« L’ordre » règne à Sivens

Circulez, y a rien à voir ! Par 43 voix contre 3, le Conseil général du département du Tarn a décidé hier de poursuivre le projet de barrage sur la zone de Sivens, maquillant ça derrière un redimensionnement (750 000 m3 au lieu du 1,5 million de m3), ainsi qu’un déplacement (de 50 ou 300 mètres, ce n’est pas précisé).

Au passage, le Conseil général a demandé à ce que « l’Etat procède sans délai à l’expulsion des occupants sans droit ni titre ».

Par conséquent, hier la quarantaine de personnes présentes sur la ZAD s’est faite expulsée de manière brutale par 300 gendarmes et deux hélicoptères, 250 CRS et la Cellule nationale d’aide à la mobilité (spécialisée dans les évacuations), 150 gendarmes restant sur la zone pour finir de tout démolir et pour bloquer la zone.

Une zone, rappelons le, encerclée depuis quelques jours par des agriculteurs, avec bien sûr l’appui des « forces de l’ordre ».

Alors, bien sûr, on peut dire que c’est typique des socialistes et que Ségolène Royal, ministre de l’écologie, a joué un rôle particulièrement nocif. C’est vrai. Et EELV cela n’a pas été mieux.

Seulement voilà, il est tout de même évident qu’en mettant en avant non pas la Nature, mais le style de vie punk dans les cabanes et la petite production, les zadistes ne risquaient pas de gagner l’opinion publique, opinion publique ne les intéressant par ailleurs pas du tout.

La même chose se déroule à Notre-Dame-des-Landes, avec le même mépris pour le reste de la société, et le même résultat à prévoir.

A Sivens, c’est d’autant plus terrible qu’un personne, Rémi Fraisse a été tuée, et que sa mort a provoqué, malgré la tentative de l’Etat de passer cela sous silence initialement, de fortes réactions.

L’Etat avait à ce moment-là totalement perdu la main sur la situation. Pourtant, encore une fois la Nature a été la grande oubliée. La mort de Rémi Fraisse a été unilatéralement assimilée à la violence policière en général, dans une petite révolte de la jeunesse qui n’aura duré qu’un temps extrêmement court, sans rien donner.

Le résultat a été que le grand syndicat agricole a pu rassembler la « France profonde » contre toute critique, que l’Etat a pu tranquillement reconquérir une hégémonie morale et institutionnelle, et que donc qu’un barrage va être construit, à moins d’un nouveau renversement qu’on voit très mal se produire dans la situation actuelle.

Surtout quand on voit le président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), Xavier Beulin pavoiser en parlant de triomphe du droit, de propriété, de respect des institutions, etc., se permettant même d’expliquer, malheureusement avec raison, que les zadistes proposaient un modèle de développement, sans défendre de cause environnementale par ailleurs.

Quelle victoire facile cela a été pour l’Etat ! Le Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du TESTET semble d’ailleurs reconnaître aisément cela, et espère… que le conseil général change d’avis la prochaine fois !

« Nous espérons que la prochaine assemblée départementale, qui sera forcément différente de celle-ci, saura enfin écouter nos organisations, légitimées par les experts et la Commission européenne, sinon la « crise de Sivens » risque de durer malheureusement encore longtemps. »

Des mots ! Car en pratique c’est la défaite sur toute la ligne, et cela restera ainsi… à moins qu’on en revienne au cœur de la question : la défense de la Nature. A moins qu’on arrête de contourner la bataille pour l’opinion publique. A moins qu’on se donne les moyens de la continuité, du contenu et pas seulement de la forme. A moins de raisonner en termes d’utopie au lieu de jouer le sentimentalisme avec une nostalgie d’un passé idéalisé.

La planète est en train d’être assassinée, l’heure n’est certainement pas à l’apologie d’un refuge individualiste au moyen de la petite production. Les zones humides ne sont pas à défendre au nom de la « biodiversité », mais pour leur réalité naturelle en elle-même!