Charlie Hebdo et l’écologie

Hier, nous parlions de la considération tout à fait erronée de voir en Charlie Hebdo un journal défendant les animaux, parlons maintenant un peu d’écologie, ou plus précisément ici d’écologie dans sa version française des années 1970.

Car si Charlie Hebdo est un journal humoristique laïc, sur le plan des idées, on est tout à fait dans le profil catho de gauche – CFDT des années 1970 – Parti Socialiste Unifié des années 1970 : un peu de pacifisme, d’irrévérence face au pouvoir mais sans conséquences politique, pas de dogmatisme c’est-à-dire de prises de positions tranchées, autogestion, localisme, etc.

Voici ici un article très intéressant montrant tout cela, écrit par Olivier Nouaillas, qui travaille à l’hebdomadaire catholique La vie, qui fait partie du même groupe que Le Monde, Télérama, etc. bref toute la presse catho de gauche.

Dans le même esprit, on peut lire l’article de Reporterre, qui fait pareillement de Charlie Hebdo le premier journal écologiste. Cette vision de l’écologie est tout à fait similaire à l’approche de Grothendieck et de son groupe « Survivre et vivre », ou d’autres, c’est l’écologie non pas comme reconnaissance de la Nature, mais comme romantisme de la petite production, tout cela aboutissant à l’idéologie de la ZAD apparue il y a quelques temps.

Ce que je dois à Charlie hebdo, la Gueule Ouverte, Cabu et tous les autres…

Aussi loin que je me souvienne, l’un des premiers journaux que j’ai lu régulièrement fut « Pilote ». Nous étions à la fin des années 60 et il y avait déjà tous les héros de bandes dessinées (Astérix, Achille Talon, Lucky Luke …) et tous ceux qui allaient devenir des grands caricaturistes de l’actualité : Fred, Reiser, Gébé et surtout Cabu. Avec le grand Duduche – son personnage principal – je devais être moi aussi un peu amoureux de la fille du proviseur…

Et puis, petit à petit, moi qui n’avait pas spécialement de conscience politique, j’ai suivi, en même temps que je passais du collège au lycée, les migrations de ces dessinateurs à Charlie Hebdo.

Et j’ai découvert à travers leurs dessins, un curieux mot que je ne connaissais pas : l’écologie. Il faut dire que c’ était la grande époque des mobilisations antinucléaires, à Bugey, Creys Malville, Le Carnet …

Et chaque semaine, à travers les chroniques de Cavanna, les dessins de Cabu mais aussi les articles de Pierre Fournier (texte et dessins), j’y découvrais, en dehors d’une dénonciation des dangers du nucléaire, une critique argumentée du productivisme et des ravages destructeurs de la société de consommation.

Avec trois événements successifs qui allaient, à jamais, structurer ma propre sensibilité : la création de la Gueule Ouverte (en 1972), la sortie du film l’an 01 (en 1973) et la candidature de René Dumont (en 1974), premier candidat écologique à une élection présidentielle.

Si ce troisième événement est le plus connu, je préfère aujourd’hui m’attarder sur les deux premiers, un peu oubliés et pourtant tous les deux sortis de la matrice « Charlie Hebdo ».

En effet, c’est Charlie Hebdo qui donna naissance au premier mensuel d’écologie politique : la « Gueule Ouverte ». Son sous-titre était «Le mensuel qui annonce la fin du monde » (sic) et j’en ai conservé de précieux exemplaires dans mon grenier en Creuse. Son animateur était Pierre Fournier, pas vraiment un prophète du malheur, mais plutôt un homme révolté, un utopiste pacifiste, un adepte de la non-violence.

Et déjà on y trouvait les petits dessins de Reiser qui le premier parla de l’énergie solaire et des éoliennes et aussi les reportages de Cabu dans les communautés hippies, alternatives, antimilitaristes . Toute une époque… D’ailleurs, à la mort subite de Pierre Fournier en 1973, c’est Isabelle Monin, alors la compagne de Cabu, qui pris sa succession à la tête de la Gueule Ouverte

Et puis, aussi l’an 01. C’est dans Charlie Hebdo, que Gébé inventa et dessina les planches de ce film sous titré : « on arrête tout, on réfléchit, et c’est pas triste ». Il s’agissait alors de jeter les clefs, d’abolir la propriété, de rouler à vélo, de cultiver son jardin …

Tout cela, certes, paraît loin aujourd’hui, dans un monde de plus en financiarisé et violent. Mais cela donna naissance à de belles idées qui perdurent aujourd’hui, même si elles paraissent plus fragmentés et morcelées. Quelque part, on peut dire, sans trop se tromper, que « la sobriété heureuse » de Pierre Rabhi, cher à la fois ce blog et à de nombreux lecteurs de La Vie, en est de ses multiples fruits.

Depuis 2010, c’est Fabrice Nicolino – un ancien journaliste de La Croix, Terre Sauvage , des Cahiers de saint Lambert et de Politis – qui avait repris le flambeau de l’écologie dans Charlie Hebdo. Il fait d’ailleurs partie des quatre blessés graves mais, heureusement, rescapés de la tuerie du 7 janvier.

Plume redoutée de ce secteur – il a écrit des livres remarquables d’investigation sur les pesticides, l’industrie de la viande ou encore les produits chimiques – il entretenait cette flamme écologique.

Certes, il y eu des choses excessives dans « Charlie Hebdo ». Certes la fin du monde annoncé par « la Gueule Ouverte » n’a pas eu lieu (ouf !!! ). Certes les idéaux de l’ an 01 paraissent bien naïfs face aux délires meurtriers de l’Etat islamique. On pouvait même être choqué par tel ou tel dessin de Charlie – cela m’est arrivé – ou trouver tel ou tel chronique outrancière.

Mais tout de même quel souffle ! Quelle inventivité ! Quel humour ! Ce qui est sûr c’est que Charlie dérangeait les pollueurs de la planète. Et qu’à ce titre aussi, il doit continuer à exister.