François Moutou et la question des épidémies sur la Terre

L’humanité joue à l’apprenti sorcier, s’imaginant être en dehors de la Nature et donc pouvoir l’analyser « objectivement ». Une vaine prétention niant les inter-relations existant, la Nature étant un tout et l’être humain qu’une partie, partie devant se discipliner, se soumettre au tout: c’est cela que signifie « la Terre d’abord! ».

François Moutou vient de sortir un livre participant à la tentative actuelle de prétendre pouvoir « gérer » le futur proche – une chose impossible tant que l’humanité pensera être le tout et analysera le monde tel des fragments séparés, alors qu’il faut partir du tout puis en comprendre les composantes.

Le livre s’intitule « Des épidémies, des animaux et des hommes » et son auteur est vétérinaire, épidémiologiste et ancien directeur adjoint du laboratoire de santé animale de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.

Citons ici ce qu’a pu dire François Moutou de par le passé, pour comprendre son point de vue:

« La question n’est pas de discourir sur une stratégie nationale pour la biodiversité mais de décider ensemble si on garde ou non, le grand hamster (Cricetus cricetus) en Alsace, le vison européen (Mustela lutreola) en Aquitaine, l’ours brun (Ursus arctos) dans les Pyrénées – et tous les autres – et ensuite de s’y tenir.

On sait techniquement comment faire et pour les conserver et pour les éliminer. On le dit, on le fait et on l’assume. »

Faut-il voir quelque chose de positif ou non? S’agit-il d’une simple mentalité de « gestionnaire », bien française? C’est bien le cas. Dans une interview au Journal de l’environnement (produit par le grand groupe Infopro digital), François Moutou pointe une menace: celle de la commercialisation des animaux sauvages capturés.

Mais c’est le risque qui l’intéresse, ainsi que la biodiversité. Pas les animaux sauvages en soi. Pas les animaux tout court non plus puisqu’il pense que les élevages sont une bonne solution…

JDLE – Vous consacrez un chapitre aux nouveaux animaux de compagnie, dont le commerce est en partie régulé, mais fait aussi l’objet de ventes illégales sur internet. Est-ce selon vous un risque important de maladies émergentes?

François Moutou – Début mars, trois cas d’encéphalite mortelle ont été observés en Allemagne chez des éleveurs d’écureuils originaires d’Amérique centrale, du fait d’un bornavirus.

Et en 2003, des cas de variole du singe, la «monkeypox», sont survenus aux Etats-Unis chez des propriétaires de chiens de prairie, animal originaire d’Amérique du Nord. Or ces animaux avaient été en contact, dans les animaleries, avec environ 800 rongeurs d’origine africaine, eux-mêmes porteurs du virus. Pourtant, il n’y avait dans ce commerce rien d’illégal, rien de frauduleux.

En créant de tels contacts entre des animaux ne se côtoyant pas dans la nature, en l’occurrence des rongeurs nord-américains et africains, on crée toutes les circonstances d’échange de pathogènes.

Personne ne peut anticiper le résultat de telles rencontres.

Je ne comprends pas que l’on continue à accepter la commercialisation d’animaux exotiques capturés dans la nature, alors que l’on pourrait recourir à des élevages en ferme, avec une plus grande surveillance sanitaire, une possibilité de remonter la filière en cas d’accident. Ce n’est bon ni pour la biodiversité, ni pour la santé publique.

Pour le monkeypox, les conséquences pour les personnes ont heureusement été assez limitées. Mais il est certain qu’en entretenant un tel commerce, on joue avec le feu. Et à force de jouer au loto, un jour on finit par gagner.

La question-réponse suivante reflète également bien cette approche, qui se veut rationnelle, mais ne dépasse par la mentalité du chef d’entreprise s’occupant des comptes de la société en étant surtout tourné vers la question des profits.

JDLE – Quelle est la part, dans la survenue de maladies émergentes, des caractéristiques propres aux pathogènes, tels que bactéries et virus, et des facteurs humains?

François Moutou – Il est très difficile de séparer les deux phénomènes. Le temps de génération d’une bactérie est de l’ordre de quelques heures, ce qui lui laisse le temps de muter un nombre incommensurable de fois au cours de la vie d’un être humain. D’autre part, nous sommes actuellement 7 milliards de personnes sur Terre, la population ne cesse de croître. Or en épidémiologie, il y a des effets de seuil au-delà d’un certain effectif. Nous serons probablement 9 milliards d’individus en 2050, il est fort probable que de nouveaux phénomènes se produisent d’ici là.

Du fait de cette croissance démographique, l’homme a besoin de toujours plus de place, il continue à envahir des espaces jusqu’alors très peu habités. Par exemple, la forêt disparaît, ce qui crée de nouveaux contacts avec la faune sauvage, soit de manière directe avec l’homme, soit avec les élevages.

Les virus ne tombent pas du ciel, ils étaient déjà là où on les croise. Par exemple, il suffit de raser des forêts, d’y établir des élevages de porcs et d’y planter des arbres à lychees, comme cela se fait souvent.

Délogées de la forêt, les chauves-souris vont s’installer au-dessus des cochons, se nourrissant des fruits: l’homme crée ainsi des proximités entre diverses espèces qui ne se côtoyaient pas jusqu’alors, ce qui favorise les transmissions de microbes. L’homme n’est donc pas seulement une victime des maladies émergentes, il en est aussi acteur.

Tout ce que dit François Moutou est d’un niveau terriblement faible. Cela peut aider quelqu’un ne reconnaissant pas la vie sur la planète Terre comme une globalité, comme un système, mais c’est tout sauf scientifique. On comprend très bien que seule la reconnaissance théorique (et pratique) de la Terre comme système global – ce que nous appelons symboliquement Gaïa – permet d’avoir un aperçu global cohérent.

Si on en est encore à constater que les interventions humaines ont un impact sur le reste de la Nature, on est mal parti, très mal parti!

Et c’est bien le cas, car comme le montre François Moutou, les humains pensent qu’ils ont un impact sur la Nature (et « malheureusement » réciproquement), c’est-à-dire qu’ils partent du principe qu’ils sont sortis de la Nature, qu’ils n’ont plus rien à voir avec elle.

Le citadin méprisant le pigeon a le même fond culturel que le scientifique « étonné » de voir que l’humanité a une interaction avec tout le reste du domaine de la vie…

C’était un étonnement peut-être compréhensible et acceptable il y a 300 ans. Mais en 2015, c’est un étonnement criminel, qu’il faut écraser, extirper des mentalités humaines. Sans quoi le déséquilibre sera tel que l’humanité sera alors, pour le coup, vraiment mis en-dehors de Gaïa, ce qui l’amènera à disparaître, alors que si elle est apparue au sein de la Terre comme système, c’est bien qu’elle a un rôle à jouer: protéger la Terre et sa vie.