Entre janvier et avril, il se produit un phénomène déroutant pour les habitants de la côte atlantique française. Du pays-Basque à la Bretagne en passant par les Landes et la Charente-Maritime, ce sont des centaines de dauphins qui s’échouent sur les plages françaises.
Faut-il que l’humanité soit dénaturée à ce point pour considérer que c’est normal, ou bien qu’on n’y peut rien, voire même que cela ne s’explique pas ! Et faut-il que les consciences soient puissamment engourdies pour ne pas se réveiller, alors que l’animal concerné dispose pourtant d’une grande valorisation culturelle.
Car le dauphin est un animal très apprécié dans l’imagerie collective, avec une opposition d’ailleurs irrationnelle avec le requin. Il serait un animal joyeux, un peu enfantin et volontiers sociable avec les humains. Les images de dauphins nageant gaiement à côté de bateaux ou dans une vague surfée par un humain attestent cela. Ses capacités intelligentes d’écholocalisation en font son admiration.
La culture cinématographique a même sanctionné cet état de fait : on compte plusieurs films mettant en scène des dauphins comme, par exemple, dans « Le monde de Nemo ». Dans le film, « Winter le dauphin », on a par exemple un dauphin à la queue mutilée par les filets de pêche, et sauvé par une prothèse créée par des humains.
Cette image n’est cependant qu’une image que l’humanité se renvoie à elle-même, car la norme, c’est l’écocide. Les dauphins sont en effet soumis à l’intense pression du capitalisme dans les océans, car il faut toujours plus de profit et comment l’océan, aussi vaste, échapperait-il à ceux qui le subordonneraient bien à ses exigences de rentabilité ?
Et cela dans une démarche d’expansion toujours plus grande. Ainsi, selon l’observatoire Pleagis fondé en 2003 et basé à La Rochelle, on compte plus de 400 dauphins échoués sur la côte atlantique depuis le mois de décembre 2018. En Vendée, ce sont près de 90 dauphins échoués en seulement deux semaines !
Ce niveau d’échouage est largement au-dessus des « normales » et les observateurs scientifiques s’en inquiètent tout particulièrement. Le 15 février, Dominique Chevillon, président de l’association écologiste « Ré Nature Environnement » à l’Île de Ré en Charente-Maritime déclarait au micro d’Europe 1 :
« lorsque les animaux échouent, on constate des traces. On voit des traces de filets, on voit des traces d’amputation, […] on voit des nageoires dorsales qui sont coupées pour les sortir du filet. […]
Nous avons aussi des témoignages de pêcheurs qui nous racontent comment cela se passe, y compris des gens qui sont embarqués sur des chalutiers qui sont en cause. Aujourd’hui, on a fléché vers les chalutiers pélagiques qui sont des chalutiers qui pêchent « en bœuf », donc vous avez deux chalutiers qui traient un grand chalut arrière.
Nous avons une forte certitude, et partagée par les pêcheurs d’ailleurs, que cette pêche là est à l’origine de nos soucis »
Pourtant, Dominique Chevillon rappelle qu’il n’y a que 18 chalutiers de ce type qui pêchent dans la région de Gascogne, entre la Charente-Maritime et le pays basque. Cette modalité de pêche vise surtout à la capture de poissons vivant en bancs concentrés, comme le Bar et le Merlu. Avec des vastes filets qui drainent le fond de l’océan, on passe d’une capture individuelle à une capture de masse, augmentant ainsi les rendements. Seuls les grands groupements économiques peuvent ainsi procéder à ce type de pêche : c’est le monopole de la production qui opère.
Ce n’est pas « le pêcheur » qui pose souci, mais la pêche ayant pris une dimension industrielle, extrêmement organisée, totalement organisée, parfaitement insérée dans les circuits de distribution économique.
D’où la forme atroce de la mort des dauphins, qui ne sont pas simplement mutilés par les filets. Un dauphin ne peut en effet pas nager infiniment dans l’eau, il a besoin de remonter régulièrement à la surface pour s’oxygéner. Pris dans les chaluts, ils se trouvent traînés sur plusieurs kilomètres, souvent avec des blessures et dans l’incapacité de remonter à la surface. La pêche pélagique, c’est la mort par asphyxie des dauphins.
On atteint là un niveau de barbarie difficilement soutenable car comme le rappelle Dominique Chevillon :
« La mer est un monde extraordinaire quand vous êtres un dauphin avec les organes et les sens qu’ils ont.
Se retrouver pris, avec le stress […] ce sont des animaux extrêmement sensibles, ils ont un sixième sens comme l’écholocalisation, etc., donc on a ici un vrai drame. »
Alors que – appelons les choses par leur nom – la pêche capitaliste à grande échelle participe d’une mort rapide de la vie océanique avec, selon les perspectives scientifiques, la disparition de tous les poissons à l’horizon 2040, voilà que des plus gros animaux comme les dauphins deviennent également les victimes de ce mode de développement.
C’est là clairement un saut terrible dans la destruction. Rappelons par ailleurs ici ce qui relève d’une omerta, alors que la chose est bien établi. Ces animaux se repérant grâce à leurs sonars sont soumis à une déstabilisation spatiale à cause de l’exploitation pétrolière, les sonars militaires ou encore les les chantiers de bords de mer.
Rien n’est fait pour autant. L’anthropocentrisme est ici d’une froideur complète. S’il y avait une opinion démocratique pour se saisir du sujet, la chose serait entendue depuis longtemps, mais il règne une indifférence générale. Alors que l’on sait, rien n’est fait.
Et il en va donc de même pour la pêche. Peut-on parler sérieusement de victimes « accidentelles » de la pêche lorsque la France est le sixième pays dans le monde pour sa consommation de poisson par habitant ?
Les Français mangent en moyenne près de 37,7kg de poisson par an contre 17kg en moyenne dans le monde. De 18 kg par an en 1961, la consommation française s’élevait en 2005 à 35,2 kg. Et cela ne va pas aller en diminuant, avec une progression de 2 % par an en Europe.
L’aquaculture est d’ailleurs devenu une méthode économique de très grande ampleur. Rappelons ici le paradoxe que Jean-Luc Mélenchon a été célébré pour avoir mangé du quinoa, alors que c’est un soutien assumé à l’aquaculture, qu’il aimerait généraliser !
L’aquaculture est d’ailleurs une monstruosité issue de la pêche, et qui ne s’en détache pas. Pour « produire » « 1 kilo » de poisson d’élevage, il faut les nourrir de « 3 à 5 kg » de poissons sauvages, capturés donc dans les océans.
On a donc là à faire à un véritable écocide, engendré par une pêche devenue industrielle à l’échelle planétaire, porté par un capitalisme terriblement exigeant sur le plan des bénéfices, enfermant l’humanité dans un anthropocentrisme meurtrier.
Il est temps que l’Humanité se saisisse de cette question et soulignons le fait que, peut-être, le drame des dauphins échoués peut permettre à certains la possibilité historique de se saisir de cet arrière-plan et de contribuer au changement.
Cela ne veut pas dire qu’il faille sauver la planète parce qu’il serait « moche » de ne plus avoir d’ici 20 ans aucun lion, aucun éléphant, aucune girafe, aucun dauphin, à part dans des zoos. Cela veut dire simplement qu’il faut bien des déclics et que les mobilisations, pour être populaire, doivent s’appuyer sur des leviers concrets.
Et, au-delà de cela, c’est un rappel que l’Océan, ce thème primordial par excellence pour la vie de la planète, est encore et toujours négligé, oublié, alors qu’un accent fondamental devrait être porté dessus.