » animal au nom de la petite exploitation qui serait soi-disant si humaine et sympathique !

Mais attention, le texte publié ici est d’une extrême importance. Publié sur le Huffington post, il a comme titre ironique « Guerre aux éleveurs, guerre aux animaux d’élevage! », car l’auteur accuse le grand capitalisme de tuer le petit. Cela n’a rien de nouveau, c’est quelque chose de tout à fait traditionnel.

C’est la seconde partie de l’article qui est capitale. En effet, Jocelyne Porcher constate que  c’est historiquement en même temps  que la grande industrie et les végans dénoncent l’exploitation animale traditionnelle. Et que donc les deux au final veulent la même chose, en quelque sorte: dépasser la situation présente.

C’est, en fait, tout à fait juste. Bien sûr pour cela, les vegans devront prendre le contrôle de la grande industrie… Car contrairement à ce que dit Jocelyne Porcher, le grand capitalisme ne compte nullement abandonner l’exploitation animale, qui rapporte tant.

Par contre, elle a raison : le véganisme peut s’approprier les grandes entreprises, pour faire en sorte que le véganisme devienne un mode de vie praticable partout, facilement…

Après dix millénaires de vie commune avec les animaux, nous arrivons à un point de rupture anthropologique et politique majeur dont l’enjeu est de rompre avec les animaux domestiques, en tout premier lieu avec les animaux d’élevage, et d’achever le processus d’industrialisation de la production alimentaire, c’est-à-dire de la soustraire définitivement des mains des éleveurs et des paysans pour la confier aux multinationales et aux investisseurs.

La guerre de l’industrie contre les paysans a commencé au 18e siècle en Europe avec le développement de la société industrielle et l’établissement d’un rapport à la nature médié par la science et la technique, fondé sur le profit, et uniquement sur lui.

L’élevage a été transformé en  » productions animales » et les animaux sont devenus des machines ou des produits. Les paysans, tout comme les luddites, ont résisté à la machinisation de leur relation à la nature et aux animaux. Ils ont résisté au 18e siècle, au 19e siècle, au 20e siècle, et ils résistent encore au 21e siècle. Ils résistent en France, mais plus largement dans la majorité des pays industrialisés.

Fight for food freedom (combat pour la liberté alimentaire)

L’agro-industrie, qui concentre pourtant déjà l’essentiel de la production et de la distribution, tient absolument à réduire à néant les paysans qui persistent à élever leurs vaches ou leurs cochons à l’herbe et aux champs, à les respecter, à les aimer et à leur donner une vie aussi bonne que possible.

Et qui tiennent également à offrir aux consommateurs des produits sains, bons, porteurs de sens et de vie. Et qui s’obstinent à revendiquer une dignité et un sens moral dans le travail. Guerre contre ces éleveurs! Ils doivent lutter pied à pied contre l’agro-industrie et les pouvoirs publics pour élever leurs animaux en accord avec leur sensibilité, maîtriser la sélection de leur troupeau, identifier leurs animaux plutôt que de les « électroniser », les nourrir sans OGM, contrôler leur abattage en leur évitant l’abattoir industriel, transformer leurs produits à la ferme, produire et vendre du lait cru (aux US), …

« Tout ce que je veux faire est illégal », écrit Joël Salatin , et effectivement, on ne peut que le constater, tout ce que les éleveurs veulent faire de bien est illégal. Tout ce qu’ils veulent faire de bien les conduit devant un tribunal. Et aux Etats-Unis, comme le souligne l’auteure du film Farmageddon, l’état, la police, mènent une guerre invisible mais très dure contre les petits paysans.

Voici la seconde partie de l’article, très intéressante malgré son opposition lamentable à l’exploitation animale, au nom des animaux eux-mêmes (ridicule!), elle a compris les potentialités de l’époque qui s’ouvre.

Une agriculture sans élevage

Mais ce n’est pas tout. Outre l’agro-industrie, les éleveurs doivent aussi lutter contre les auto-proclamés défenseurs des animaux, qui revendiquent une agriculture sans élevage. Pourquoi ? Parce que ces derniers considèrent que les éleveurs exploitent leurs animaux -et cela depuis les débuts de la domestication- et que, par souci de justice et de morale, il faudrait les libérer sans plus tarder (et sans rembourser la dette que nous avons à leur égard d’ailleurs). Haro sur le baudet est aussi la clameur que poussent certains environnementalistes au nom de la planète et, confondant élevage et productions animales, accusent l’élevage d’être responsable de l’effet de serre, de la pollution des eaux, de la réduction de la biodiversité. N’en jetez plus!

Par un opportun concours de circonstances, cette revendication d’agriculture sans élevage coïncide avec le développement de produits industriels bio-tech alternatifs aux produits animaux. Multinationales et fonds d’investissement se sont avisés -tout comme leurs prédécesseurs au 18e et 19e siècle- que la production agricole était plus rentable entre leurs mains qu’entre celles des paysans.

Ainsi que l’affirme Joshua Tetrick, directeur de Hampton Creek Food, start-up soutenue par la fondation Bill Gates: « Le monde de l’alimentation ne fonctionne plus. Il n’est pas durable, il est malsain et dangereux. (…) Nous voulons créer un nouveau modèle qui rendrait le précédent obsolète . »

Rendre l’élevage obsolète. Voilà à quoi s’affairent les start-up alimentaires et les prétendus défenseurs des animaux, prosélytes de l’alimentation vegan. Plutôt que des poulets élevés en libre parcours par un éleveur passionné par ses volatiles, achetez du chicken-free chicken à Hampton Creek food; plutôt que du fromage au lait cru acheté sur le marché à un paysan de votre région, achetez du Lygomme ACD Optimum, breveté par Cargill; plutôt que du cochon gascon élevé par un éleveur admiratif de ses cochons et qui tient absolument à vous les faire rencontrer, achetez bientôt du muscle de cochon in vitro -presque bio.

La charge destructrice des multinationales, alliée à la puissance publique et à la consternante naïveté des « défenseurs » des animaux, sonne comme un hallali. Les éleveurs et leurs animaux ne peuvent résister seuls. La relation aux animaux domestiques qu’ils défendent, c’est notre vie tout entière avec les animaux. Après l’exclusion de la vache, viendra celle de votre chien, remplacé par un robot supposé tout aussi capable d’exprimer des émotions et de ressentir les vôtres. Après l’exclusion de la vache et du chien, viendra la nôtre. Et cette exclusion-là est également déjà bien avancée.

Formidable, que ce bricolage en conclusion : l’exploitation animale permettrait aux humains de rester naturels! Quel n’importe quoi!

Un n’importe quoi au service de l’élevage, bien sûr. Et pourtant… Les éleveurs sont condamnés, car leur démarche est incompatible tant avec la morale qu’avec la réalité naturelle de notre planète : trop de pollution, trop de consommation d’eau, trop de déforestation nécessaire, trop de territoires agricoles confisqués pour l’exploitation animale !

Les gens comme Jocelyne Porcher tentent de sauver les éleveurs, coûte que coûte… mais ils sont condamnés d’avance !