Voici une tribune très importante, dénonçant le lobby de l’alcool. Elle a été publié dans Le Monde en mode payant ! Quelle honte et quelle soumission justement au lobby de l’alcool !
Quel dommage également que les signataires ne saisissent pas qu’il soit nécessaire de partir en guerre contre l’alcool en général pour pouvoir avancer.
Afin d’étouffer le scandale du conflit d’intérêts d’Audrey Bourolleau, la conseillère agriculture de l’Elysée, et ancienne lobbyiste en chef du monde viticole, conflit démontré rigoureusement par Mediapart le 27 juin, le lobby alcoolier prétend participer à la prévention en santé en publiant une « contribution ».
Avec pour seul objectif de créer un nuage de fumée, et d’empêcher toute politique de prévention efficace alors que le niveau de consommation d’alcool dans notre pays est un des plus élevés au monde avec 11,6 litres d’équivalent alcool pur par habitant en 2016 (davantage désormais que la Russie).
Plus qu’une contribution, c’est une offensive en règle que le lobby alcoolier a engagée.
Alors que les agences sanitaires (Santé publique France et l’Institut national du cancer) ont publié en mai 2017 leur expertise sur les mesures à prendre pour réduire les dommages liés à la consommation d’alcool, alors que les différents experts ou leaders d’opinion en santé publique et en addictologie ont fait publiquement des propositions pour mener enfin une politique énergique face à l’hécatombe (135 morts par jour dus à l’alcool), alors que toutes les autorités sanitaires internationales rappellent que l’alcool est, juste après le tabac, la deuxième cause de mortalité évitable, le lobby alcoolier met en scène sa désinvolture dans une « contribution » où il propose essentiellement de se charger de la politique de santé pourvu qu’il n’ait aucune contrainte, aucune obligation et aucun objectif de résultat.
Son discours est d’une simplicité angélique : « Laissez-nous faire ! Croyez-nous sur parole ! Dormez braves gens ! Faites confiance à notre sens des responsabilités ! »
LE LOBBY ALCOOLIER PASSE À UNE ÉTAPE ET À UNE VITESSE SUPÉRIEURES : DÉMONTRER L’INUTILITÉ DU MINISTÈRE DE LA SANTÉ EN DICTANT LUI-MÊME SA LOI
La conception de la responsabilité sociale de ce lobby est visible tous les jours dans la création de boissons alcooliques sucrées pour la jeunesse afin de les inciter à entrer le plus tôt possible dans la consommation d’alcool, dans le matraquage publicitaire autour des établissements scolaires, dans les opérations marketing à prix cassés, dans les manœuvres incessantes pour réintroduire la consommation d’alcool dans toutes les enceintes sportives.
Après avoir systématiquement rogné la grande loi de santé publique de 1991, promulguée pour protéger la jeunesse des méfaits de l’alcool et du tabac (loi Evin), le lobby alcoolier passe à une étape et à une vitesse supérieures : démontrer l’inutilité du ministère de la santé en dictant lui-même sa loi.
Il va jusqu’à faire des recommandations pour la pratique des professionnels de santé dans le repérage précoce.
On peut aussi écarquiller les yeux devant sa pingrerie. Il essaie de faire passer un financement hypothétique de la prévention de 5 millions d’euros pour un apport décisif alors que les chiffres d’affaires cumulés de la filière se comptent en milliards.
Il prétend bien entendu en garder le contrôle total pour éviter que les acteurs de santé publique s’en mêlent. Rappelons que le fonds tabac est de 100 millions d’euros, ce qui donne la mesure du minuscule effort que les alcooliers accepteraient de faire, et encore sous la condition qu’on passe sous leurs fourches caudines.
Ce cynisme envers les acteurs de santé ne serait qu’anecdote s’il ne révélait le mépris envers les malades et leurs souffrances, ainsi que la négation des travaux des experts du monde entier sur le risque de l’alcool et les moyens efficaces d’y porter remède.
Enfin, le lobby alcoolier affiche avec une arrogance rare son complet dédain de l’opinion publique, dont un récent sondage de la Ligue contre le cancer a révélé qu’elle n’était pas dupe (77 % des Français considèrent que les pouvoirs publics subissent la loi des alcooliers), et qu’elle demande une politique concrète et efficace (70 % souhaitent une interdiction totale de la publicité pour les alcools, et 80 % une information plus claire sur les risques).
Nous, professionnels de santé, experts, militants associatifs, citoyens demandons instamment que le ministère de la santé ne soit pas évincé de l’élaboration de la politique de prévention du risque alcool ; que la politique de prévention s’inscrive dans le cadre de l’avis des experts de Santé publique France et de l’Institut national du cancer ; que des mesures efficaces soient prises pour faire baisser le très haut niveau de consommation d’alcool dans notre pays, en interdisant le marketing à destination de la jeunesse, en régulant davantage la publicité, en appliquant strictement l’interdiction du sponsoring des événements sportifs par les alcooliers ; qu’un fonds « prévention alcool » digne de ce nom et à hauteur des enjeux soit créé, bénéficie de la même dotation que le fonds tabac (100 millions d’euros) et soit sous la responsabilité du ministère de la santé ; qu’il soit mis fin à la situation flagrante de conflit d’intérêts qui règne à l’Elysée.
Les acteurs de santé avaient unanimement salué la nomination d’Agnès Buzyn en raison de son engagement et de ses prises de position pendant la mandature précédente. Nous lui demandons de s’exprimer à nouveau fortement et fermement, et pas seulement sur la taille du pictogramme destiné aux femmes enceintes.
Face au cynisme d’un lobby qui ne cherche qu’à préserver ses propres intérêts, quelles qu’en soient les conséquences, il est temps que la rigueur scientifique, le courage politique et l’éthique reprennent la main.
Les signataires : Bernard Basset,médecin de santé publique, vice-président de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (Anpaa) ; Amine Benyamina, professeur de psychiatrie et d’addictologie, université Paris-XI ; Gérard Dubois, professeur de santé publique, Académie de médecine ; Irène Frachon, pneumologue, Brest ; Serge Hercberg, professeur de nutrition, université Paris-XIII ; Catherine Hill, épidémiologiste ; Albert Hirsch, professeur de pneumologie, université Paris-VII, administrateur de la Ligue nationale contre le cancer (LNCC) ; Michel Reynaud, professeur de psychiatrie et d’addictologie, université Paris-XI, président du Fonds action addiction ; Nicolas Simon, professeur de médecine, Aix-Marseille université, président de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (Anpaa).
Collectif
Le 10 juillet 2018