« One Planet Summit » : la finance sauvera-t-elle la planète?

La conférence « One Planet Summit » vient de se tenir deux ans jour pour jour après la COP21, et il y a quelque chose de bizarre, une sorte d’arrière-goût très particulier. Quand en effet la COP21 s’est terminée, les commentaires étaient, à défaut d’élogieux, au moins certains de la signification réelle et profonde de celle-ci, avec la certitude d’un impact réel.

Nous avions analysé de fond en comble la COP21, jour par jour et expliqué bien au contraire que tout cela, c’était du vent.

Or, c’est grosso modo ce qu’a expliqué Emmanuel Macron au One Planet Summit, résumant son propos par :

« On est en train de perdre la bataille. »

Pourtant, la situation présente était inévitable, de par le refus de faire des efforts et de changer sa manière de voir les choses. Donc, ce qui est attendu, c’est l’auto-critique : nous aurions du… il faut se corriger… il faut changer soi-même pour s’améliorer… etc.

On n’a droit à rien de tout cela. C’est déjà un problème fondamental, et cela montre bien que, sans révolution, aucun changement n’est possible. Il faut remettre en cause tellement de choses pour sauver la planète que, par définition, les institutions se placent en-dehors du processus de sauvetage.

Bien sûr, elles prétendent le contraire, puisque le « one planet summit », qui s’est tenu à Boulogne en banlieue parisienne, avait comme contenu : « La finance publique et privée au service de l’action climat ».

C’est-à-dire qu’il s’agit de discussions internes au système, par des gens qui en sont des représentants importants, sans aucun contrôle démocratique. C’est uniquement technique et les gens « normaux » sont tellement étrangers au processus que le « one planet summit » a un petit site pas très joli, mais ni facebook ni twitter.

On est dans l’entre-soi, dans des discussions internes, mes invités sont des membres d’administration ou de la finance, cela s’arrête là.

D’où les quatre tables rondes, qui sont purement techniques, au sens de discussions de membres de deux grandes familles : celle des institutions (maires, ministres, présidents, etc.), celle de la finance (privée, publique, des grands organismes comme la Banque mondiale, etc.).

Voici leurs thématiques :

– Changer l’échelle de la finance pour l’action climat ;

– Verdir la finance en faveur d’une économie durable ;

– Accélérer l’action locale et régionale en faveur du climat ;

– Renforcer les politiques publiques pour la transition écologique et solidaire.

Ces tables rondes se sont déroulées la matinée, l’après-midi consistant en la présentation de projets autour de trois thèmes :

– S’orienter vers une transition et un développement sobres en carbone ;

– Renforcer l’adaptation et la résilience face au changement climatique ;

– Solidarité et renforcement des capacités.

Que faut-il comprendre de tout cela ? Voici des passages synthétiques que nous avons extirpés, pour bien saisir de quoi il en retourne.

« Ce sont les investissements d’aujourd’hui qui dessinent le monde de demain. »

« La mobilisation de l’ensemble des acteurs de la finance est déterminante pour la lutte contre le dérèglement climatique et la transition vers une économie qui émet moins de gaz à effet de serre et peut s’adapter aux évolutions à venir. Tous les acteurs, institutions financières privées comme acteurs publics doivent continuer à innover dans ce sens. L’enjeu est de pousser le secteur financier vers une perspective de long terme en prenant mieux en compte les risques climatiques. »

« L’action des gouvernements locaux et régionaux est indispensable pour atteindre les objectifs mondiaux de l’Accord de Paris dans la mesure où ils possèdent les cartes maîtresses qui permettront d’en accélérer la mise en œuvre avant 2020. »

« Les gouvernements doivent jouer le rôle de garant des objectifs de l’Accord de Paris. »

Traduisons cela de manière claire. Le développement est décidé par le capitalisme, or le capitalisme ne raisonne pas en long terme, mais en profit.

Il faut donc l’aider à faire les bons choix. Un moyen d’impulser cela est de passer par des structures qui seraient indépendantes du capitalisme : les villes et les administrations locales et régionales, ainsi que les gouvernements.

Placer dans un contexte de lutte contre le réchauffement climatique du point de vue étatique, institutionnel, et avec quelques aiguillons, le capitalisme prendra conscience qu’il y a besoin de poser la question du long terme, et alors il y aura les moyens de faire quelque chose très concrètement.

Voilà l’idée du « one planet summit ».  Un tel discours n’a rien de nouveau : déjà dans les années suivant la première guerre mondiale, il y en avait qui disait que cette fois ça y est le capitalisme a compris, il n’y aurait plus de guerre, la paix est dans son intérêt, etc.

Il y a deux arguments de poids toutefois pour bien montrer que le « one planet summit » se trompe.

Le premier argument est le suivant : si ce qui est avancé est vrai, alors pourquoi cela n’a-t-il pas été fait plus tôt ? Ce que LTD a compris il y a deux ans, personne ne l’a dit (pratiquement), mais tous les experts le savaient.

Donc, pourquoi avoir menti, et pourquoi la prise de conscience qu’aurait le capitalisme ne s’est-elle pas été produite avant ?

Second argument : le capitalisme n’est pas qu’une course aveugle au profit, c’est également la compétition acharnée.

La chancelière allemande Angela Merkel n’est pas venue, car elle s’occupe de la formation de son gouvernement : on a les priorités qu’on veut. Le représentant américain a consisté… en un chargé d’affaires de l’ambassade! La Chine a envoyé simplement son vice-premier ministre, impossible de savoir quel représentant indien était là…

Ce n’est pas une conférence mondiale, malgré la présence de chefs d’Etat africains, par ailleurs tous plus corrompus les uns que les autres.

Entre la course au profit et la compétition, on est très loin d’avoir une seule planète, unifiée. Il est évident que sans administration centrale avec les pleins pouvoirs, dans un tel contexte, rien n’est possible.

Une telle administration centrale avec les pleins pouvoirs, expression des besoins de la planète et porté par la démocratie mondiale, voilà la seule solution, l’urgence de notre époque.

Le 21e siècle aboutira à cela, ou n’aboutira pas… Le reste, ce sont des mots.

Emmanuel Macron peut bien vouloir que le « one planet summit » ait lieu chaque année, cela ne changera rien. Un monde divisé, fractionné, ne peut pas unir ses efforts.

On peut apporter comme contre-argument que le sommet a été organisé par Emmanuel Macron avec deux autres figures mondiales justement : le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres et le président de la Banque Mondiale Jim Yong Kim.

Mais ni l’ONU ni la Banque Mondiale ne sont des organismes supra-nationaux. Ce sont des organismes para-nationaux, accompagnant les États, pas passant au-dessus de leur tête.

La Banque Mondiale a ainsi affirmé qu’elle cesserait le financement des industries gazière et pétrolière après 2019. Mais cela veut dire simplement qu’elle a aidé jusqu’à présent les grandes compagnies du pétrole et du gaz, rien de plus…

L’Union Européenne a elle expliquer qu’elle ferait en sorte de garantir les 100 milliards de dollars promis par les pays développés aux en voie de développement, d’ici 2020. Cela veut seulement dire que la promesse faite est censée être tenue…

Il y a également une centaine de fonds d’investissement et de fonds de pensions, comme les américains CalPERS et BlackRock, la banque britannique HSBC, qui ont promis la transparence envers leurs actionnaires sur les investissements entrant en rapport avec la question du climat.

Mais la transparence était déjà censée être de mise et cela ne veut pas dire que les actionnaires choisiront le climat. Rien ne les y forcera, et de toutes manières dans une compétition financière, c’est le meilleur rendement qui gagne…

Il y a aussi eu la présence des philanthropes, comme l’Américain Bill Gates, le Britannique Richard Branson, l’ancien maire de New York Michael Bloomberg. Ils comptent donner de l’argent à la recherche sur le climat. Mais là encore c’est dispersé et une goutte d’eau dans l’océan, sans parler de l’absence de démocratie.

Le monde peut-il dépendre d’Arnold Schwarzenegger, ancien gouverneur de Californie, avec sa cravate verte, de l’acteur Sean Penn, d’une poignée de banquiers, de quelques élus ?

Le « one planet summit » pose le même problème que la COP21 : il y a des promesses, mais aucune vérification démocratique (sans parler des décisions!), aucune contrainte en aucun cas.