L214 évalue les animaux non pas à la sensibilité, mais au regard humain

Nous avions déjà parlé de la belle chanson de Bruce Cockburn « If a tree falls », qui fait allusion à une phrase de l’évêque George Berkeley, au 18e siècle :

« Si un arbre tombe mais que personne ne l’entend, fait-il du bruit ? »

La chanson renverse la perspective, ce qui est la démarche de base quand on reconnaît une valeur en soir à la Nature.

Les végétaux et les animaux ont une valeur en soi. Ce n’est pas parce qu’on ne voit pas un animal mourir qu’il ne meurt pas, et sa valeur ne dépend en général pas de ce regard.

La Nature existe en soi, la vie a une valeur en soi. La valeur ne dépend pas du choix accordé, l’existence ne dépend pas du choix accordé. Les êtres humains peuvent ne pas aimer les cafards, les rats, les pigeons : la vie des cafards, des rats, des pigeons continuent, car cela relève de la Nature, plus puissante que toutes les vaines tentatives humaines.

Le réchauffement climatique va remettre en place d’ailleurs le décalage de l’humanité par rapport à la réalité, l’ordre naturel. La vie existe, en soi, indépendamment de ce que l’humanité en pense ou pas.

Ce n’est pas le point de vue de L214, qui montre une fois de plus que son principe, c’est un témoignage catholique, une complainte de classe moyenne devant l’horreur du monde, une lamentation d’humain prenant le sort des animaux en otage.

Voici ainsi le message posté hier par L214.

Parler de toutes les choses fausses dans cette image pourrait prendre des heures. Il y a par exemple l’éloge de la domestication avec le chien, car même si le chien est notre ami et le restera, son statut de serviteur de l’être humain date de la même période que la domestication et donc l’élevage des cochons.

Il y a le côté culpabilisation du texte sur le fait de naître sous une bonne étoile, ce qui ne veut d’ailleurs rien dire à moins de croire en la réincarnation et de penser qu’on peut être indifféremment chien, cochon ou être humain, etc.

Il y a d’autres aspects encore (le cochon allongé ou sans doute mort, le cliché de la femme aux cheveux longs sous les étoiles, etc.), mais c’est secondaire par rapport au vrai problème de fond, consistant en cette affirmation absurde :

« Ce qui les distingue le plus n’est pas leur sensibilité ou leur intelligence, mais le regard que nous leur portons. »

On dira déjà peut-être : ce n’est jamais qu’une image. Ce qui n’est pas vrai : L214 a réussi à accumuler de très importantes sources de financement et la personne qui a réalisé cette image a été payée, tout comme celle la mettant en ligne (si ce n’est pas la même).

Cette image relève d’un choix, tant marketing que philosophique. Il est donc juste et nécessaire de voir ce qu’elle vaut, surtout qu’elle montre une chose très simple : le véganisme actuel n’aime pas les animaux, il les prend en otage pour sa complainte.

Les animaux n’ont pas de valeur en soi, pas plus que la Nature, une question d’ailleurs liée. C’est le regard humain sur l’animal qui compte. C’est de l’anthropocentrisme.

On entend déjà ici une voix dire : mais non, c’est le contraire, L214 a voulu dire que les animaux peuvent avoir une sensibilité ou une intelligence similaire, mais que l’être humain fait des distinctions qui n’ont pas lieu d’être.

D’où le cochon et le chien, qui sont considérés comme d’égale intelligence, quoiqu’une telle comparaison puisse avoir de sens (comment évaluer réellement une intelligence? Chaque espèce n’existant que par son milieu, l’être humain y compris).

Mais, justement, c’est cela l’anthropocentrisme.

L’anthropocentrisme, c’est considérer que l’être humain est au centre, que ses distinctions ont une importance. Que l’être humain peut décider, selon sa conscience, en-dehors de la réalité.

C’est là le problème : L214 ne fait en pratique que renverser le système de valeurs anthropocentristes, mais  sur la base de l’anthropocentrisme. Ce qui annule toute la critique.

L214 dit le contraire que le « spécisme », mais le fait en s’appuyant sur l’humanité, non pas les animaux, ni la Nature. C’est de l’anthropocentrisme.

Donnons quelques exemples, parallèles utiles pour saisir cela. Le philosophe allemand Heidegger expliquait que l’existence en général n’avait de sens que parce que l’être humain était le témoin de celle-ci, grâce à la poésie libérée de toute règle.

L’être humain est censé être « le berger de l’être ». C’est son regard particulier qui témoignerait de l’existence dans l’absolu. Sans le regard humain, pas d’histoire, pas de langage, c’est d’ailleurs ce qui est enseigné au lycée en terminale en philosophie.

Les religions monothéistes ne disent pas autre chose, avec l’humanité ayant un statut « à part ». Dieu aurait organisé la création de l’être humain, afin de témoigner de sa création en général.

Tout n’existerait que par l’être humain, voire pour l’être humain. Tout passe par l’être humain.

Notons que parfois les religions sont liées à une reconnaissance au moins partielle de la Nature, comme ici l’Islam qui a sans doute la présentation la plus belle de cette question, avec le verset 72 de la sourate Les coalisés du Coran :

« Nous avions proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes la responsabilité (de porter les charges de faire le bien et d’éviter le mal). Ils ont refusé de la porter et en ont eu peur, alors que l’homme s’en est chargé ; car il est très injuste [envers lui-même] et très ignorant. ».

Cette vision négative et autocritique est malheureusement bien entendu totalement effacée par l’existence d’un prétendu message divin avec des lois « parfaites ». L’Islam dit que l’être humain est ignorant, mais en même temps des lois « divines » (en fait humaines pour nous athées) viennent corriger le tir, et la démesure est alors de nouveau permise.

C’est une critique de l’anthropocentrisme, finalement anthropocentriste. Suivant cette conception, l’être humain décide, il est au centre. C’est sa manière de voir les choses qui déciderait de tout.

L’absurde théorie de « l’antispécisme » ne dit pas autre chose, en prétendant simplement inverser la chose. Il y aurait le spécisme, il faudrait l’antispécisme, alors qu’en réalité s’il y a bien anthropocentrisme, ce dernier est vain.

L’humanité n’est pas « un empire dans un empire », comme l’a bien dit Spinoza, mais un aspect d’un ensemble, la Nature. Il est donc faux de dire que la chute d’un arbre dans un bois n’aurait pas de « sens » si aucun humain ne l’entend…

Tout ce qui se passe est strictement cohérent et ne provient pas d’une « déviation ». L’être humain n’est pas mauvais et il n’a pas fait de « mauvais choix », il a fait ce qu’il a pu, ce qu’il a du, et maintenant justement il doit cesser de faire un fétiche du passé et faire ce qu’il peut, ce qu’il doit.

Le véganisme est ce qu’il peut, ce qu’il doit. Le véganisme n’était pas possible il y a 500 ans, ni il y a 1000 ans. Il est possible aujourd’hui, et nécessaire.

Pourquoi ? Parce qu’aimer les animaux est naturel. La vie appelle la vie, c’est aussi simple que cela. C’est une question de rapport à la Nature dans son ensemble.

Aussi, ce sont les animaux qui doivent être au centre de la question. Mais les animaux, les « vegans » d’aujourd’hui les préfèrent morts ou souffrants, ils utilisent leurs cadavres pour défiler habiller en noir, mettant en valeur… leurs affres, leurs tourments, leur culpabilité.

Et malheureusement, des gens qui aiment vraiment les animaux se font happer par ce pessimisme, ce nihilisme, qui prend les animaux en otage pour ne parler que d’eux-mêmes.

Aussi le critère n’est pas le regard porté, bon ou mauvais, mais les animaux, la Nature, la vie en soi.