Les sujets 2016 du bac philosophie de Pondichéry

L’année dernière, au bac littéraire, le sujet de philosophie était assez captivant par sa problématique :

« Respecter tout être vivant, est-ce un devoir moral ? »

Rappelons ici que la philosophie est enseignée sur la base de la séparation radicale entre le corps et l’esprit, la nature et la culture. Impossible de répondre en allant dans le sens du véganisme dans le cadre d’une réflexion philosophique française résolument fondée sur Descartes…

Or, il est très intéressant de voir ce qui vient de tomber au bac philosophie à Pondichéry, en Inde. On a, en effet, un texte de Kant sur la cruauté envers les animaux.

Bien entendu, le point de vue est très différent du nôtre, on peut même faire difficilement plus anthropocentriste, puisque selon Kant il faut respecter les animaux, parce qu’on doit respecter les autres humains.

On peut tuer les animaux, mais il faut éviter de les faire souffrir gratuitement, car cela rend indifférent par rapport à la souffrance et on risque de nuire après aux humains! En soi, les animaux ne comptent pas…

Au moins, ceci dit, le texte affirme que la vivisection est inutile si elle consiste en simplement des expériences à l’aveugle, pour « découvrir ». Rien que cela est déjà, au moins, quelque chose, en sachant que Kant vivait au 18e siècle…

Concernant la partie des créatures qui est vivante, bien que dépourvue de raison, un traitement violent et en même temps cruel des animaux est […] intimement opposé au devoir de l’homme envers lui-même, parce qu’ainsi la sympathie à l’égard de leurs souffrances se trouve émoussée en l’homme et que cela affaiblit et peu à peu anéantit une disposition naturelle très profitable à la moralité dans la relation avec les autres hommes – quand bien même, dans ce qui est permis à l’homme, s’inscrit le fait de tuer rapidement (d’une manière qui évite deles torturer) les animaux, ou encore de les astreindre à un travail (ce à quoi, il est vrai, les hommes eux aussi doivent se soumettre), à condition simplement qu’il n’excède pas leurs forces; à l’inverse, il faut avoir en horreur les expériences physiques qui les martyrisent pour le simple bénéfice de la spéculation, alors que,même sans elles, le but pourrait être atteint.

Même la reconnaissance pour les services longtemps rendus par un vieux cheval ou un vieux chien (comme s’ils étaient des personnes de la maison) appartient indirectement aux devoirs de l’homme, à savoir au devoir conçu en considération de ces animaux, mais cette reconnaissance, envisagée directement, n’est jamais qu’un devoir de l’homme envers lui-même.

KANT,Doctrine de la vertu, 1797

On peut critiquer Kant, mais rappelons encore une fois que c’est un auteur des Lumières ; il était anthropocentriste, mais en se battant pour le progrès…

Il en va exactement de même pour le texte proposé au bac philosophie, toujours à Pondichéry, toujours cette année, en STMG.

Là encore, on a un auteur des Lumières affirmant la raison contre la barbarie, et l’anthropocentrisme va de pair avec sa vision datant d’il y a deux cent ans.

Pourquoi l’homme est-il perfectible et pourquoi l’animal ne l’est-il pas?

L’animal ne l’est pas, parce que sa raison, s’il en a une, est dominée par un sens despote qui la subjugue.

Toute l’âme du chien est au bout de son nez, et il va toujours flairant.Toute l’âme de l’aigle est dans son œil, et l’aigle va toujours regardant.

Toute l’âme de la taupe est dans son oreille, et elle va toujours écoutant.
Mais il n’en est pas ainsi de l’homme. Il est entre ses sens une telle harmonie qu’aucun ne prédomine assez sur les autres pour donner la loi à son entendement ; c’est son entendement au contraire, ou l’organe de sa raison qui est le plus fort.

C’est un juge qui n’est ni corrompu ni subjugué par aucun des témoins ; il conserve toute son autorité, et il en use pour se perfectionner : il combine toutes sortes d’idées et de sensations, parce qu’il ne sent rien fortement.

DIDEROT, Réfutation d’Helvétius(1786)

« despote » : tyran
« subjuguer » : dominer totalement
« il est » : il existe

Est-il possible qu’il y ait un hasard à ce que la question animale soit présente pas moins de deux fois au bac philosophie à Pondichéry? Absolument pas, vue la rareté de la chose. Et il est facile de comprendre que l’éducation nationale utilise le vieil anthropocentrisme pour le prétendre actuel, afin de former dans un esprit anti-végan, pseudo rationaliste…