L’insoluble problème de L214

C’est quelque chose pour le moins incompréhensible et qui sort de toute logique. Il y a, en effet, pour schématiser, trois options quand veut que le véganisme devienne la norme générale :

– les welfaristes qui entendent améliorer au fur et à mesure les conditions de vie des animaux jusqu’à, au bout du processus, le véganisme ;

– les abolitionnistes qui demandent à ce que le droit change dans le cadre des institutions ;

– la libération animale considérant qu’il faut une révolte générale et l’effondrement complet du système de l’exploitation animale, capitalisme en général y compris.

Traditionnellement, le premier courant est dominant en France, de manière plus ou moins liée avec le véganisme, avec par exemple L214, la Fondation Bardot et une multitude d’autres associations.

Le second courant n’est représenté que par Vegan.fr, diffusant notamment les écrits de Francione, le théoricien de l’abolitionnisme.

Le troisième courant, très minoritaire dans l’activisme mais très influent culturellement, est composé avec plus ou moins de contradictions des personnes partisanes de l’ALF, de LTD, des antispécistes anarchistes.

Or, que voit-on dans le Courrier Picard ? Que L214 prend un tournant « maximaliste » : il faut fermer les abattoirs, tout le monde doit devenir végétalien.

Votre association, L214, vient de rendre public une vidéo très choquante relative à des maltraitances animales dans un abattoir. Que faut-il faire selon vous pour éviter ce genre de choses ?

C’est très simple, il faut fermer tous les abattoirs. Ce sont par définition des lieux violents où l’on donne l’autorisation de donner la mort à l’arme blanche, évidemment contre la volonté des victimes. Ces images de mise à mort sont d’une grande cruauté et marquent l’opinion. Il y a urgence à ouvrir le débat.

Par ailleurs, les mesurettes annoncées par le ministre de l’agriculture (ndlr : Stéphane Le Foll a ordonné des inspections dans l’ensemble des abattoirs), ne serviront à rien. (…)

Derrière le combat contre la maltraitance animale, votre volonté n’est-elle pas simplement de militer pour le végétalisme, dont vous vous réclamez ?

Le simple fait de la reconnaissance que les animaux sont des êtres sensibles (article L214-1 du code rural à l’origine du nom de l’association), doit effectivement nous conduire à changer nos pratiques. Manger des animaux n’est pas un besoin vital. La recherche a permis de faire d’énormes progrès en matière de nutrition et il est aujourd’hui clairement établi que l’on peut avoir une alimentation variée sans avoir besoin de manger des êtres vivants.

N’est-ce pas une douce utopie ?

Pas davantage que lorsque certains, à une autre époque, ont commencé à remettre en cause l’esclavage. Le combat contre certaines traditions ne relève pas seulement de l’utopie. On le voit par exemple avec la corrida ou le déterrage des blaireaux.

Si on va au bout de votre logique, l’homme est un animal comme les autres qui ne peut s’arroger le droit de faire souffrir un animal pour se nourrir. Faut-il dans ce cas interdire aux chats de manger des souris ?

C’est un débat philosophique qui peut aller jusque-là, oui.

On aurait tort de n’y voir qu’un débat sémantique, une question de mots ou de tournures de phrases. L214 a une démarche qui s’est construite comme un welfarisme, avec une bataille sur des points précis, sectoriels : la corrida, la situation animale dans les abattoirs, le foie gras, la « veggie pride », menus végétariens à l’école, etc.

C’est la raison pour laquelle des gens partisans de la mise en avant du véganisme ne soutiennent pas un tel projet, à la fois par morale et par considération que cela n’a pas de sens, que cela ne peut pas fonctionner.

Évidemment, d’autres ne se posent pas « toutes ces questions » et ont saisi L214 en pensant que c’est toujours un prétexte pour combattre pour les animaux. C’est là un défaut typique, et aussi une qualité, des amis et amies des animaux : ils ne réfléchissent pas en termes de stratégie, voulant bien faire tout de suite quand on peut.

Toutefois, avec la formidable exposition médiatique de L214 – la une du Monde, une présentation régulière à la télévision, comme il y a deux jours à l’émission « Ce soir (ou jamais !) » – il y a un choix qui est à faire entre assumer le welfarisme ou bien le véganisme…

Lorsque PeTA en est arrivé au même point et a fait le choix du welfarisme aux Etats-Unis, elle avait un avantage : l’ALF menait des actions régulières et de grande envergure, et PeTA n’a jamais dénoncé ou critiqué l’ALF. Le positionnement comme bras « légal » pouvait maintenir une certaine radicalité.

L214, se situant dans la tradition des Cahiers Anti-spécistes et de leur quête philosophique d’un véganisme anthropocentrique et modulable installé dans les institutions, n’a pas du tout ce « luxe ».

Comment faire alors pour préserver le véganisme comme objectif concret, sans pour autant assumer la révolution, tout en s’insérant dans les institutions ? Le problème est insoluble !