« Là, j’ai un salon, espèce de foyer solaire »

Vous êtes surpris que je me plaise tant à ma terre du Laurentin, ou, si vous voulez, de Laurente. Vous reviendrez sans peine de votre étonnement, quand vous connaîtrez cette charmante habitation, les avantages de sa situation, l’étendue de nos rivages (…).

De l’autre côté est une autre tour ; on y trouve une chambre percée au levant et au couchant : derrière est un garde-meuble fort spacieux ; et puis un grenier. Au dessous de ce grenier est une salle à manger, où l’on n’a plus de la mer que le bruit de ses vagues ; encore ce bruit est-il bien faible et presque insensible : cette salle donne sur le jardin, et sur l’allée destinée à la promenade, qui règne tout autour.

Cette allée est bordée des deux côtés de buis, ou de romarin au défaut de buis : car dans les lieux où le bâtiment couvre le buis, il conserve toute sa verdure ; mais au grand air et en plein vent, l’eau de la mer le dessèche, quoiqu’elle n’y rejaillisse que de fort loin.

Entre l’allée et le jardin est une espèce de palissade d’une vigne fort touffue, et dont le bois est si tendre, qu’il ploierait mollement, même sous un pied nu. Le jardin est couvert de figuiers et de mûriers, pour lesquels le terrain est aussi favorable, qu’il est contraire à tous les autres arbres.

D’une salle à manger voisine, on jouit de cet aspect, qui n’est guère moins agréable que celui de la mer, dont elle est plus éloignée. Derrière cette salle, il y a deux appartemens dont les fenêtres regardent l’entrée de la maison, et un autre jardin moins élégant, mais mieux fourni.

De là, vous trouvez une galerie voûtée, qu’à sa grandeur on pourrait prendre pour un monument public : elle est percée de fenêtres des deux côtés ; mais du côté de la mer, le nombre des croisées est double ; une seule croisée sur le jardin répond à deux sur la mer : quand le temps est calme et serein, on les ouvre toutes ; si le vent donne d’un côté, on ouvre les fenêtres de l’autre. Devant cette galerie est un parterre parfumé de violettes.

Les rayons du soleil frappent sur la galerie, qui en augmente la chaleur par la réverbération ; et en recueillant les rayons du soleil, elle préserve encore de l’Aquilon : ainsi, d’une part, elle retient la chaleur, de l’autre, elle garantit du froid.

Enfin, cette galerie vous défend aussi du sud ; de sorte que, de différens côtés, elle offre un abri contre les vents opposés. L’agrément que l’on trouve l’hiver en cet endroit, augmente en été. Avant midi, l’ombre de la galerie s’étend sur le parterre ; après midi, sur la promenade et sur la partie du jardin qui en est voisine : selon que les jours deviennent plus longs ou plus courts, l’ombre, soit de l’un soit de l’autre côté, ou décroît ou s’allonge.

La galerie elle-même n’a jamais moins de soleil, que quand il est le plus ardent, c’est-à-dire quand il donne à plomb sur la voûte. Elle jouit encore de cet avantage, que, par ses fenêtres ouvertes, elle reçoit et transmet la douce haleine des zéphyrs, et que l’air qui se renouvelle, n’y devient jamais épais et malfaisant.

Au bout du parterre et de la galerie est, dans le jardin, un appartement détaché, que j’appelle mes délices : je dis mes vraies délices ; je l’ai construit moi-même.

Là, j’ai un salon, espèce de foyer solaire, qui d’un côté regarde le parterre, de l’autre la mer, et de tous les deux reçoit le soleil : son entrée répond à une chambre voisine, et une de ses fenêtres donne sur la ga lerie. J’ai ménagé, au milieu du côté qui regarde la mer, un cabinet charmant qui, au moyen d’une cloison vitrée et de rideaux que l’on ouvre ou que l’on ferme, peut à volonté se réunir à la chambre, ou en être séparé.

Il y a place pour un lit et deux chaises : à ses pieds, on voit la mer ; derrière soi, on a des maisons de campagne, et devant, des forêts : trois fenêtres vous présentent ces trois aspects différens, et en même temps les réunissent et les confondent. De là, on entre dans une chambre à coucher, où la voix des valets, le bruit de la mer, le fracas des orages, les éclairs, et le jour même ne peuvent pénétrer, à moins que l’on n’ouvre les fenêtres.

La raison de cette tranquillité si profonde, c’est qu’entre le mur de la chambre et celui du jardin, il y a un espace vide qui rompt le bruit. À cette chambre tient une petite étuve, dont la fenêtre fort étroite retient ou dissipe la chaleur, selon le besoin.

Plus loin, on trouve une antichambre et une chambre, où le soleil entre au moment qu’il se lève, et où il donne encore après midi, mais de côté. Quand je suis retiré dans cet appartement, je crois être bien loin, même de mon asile champêtre, et je m’y plais singulièrement, surtout au temps des Saturnales : j’y jouis du silence et du calme, pendant que tout le reste de la maison retentit de cris de joie, autorisés par la licence qui règne en ces jours de fêtes.

Ainsi mes études ne troublent point les plaisirs de mes gens, ni leurs plaisirs, mes études.

(Lettre à Gallus de Pline le jeune, au premier siècle)