Des tablettes de chocolat au sang

De tout temps, le sang et la viande ont été considérés comme des matières premières pour le traitement d’affections multiples.

La Bible dit « le Sang est la vie ». Maurice Bouvet, dans « Histoire de la pharmacie en France » montre le rôle fondamental qu’ont joué les médicaments d’origine animale ou humaine en médecine, avec un engouement particulier au début du XVIIe siècle : le sang humain, la momie, le sang de bouc, le sang de lièvre, font partie des produits énumérés par Jean de Renou.

L’intérêt pour ces produits s’atténue au XVIIIe siècle et le nombre des produits cités dans les formulaires et les pharmacopées, nous dit Maurice Bouvet, s’amenuise peu à peu. En réalité, certains produits issus du sang ou de la viande vont rester très populaire, ou le redevenir à la fin du XIXe siècle et au début du XXe.

C’est ainsi que les publicités pharmaceutiques vantent en 1905 les mérites de la « poudre de viande crue de Catillon », de « l’hémoglobine Deschiens », de « la poudre de bifteck Adrian » ou encore de « la poudre de viande de Trouette-Perret ».

En 1986, il existait encore, dans le Vidal, 228 spécialités d’origine bovine dont 128 ont disparu du Vidal 1996. Pratiquement toutes ont disparu aujourd’hui. (…)

Les spécialités pharmaceutiques à base de sang et de viande à la fin du XIXe siècle et au XXe siècle

Le boeuf (Bos taurus) fait partie très tôt des produits pharmaceutiques : chair, os, moelle et bile (ou fiel) figurent au Codex de 1837.

La fin du XIXe siècle voit s’affronter, dans une concurrence parfois ouverte et agressive, différentes formes de médication issues de la viande ou du sang ; ce sont trois formes surtout qui retiennent l’attention (et qui vont persister au-delà de 1945) : les sucs et jus de viande, voire les extraits ; les peptones, qui résultent de l’action de la pepsine sur la viande ; l’hémoglobine et diverses compositions associées. (…)

En 1875, Duroy propose à son tour une spécialité à base « d’extrait minéral et organique de sang de boeuf » sous forme de pilules. Ce nouveau médicament remplace, selon lui, avec supériorité « les ferrugineux, les phosphates, le quinquina, la pepsine, l’huile de foie de morue, la viande crue, l’extrait de viande, etc. ».

Duroy développe toute une argumentation sur le boeuf, « le plus robuste et le plus sain » des animaux utilisés pour l’alimentation et dont le sang « est identique en tout point au sang humain ». (…)

La troisième approche pour utiliser le sang et ses dérivés va se concentrer autour de l’hémoglobine, découverte en 1864. Crinon développe une spécialité (cachets ou chocolats) dès 1876 à base d’hémoglobine, « qui remplace avantageusement les ferrugineux et la viande crue ».

Pour son auteur, c’est la préparation la plus ancienne de toutes celles qui sont présentées sous le nom d’hémoglobine et « elle a rencontré, depuis, de nombreux imitateurs ». Le produit est présenté sous forme de cachets et de tablettes de chocolat. Byla date également à 1876 l’utilisation de l’hémoglobine par Lebon qui présente à la Société de thérapeutique une préparation liquide contenant de l’hémoglobine en solution sucrée. (…)

Cette brève revue des médicaments à base de sang et de viande montre que le XIXe siècle et le début du XXe siècle ont été riches en utilisations médicales de ces matières premières d’origine animale. Le plasma musculaire sera à l’origine de la zomothérapie.

Les peptones et l’hémoglobine, découverte en 1864, seront également très utilisés. L’une des principales indications sera bien sûr l’anémie, mais aussi la tuberculose. Ce n’est qu’après la Deuxième Guerre mondiale que cet usage va peu à peu disparaître au profit des antibiotiques. La plupart des médicaments dérivés du sang aujourd’hui sont fabriqués à partir du sang ou de plasma humain. »

(Revue d’histoire de la pharmacie: Quand le sang et la viande étaient des médicaments)