« Vegan terror » à Grenoble

C’est une histoire dont un détail vaut le coup d’être connu, car l’enfer est dans les détails justement. Cela se passe à Grenoble, où il y a un restaurant qui s’appelle « La Boucherie de Grenoble ». Quelqu’un, dans la nuit de dimanche à lundi dernier, a écrit dessus « Vegan Terror ».

Il a également, ce qui est davantage marquant, brisé 14 vitres. De la peinture a aussi été projetée sur une sorte de statue de vache devant le magasin, qui fait partie d’une franchise, les restaurants s’appelant « la boucherie » et se définissant comme « le professionnel de la viande ».

En soi, rien de très original dans tout cela, même si on peut comprendre pourquoi France 3 région s’est emparé de l’affaire, puisque c’est une actualité locale. Que BFMTV l’ait également fait, c’est déjà plus étonnant, mais tout cela, somme toute n’a rien de fondamentalement surprenant.

Ce qui est par contre stupéfiant, ce sont les propos des propriétaires, s’ils s’avèrent vrais. Ils ont expliqué en effet :

« Pour les propriétaires, la thèse d’une délinquance inspirée par le véganisme ne tient pas du tout la route.

« Pour nous, c’est une fausse piste !, confie Marie-Anne Siaud.

Nous avons des vegans qui viennent manger chez nous, ils ne mangent pas de viande mais viennent quand même. Ce n’est pas parce que c’est marqué boucherie qu’on ne fait pas d’autres plats ! »

La conjonction des mots « Vegan » et « Terror » elle-même fait tiquer la gérante, qui connaît bien le véganisme pour avoir plusieurs membres de sa famille proche adeptes de ce mode de vie. »

Le véganisme serait-il donc considéré à ce point comme vélléitaire qu’il ne concernerait que de bobos s’aménageant une place dans la société ? S’il est vrai que des gens osant s’imaginer vegan mangent dans un tel restaurant, c’est la honte la plus totale. Et malheureusement, on peut craindre que c’est vrai. La réduction à un engagement individuel, coupé de l’ensemble de la société, peut effectivement amener à une telle aberration.

Des gens peuvent se dire que, en fin de compte, c’est leur choix personnel qui est déterminant, par rapport à eux-mêmes. Ils peuvent donc faire « abstraction du reste ».

Or, non pas qu’il faille se couper de la société, mais il y a des limites à la dignité… et non pas la sienne seulement, celle des animaux. Pourquoi pas aller manger au Mc Donald’s, pendant qu’on y est ? Certains diront que cela vaudrait le coup s’il y a une offre, car tout serait offre et demande…

C’est comme d’ailleurs, le goût de la viande, c’est-à-dire du meurtre : certains se disant vegan affirment l’aimer. C’est un problème culturel énorme. Comment d’ailleurs manger même des produits végétaliens ayant la forme d’animaux ? Quelle incohérence. Quelle horreur de commander, dans un restaurant végétalien, du « poulet », du « porc »…

Un tel véganisme ne peut que s’effondrer devant les coups de boutoirs de l’idéologie dominante. Le véganisme implique une césure : qui ne l’assume pas s’effondre. Il est vraiment dommage qu’il n’y ait pas d’enquête sur les personnes ayant été véganes mais ne l’étant plus, un phénomène totalement nié, ce qui est absurde car étant d’une importance capitale.

On ne peut pas protéger le véganisme si on ne voit pas les failles existantes face aux contre-offensives culturelles. Et finalement, ne faudrait-il d’ailleurs pas dénoncer le véganisme comme « éthique individuelle », et lui opposer le véganisme comme morale ?

Bien que les deux mots, morale et éthique, aient un sens commun, cette histoire d’individualité est insupportable et le fait que les propriétaires du restaurant puissent même ne serait-ce que prétendre ce qu’ils disent sans que cela semble absurde en dit long sur la situation.

Car même si on peut trouver nul de signer « vegan terror », même si on considère que cette action n’apporte rien, on ne peut pas nier que cela correspond à une action vegane absolument cohérente. On peut être en désaccord, mais pas nier les faits : c’est une action végane militante, philosophiquement parlant.

On doit pour cette raison trouver incorrect l’appui fait par une association aux propos des propriétaires. Une association de l’Isère a en effet été interrogé à ce sujet et les propos choisis se placent directement en appui des propriétaires.

Or, est-il moralement correct de « réfuter » quelqu’un de vegan dans des médias non véganes ?

« Que pense une association Vegan* d’une telle affaire ? Lydie Visona, présidente de Cali (Cause animaux libre Isère) tient clairement à se démarquer d’un tel mode d’action.

« Je le réfute totalement, ce n’est pas comme cela qu’on fera passer notre message », nous dit-elle.

Et la militante de la cause animale de marquer son refus d’un slogan comme « Vegan Terror » : « Vegan, c’est un mouvement de compassion, pas un mouvement de terreur ! », assure-t-elle pour conclure. »

Réfuter quelque chose peut être juste selon son propre point de vue : cette association a fait le choix du pacifisme, considérant comme un acte militant de rester « immobiles pendant plusieurs heures, sans parler avec des affiches sur les animaux ».

Elle est donc cohérente en rejetant une action violente.  Notons par contre qu’elle ne l’est par contre pas du tout lorsqu’elle met en avant la « libération animale » sur ses réseaux sociaux, parce qu’un tel concept n’a rien de pacifiste. Quand on est pacifiste, on n’est pas pour la libération animale, on est pour la réforme, pour les droits des animaux, éventuellement pour l’abolitionnisme.

Mais passons, ce qui compte c’est ici la question : était-il juste d’ajouter sa voix à celle des propriétaires pour dénoncer une action végane, même si on la trouve erronée ?

Car, dans ce genre de situation, il n’y a pas trois camps, mais toujours deux. C’est d’une certaine être pris en otage, si l’on est en désaccord, c’est indéniable. Mais à un moment il faut choisir dans quel camp moral on se place.

Si on ne peut pas expliquer à un journaliste qu’il est cohérent que quelqu’un s’en prenne à une boucherie – même si l’on trouve cela erroné, contre-productif éventuellement – alors autant abandonner le véganisme directement et mettre la clef sous la porte.

On ne peut pas dire que les animaux se font torturer et exterminer par millions sur la planète et après pleurer pour quelques vitres. Ce serait aberrant. Un mouvement qui ne sait pas comprendre et saisir la nature de ses propres erreurs, s’il y en a, n’est pas un mouvement, mais l’image d’un mouvement, un fantôme.

Et à un moment donné, il faut choisir : veut-on réellement changer les choses, ce qui est compliqué, ce qui implique des faiblesses, des erreurs, ou bien veut-on juste s’intégrer dans la société en donnant un point de vue qui ne changera jamais rien?