A la fin du rapport de la Commission d’enquête parlementaire dont nous parlons en ce moment, on trouve des contributions. Voici celle de Laurence Abeille, député d’EELV et signataire du petit manifeste dont nous parlions hier, consistant en une OPA d’EELV sur la question animale.
L’idée est aussi de soutenir la candidature de Yannick Jadot – lui-même proche de Laurence Abeille et signataire du « manifeste – pour être candidat EELV aux présidentielles.
La contribution de Laurence Abeille a ceci de typique qu’on y retrouve cette contradction morale, théorique et pratique : comment assumer le réformisme, alors que ce qui le justifie, la situation des animaux, l’interdit par définition ?
Et – ce qui rend sa « contribution » hypocrite, lâche, mensongère – elle exprime ses contradictions au sein d’une contribution qui s’oppose par définition à la défense des animaux, puisqu’il s’agit d’une commission d’enquête pour améliorer les abattoirs !
Tout d’abord, je voudrais saluer le travail de la commission, de son président et de son rapporteur qui ont présenté dans leur rapport un ensemble de préconisations que je pense utiles pour éviter les scandales qui ont été dénoncés par l’association L214.
Toutefois, je souhaite par cette contribution insister sur deux points que le rapport, de mon point de vue, n’a pas suffisamment pris en compte : l’absence de nécessité à consommer de la viande, et la psychologie de l’homme au moment de la mise à mort de l’animal dans l’abattoir.
Lors de son audition, Florence Burgat, philosophe et directrice de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) expose la démarche philosophique qui consiste à « mettre au jour des fondements que l’ordinaire des pratiques masque, faisant passer pour allant de soi ce qui n’est pas nécessairement légitime ».
Elle apporte ainsi des éléments essentiels quant au questionnement sur le bien-fondé de la consommation carnée. Elle relève que la mise à mort des animaux en vue du plaisir pris à la consommation de leur chair ne peut être tenue comme allant de soi. « Les arguments en faveur de la boucherie, dans un contexte où la nécessité ne pe
ut pas être invoquée (…) sont moralement très faibles. La balance entre le plaisir gustatif de l’un, obtenu par la mort de l’autre est grandement déséquilibrée ».Florence Burgat explique « soit on pense le problème à l’intérieur du cadre réglementaire en vigueur et l’on tient, sans examen, pour légitime ce qui est légal, on s’interdit alors de comprendre pourquoi certains remettent en cause la boucherie et l’on cantonne le problème à des dérives ou à des aspects techniques ; soit on s’interroge depuis les fondements sur la légitimité de la boucherie et l’on se demande alors s’il est juste de faire subir aux animaux ce que nous leur faisons
subir, c’est-à-dire le pire – de quel droit, en l’absence de nécessité, assimilons-nous les animaux à des ressources transformables ou à des biens dont l’usage implique la destruction ?Ajoutons que jamais nous n’avons fait souffrir et tué autant d’animaux qu’aujourd’hui alors que jamais nous n’avons eu moins besoin des animaux pour notre survie ou pour notre développement. »
Florence Burgat poursuit : « C’est sur le caractère à la fois ancien et pérenne de l’interrogation sur la légitimité même de l’abattage des animaux que je voulais appeler votre attention. Non, cette préoccupation n’est pas le fait d’étranges groupuscules qui puisent dans des sources occultes ; il s’agit bien d’une question philosophique et morale que seule l’ignorance de l’histoire des idées peut ranger au magasin des bizarreries. »
En ce qui me concerne, l’audition de Florence Burgat a eu le grand mérite de s’interroger sur les fondements de la légitimité à tuer, en l’absence de nécessité pour se nourrir.
Catherine Rémy, chercheuse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a, pour sa part, apporté de nombreux éléments quant aux aspects sociologiques et ethnologiques des rapports entre les hommes et les animaux. Les enquêtes qu’elle a menées au sein des abattoirs ont permis de saisir, sur le terrain, les enjeux de la question animale avec celles des frontières de l’humanité.
Elle relève que, fondamentalement, il existe « un milieu très spécial à l’abattoir qui se caractérise notamment par un rapport violent à la mise à mort et à l’animal. De nombreux visiteurs décrivent un univers difficile, brutal ». C’est à travers la description de cet univers que l’étude de cette sociologue est intéressante. Elle a pu observer ce qu’elle appelle une culture du combat : « quand les animaux sont dociles, les travailleurs tuent avec détachement. Mais, très souvent, lorsqu’un animal résiste alors les travailleurs peuvent user de la violence, une violence non seulement verbale, mais physique ».
Cette dualité de situations s’inscrit dans un environnement professionnel qui ne permet pas aux travailleurs d’exprimer une compassion vis-à-vis de l’animal. En effet, comment serait-il humainement possible de demander à un ouvrier d’éprouver une quelconque compassion pour un animal qu’il doit tuer ? Elle souligne, alors, à quel point il serait difficile de transformer les ouvriers d’abattoir en « bons euthanasistes pleins de compassion ».
Catherine Rémy précise : « On a voulu penser l’abattoir comme une usine traditionnelle et, au fond, réduire l’animal à de la matière ; mais l’animal résiste, se rappelle à nous et se rappelle au tueur en résistant. J’ai constaté que ces moments sont très troublants pour les hommes et que c’est alors qu’on voit apparaître une violence. »
« On voit aussi des moments où l’animal résiste (…) si bien que même si l’ouvrier veut accomplir son geste le mieux possible, cela lui est difficile. Bref, il y a bien une résistance du vivant. »
Les apports de l’audition de Catherine Rémy méritent d’être relevés. Ils permettent de mettre en avant un aspect spécifique du métier d’abatteur, le plus souvent ignoré, la confrontation avec la résistance d’un être vivant qui ne veut pas mourir. En saisissant les caractéristiques de la relation du tueur avec l’animal, de véritables questionnements de fond se posent sur cette situation de violence
inévitable.Le rapport montre que la France possède les connaissances scientifiques et techniques nécessaires afin d’éviter toute souffrance inutile, mais qu’elles ne sont pas suffisamment appliquées. Pour autant, je souhaite rappeler que la mise à mort d’un animal consiste obligatoirement en une souffrance, ce qui entre en contradiction avec la notion même de respect du bien-être animal.
Tel est le sens de ma contribution, souhaiter replacer ce rapport dans un contexte où l’animal tué est un être vivant qui refuse de mourir, et par ailleurs rappeler que nous pouvons nous orienter vers une alimentation de moins en moins carnée, voire nous en passer complètement.