« J’ai vu deux patators, des frondes et des lance pierres »

Voici un autre témoignage de quelqu’un présent sur place dans la nuit où Rémi Fraisse a été tué. Il décrit le niveau de violence qui a eu lieu, et tente de formuler un point de vue global à ce sujet.

Je lis ça et là que les manifestants auraient utilisé des coktails molotov contre les forces de l’ordre dans la nuit de samedi à dimanche. Je n’en ai vu aucun.

Il est vrai que je n’ai pas vu la mort de Rémy mais il y avait charge des GM, volées de lacrymos et d’assourdissantes et j’étais tout occupé à relancer ou éteindre les lacrymos proches où à guetter les trajectoires pour me boucher les oreilles avant l’explosion (sinon ça fait mal!).Je n’ai rien jeté d’autre que ce qu’on m’a envoyé.

J’ai vu deux patators, des frondes et des lance pierres. J’ai vu voler des cailloux et des mottes de terre (assez dures, faut le dire, ce n’est pas un doux humus qu’ils ont laissés!), des fusées d’artifices (certaines ont mis le feu dans la zone défrichée des pentes où il y avait des GM déployés, une seule est allé dans le carré vide défendu par les flics), des fusées de détresses (deux tirées en direction de l’hélicoptère de la gendarmerie, pour le faire reculer, ce qui a marché) et même un feux d’artifice complet.

J’ai vu voler des bûches enflammées et des bouts de bois. Rien qui ne soit qu’assez inoffensif, approximatif ou imprécis, rien qui ne soit propulsé par autre chose que la simple force humaine ou qui ne soit que quelques milligrammes de poudre et d’oxydes colorants sans projectile d’impact.

Ayant passé la nuit de Dimanche à lundi avec ceux qui gardaient le « Dance Floor », dont certains ont participé activement à la bagarre, j’ai aussi demandé s’il y avait eu coktails. Niet.Ceux là étaient sur zone depuis Septembre et en ont pris plein le gueule depuis plus d’un mois, seuls ou presque devant les GM et les engins de chantier. Ce ne sont pas des black-blocs extérieur.

Ils ont tout fait, action non violente, clown, médiation, barricades et caillassage. Toutes leurs stratégies se sont heurtées à une machine inexorable quelque soit la forme de l’opposition. Ils en ont gros sur la patate et c’est pas moi qui va le leur reprocher, comptez plus sur moi pour ce genre de débat stérile inutile et épuisant.

Face à la coercition et au cynisme de notre état, aucune stratégie ne peut prétendre s’imposer comme étant la seule valide. La non violence a prouvé mille fois sa non efficacité si elle est utilisée seule. Il y a des contextes où cela marche, d’autres pas du tout. Regardez l’histoire autrement qu’avec des grilles de lecture toutes faites, des grands récits et des fantasmes (Gandhi!).

Pour la violence c’est pareil et d’ailleurs les zadistes savent bien jusqu’où y aller. Ils sont nombreux à venir de NDDL, la procédure de la flicaille ils connaissent…Utiliser des armes létales entraîne une réplique proportionnée et on va au massacre que nul ne veut dans ce camp. On a des doutes vis à vis de l’autre, de plus en plus justifiés et il faut en tirer les conséquences (..dégage!).

J’ai croisé à Albi un gars qui m’avait tenu la veille tous les propos non violents du monde. Il avait un pavé à la main. La rage monte devant tant de provocations. Il en faut autant pour s’interposer, bras levés entre les flics et les violents que pour lancer des pavés.

Ce n’est pas exactement le même genre de courage cependant, l’un vient plus facilement aux jeunes taillés comme des baraques, mais chacun fait avec celui qu’il a ou pas, on a le droit d’avoir peur et il y a mille choses à faire ailleurs que sur le front.

Mais il faut aussi y être en nombre sinon les engins passent, les arbres tombent et sont rasés, la terre est chamboulée et « Carcénac » nous dit: « au point ou on en est pourquoi s’arrêter… ».

Autre chose, la parité…il n’y a plus les petites nanas à l’infirmerie et les gros pépères costauds valeureux au front. Il y a de tout partout et sans quota! La grille de lecture traditionnelle sur le machisme de la lutte en est un peu chamboulée, intégrez cela camarade-e-s.

Moi j’ai l’impression qu’ils sont de moins en moins nombreux à craindre leurs stupides lacrymos et leurs gros pétards et que tous, « violents » et « pacifistes » montent à l’assaut du « vieux monde » dont , à ce stade, ils n’ont plus peur et qu’ils sont juste déterminés à ne plus accepter.