Le véganisme ne peut pas se concevoir comme une position individuelle : ce serait une simple posture. Il faut au contraire aller dans le sens de changer l’ensemble de la réalité conformément à ce qu’on a ressenti et compris.
La situation des pigeons est tout à fait emblématique de cela. L’engagement en leur faveur est pratiquement inexistant, alors que ceux-ci devraient être le symbole de la lutte, tellement leur existence même montre la vacuité des prétentions anthropocentristes.
Inversement, la véritable folie furieuse envers les pigeons révèle le caractère irrationnelle d’une humanité qui a enfermé son esprit dans le béton, emprisonnant ses sentiments dans sa forteresse urbaine.
Le visage béat de parents devant leurs jeunes enfants pourchassant les pigeons est ici le masque odieux de l’ignorance, de la célébration de la destruction au nom d’une sorte de pseudo confort personnel.
Si le véganisme existe en tant que proposition positive – et il ne peut exister que comme cela – alors il faut aborder la question de la ville aussi selon le regard des pigeons et de leurs besoins. L’une des image d’Épinal employé pour dénoncer les pigeons est notamment la question de leur saleté.
Or, il en va de leur nombre comme de leur saleté supposée : si les villes sont propres, les pigeons sont propres. Mais, au-delà de cela, il est tout à fait nécessaire d’affirmer que les pigeons ont le droit de se baigner.
Habitant les villes, avec par conséquent un statut d’habitants qui devrait être officiellement reconnu par l’humanité, les pigeons devraient se voir aider dans leur quête de bains. Les pigeons ont en effet un grand plaisir à prendre des bains, et pas seulement des bains de soleil, comme on peut souvent le voir. Posé, les ailes légèrement écartées, le pigeon profite du soleil, se chauffant avec plaisir.
La posture est sensiblement différente pour le bain pris dans l’eau, de par bien sûr le fait que le pigeon en profite pour se laver. Il faut que l’eau ne soit pas profonde – le pigeon ne sait pas nager, n’ayant pas appris, car il n’en a pas besoin – ce qui fait qu’on le voit souvent, quand on y prête attention, se laver dans la rue, au bord des trottoirs, car une vanne d’eau a été ouverte lors d’une opération de nettoyage.
Il serait par conséquent tout à fait normal que des petits bains soient organisés de manière organisée dans les villes, afin de servir de lieux où se laver pour les pigeons. On les accuse parfois d’être sales : soit, en ce cas, donnons leur le moyen de se laver.
Évidemment, dans cette société, c’est le social-darwinisme qui prime : on pense plutôt à exterminer qu’à reconnaître, à supprimer qu’à aider, à détruire qu’à construire.
Mais du point de vue vegan, pour l’affirmation de l’utopie d’une vie radicalement différente dans le rapport aux animaux, l’affirmation de la nécessaire existence de baignoire pour les pigeons est quelque chose de très fort, qui apporte beaucoup.
D’ailleurs, en plus des bains, et dans une idée similaire, il est nécessaire que les pigeons puissent boire. Si l’on veut en effet qu’ils soient « sains », alors autant qu’ils boivent de l’eau saine. Cela signifie que l’humanité doit mettre à la disposition des pigeons des accès à l’eau potable.
L’humanité ne peut pas faire comme si elle vivait à côté des pigeons, dans « leur » ville. La tendance au repli sur soi-même, sur « sa » propriété, est une aberration par rapport à la complexité de la réalité.
C’est dans les détails que tout se révèle, parce que la prétention de l’humanité au « contrôle », à la « maîtrise », ne tient plus quand on s’aperçoit de ce qui se passe réellement.
L’incapacité à affronter les faits, à se pencher sur une simple réalité de la vie quotidienne comme l’existence des pigeons, montre bien que l’humanité nie la complexité du réel, fuit ses tâches.
Il serait tellement aisé de faciliter la vie des pigeons, et pourtant ce n’est pas fait. Les gens peuvent marcher dans les rues sans même s’apercevoir qu’un pigeon blessé peut être juste à côté d’eux.
Cette situation provient de l’enfermement de l’esprit dans le carcan de l’individualisme ; personne ne se sent responsable de rien. Le véganisme actuellement dominant correspond malheureusement à un tel individualisme : les gens disent qu’ils ne veulent pas participer individuellement à l’exploitation animale, mais ils ne s’engagent pas pour les animaux, simplement « contre » quelque chose à laquelle ils veulent échapper en leur âme et conscience.
Or, il ne s’agit pas de nous, jamais, mais toujours des animaux, de l’ensemble du vivant. Nous ne sommes qu’une partie de l’ensemble et notre existence n’a un sens que par rapport à cet ensemble.