Petit retour sur l’encyclique « Laudato Si' » du pape, avec cette fois les passages utilisant les mots « anthropocentrisme » et « anthropocentriste ».
Ces passages sont très peu nombreux, car l’Eglise joue avec le feu et elle le sait. D’un côté, il lui est facile, voire très facile, de dénoncer les anthropocentristes, existentialistes, etc. qui relativisent tout au nom de la toute puissance de l’individu. C’est au moyen de cette critique qu’elle va se la jouer « progressiste », alors qu’en réalité sa « révolte contre le monde moderne » implique un retour en arrière.
De l’autre, il y a le biocentrisme qui plane comme menace. A LTD, nous sommes biocentristes, et en tant que tel le seul média vegan biocentriste. Le terme a pu être employé par certains ici et là depuis quelques mois, mais c’est une escroquerie pour se passer comme « radical », principalement du côté des « antispécistes » désireux de masquer leur ultra-individualisme et leur négation de la Nature.
L’Eglise sait très bien que la critique de l’ultra-individualisme ne lui appartient pas et qu’à sa critique appelant à aller en arrière, il y a celle affirmant qu’il faut aller de l’avant: la Terre d’abord!
L’Eglise doit expliquer qu’il y a un ordre naturel… Qui n’est pas naturel, car en fait surtout divin. Les animaux seraient donc « soumis » par… nature et les utiliser serait… écologiste, du moment que ce serait « bien fait ». C’est la même logique que les décroissants.
Ce qui permet de comprendre qu’il y a en pratique trois grandes approches actuellement dans le monde: celle qui affirme l’ego, l’individu; celle qui exige le retour en arrière, aux valeurs conservatrices et passéistes; celle qui exige la collectivité organisée dans la soumission à l’ensemble du vivant existant sur la planète.
Un anthropocentrisme dévié ne doit pas nécessairement faire place à un “bio-centrisme”, parce que cela impliquerait d’introduire un nouveau déséquilibre qui, non seulement ne résoudrait pas les problèmes mais en ajouterait d’autres. On ne peut pas exiger de l’être humain un engagement respectueux envers le monde si on ne reconnaît pas et ne valorise pas en même temps ses capacités particulières de connaissance, de volonté, de liberté et de responsabilité.
119. La critique de l’anthropocentrisme dévié ne devrait pas non plus faire passer au second plan la valeur des relations entre les personnes. Si la crise écologique est l’éclosion ou une manifestation extérieure de la crise éthique, culturelle et spirituelle de la modernité, nous ne pouvons pas prétendre soigner notre relation à la nature et à l’environnement sans assainir toutes les relations fondamentales de l’être humain. Quand la pensée chrétienne revendique une valeur particulière pour l’être humain supérieure à celle des autres créatures, cela donne lieu à une valorisation de chaque personne humaine, et entraîne la reconnaissance de l’autre.
C’est pourquoi la législation biblique s’attarde à proposer à l’être humain diverses normes, non seulement en relation avec ses semblables, mais aussi en relation avec les autres êtres vivants : « Si tu vois tomber en chemin l’âne ou le bœuf de ton frère, tu ne te déroberas pas […] Si tu rencontres en chemin un nid avec des oisillons ou des œufs, sur un arbre ou par terre, et que la mère soit posée sur les oisillons ou les œufs, tu ne prendras pas la mère sur les petits » (Dt 22, 4.6). Dans cette perspective, le repos du septième jour n’est pas proposé seulement à l’être humain, mais aussi « afin que se reposent ton âne et ton bœuf » (Ex 23, 12). Nous nous apercevons ainsi que la Bible ne donne pas lieu à un anthropocentrisme despotique qui se désintéresserait des autres créatures.
Le Catéchisme remet en cause, de manière très directe et insistante, ce qui serait un anthropocentrisme déviant : « Chaque créature possède sa bonté et sa perfection propres […] Les différentes créatures, voulues en leur être propre, reflètent, chacune à sa façon, un rayon de la sagesse et de la bonté infinies de Dieu. C’est pour cela que l’homme doit respecter la bonté propre de chaque créature pour éviter un usage désordonné des choses »
Dans la modernité, il y a eu une grande démesure anthropocentrique qui, sous d’autres formes, continue aujourd’hui à nuire à toute référence commune et à toute tentative pour renforcer les liens sociaux
L’anthropocentrisme moderne, paradoxalement, a fini par mettre la raison technique au-dessus de la réalité, parce que l’être humain « n’a plus le sentiment ni que la nature soit une norme valable, ni qu’elle lui offre un refuge vivant. Il la voit sans suppositions préalables, objectivement, sous la forme d’un espace et d’une matière pour une œuvre où l’on jette tout, peu importe ce qui en résultera ».[92] De cette manière, la valeur que possède le monde en lui-même s’affaibli
Un anthropocentrisme dévié donne lieu à un style de vie dévié. Dans l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium, j’ai fait référence au relativisme pratique qui caractérise notre époque, et qui est « encore plus dangereux que le relativisme doctrinal».[99] Quand l’être humain se met lui-même au centre, il finit par donner la priorité absolue à ses intérêts de circonstance, et tout le reste devient relatif. Par conséquent, il n’est pas étonnant que, avec l’omniprésence du paradigme technocratique et le culte du pouvoir humain sans limites, se développe chez les personnes ce relativisme dans lequel tout ce qui ne sert pas aux intérêts personnels immédiats est privé d’importance.