Procès des antispécistes de Lille : Candide face aux juges

Il y a un conte philosophique très connu de Voltaire, que beaucoup d’élèves ont eu à lire pour le bac français : Candide. Le personnage éponyme découvre que le monde est beaucoup plus compliqué qu’il ne le pensait et sa naïveté est ainsi remise en cause lors de son périple à travers le monde.

Mardi 19 mars 2019, lors du procès se tenant à Lille, on a eu droit à des Candide modernes. Il s’agissait en effet du procès de quatre activistes pour dégradations et violences aggravées, dans le cadre de la fameuse campagne « stop spécisme ».

Les personnes concernées sont trois femmes et un homme, âgé de 29, 39, 33 et 23 ans. Le procureur a demandé respectivement quinze mois de prison dont neuf avec sursis, deux fois six mois avec sursis, et dix-huit mois de prison dont huit avec sursis. Le tribunal donnera sa décision dans deux semaines.

Rappelons que cette campagne « stop spécisme », marquée surtout par des vitrines de boucheries ou de restaurants brisées, avait attiré l’attention de toute l’opinion publique. Qu’on le veuille ou non, toutes les personnes véganes se sont retrouvées « impliquées » d’une manière ou d’une autre et ont dû prendre position dans leur entourage par rapport à cela.

Ce premier procès concernant des gens mêlés à cette campagne était donc d’une importance capitale. L’impact sur la situation du véganisme en France allait être décisive.

Il y avait en effet plusieurs possibilités :

– les activistes assument leur action de manière collective et appellent à participer à une processus révolutionnaire, jusqu’à la victoire ;

– les activistes se dissocient de leurs actions, tout se réduisant à un épisode individuel, un accident dans un parcours personnel ;

– les activistes deviennent des renégats, se repentant pour leurs actes, faisant acte de contrition.

Mais même en raisonnant ainsi, on était déjà au-delà de ce que les « antispécistes » pouvaient représenter. Insultant plusieurs décennies d’engagement dans la libération animale, qu’ils ont toisé de leur mépris hautain et arrogant, ils se sont littéralement écrasés eux-mêmes face au tribunal en révélant qu’ils ne pouvaient rien assumer, rien porter, que tout cela était bien trop lourd pour eux.

Pourtant le tribunal avait été incroyablement sympathique, car il a fait venir un essayiste exposant ce qu’est l’antispécisme, et a même donné la parole à la militante « antispéciste » suisse Virginia Markus. C’était un incroyable cadeau dont il aurait été possible de profiter. Les « antispécistes » avaient un boulevard pour exposer leurs idées, revendiquer leur engagement, publier un manifeste antispéciste qui aurait été forcément largement diffusé, faire du tribunal une véritable tribune, etc.

Quand on est révolutionnaire, cela fait partie du b-a-BA de l’attitude lors des procès. Mais les « antispécistes » ne sont pas des révolutionnaires, ce sont des individus qui ont considéré que ce qui se passait dans leur environnement n’était pas correct. Cela ne va pas plus loin.

Prenons par exemple l’incendie du Burger King de Marcq en Baroeul. Eh bien l’une des personnes poursuivies a benoîtement expliquée : « L’idée vient de moi ». Comment peut-on être assez stupide pour casser la définition politique d’un acte et la résumer à un choix individuel, pour en plus s’auto-accuser ?

Une personne a fait également dix jours de grève de la faim en prison. Pourquoi ? Avec quelles revendications ? On ne le sait pas. Il n’y a aucune conscience politique, tout est dans l’immédiat et on ne sera pas étonné que la même personne, au procès, a affirmé :

« Je militerai autrement. J’exprime des remords. Je ne recommencerai pas. »

Toute la France regarde, et voilà ce qui est dit.

Très concrètement, notons également l’erreur fondamentale qui a joué pour leur arrestation. En utilisant de manière régulière deux voitures, elles ont été faciles à repérer. Même si on ne sait pas comment cela s’est déroulé dans l’enquête, on peut se douter que la police a pu procéder par recoupement. Il suffisait de regarder ce que disait la vidéosurveillance disponible et de voir quelles voitures étaient présentes à chaque fois.

Une autre erreur a été… d’éteindre en même temps les téléphones portables juste avant l’action ! On est là dans une très grande naïveté et effectivement, cette candeur est générale. Ces « antispécistes » sont en fait tout à fait conformes à l’image que nous avons de notre côté donné aux antispécistes : coupés de tout patrimoine historique du véganisme, velléitaires tout en s’imaginant faire quelque chose de formidable, sincères mais en même temps ne dépassant pas leur petit horizon individuel.

Les ennemis en ont tout à fait conscience. A l’extérieur du procès, Damien Legrand, avocat du Syndicat des bouchers du Nord (partie civile dans le procès), a cherché lui à faire monter la pression, tout comme Laurent Rigaud, le président du syndicat des bouchers du Nord. Eux ont bien conscience des enjeux et les propos de Laurent Rigaud appellent directement à élever le niveau de confrontation, avec une bonne dose de paranoïa et d’agressivité militarisée :

« Nous avons fait le choix, avec la fédération des bouchers, de nous mettre en première ligne, d’aller au contact. Nous ne voulons pas courber l’échine face à ces violences. Nous n’avons pas peur de ces militants mais nous craignons une réaction de nos collègues. Nous sommes pour la plupart des chasseurs, imaginez qu’un collègue sorte à la fenêtre avec son fusil car il voit son habitation être incendiée… »

On voit le problème : avec les « antispécistes », on n’a rien gagné, mais par contre l’ennemi a élevé son niveau de cohérence, de motivation, de compréhension des enjeux

Le tribunal n’a évidemment pas fait que des cadeaux non plus. On a ainsi eu des commerçants qui ont cherché à faire pleurer Madeleine lors du procès. Un tenant de restaurant s’était endetté pour tout rénover, il voulait même proposer un burger végétal… Un autre est déçu du fait qu’il a moins de clients, etc.

C’est donc un ratage complet, sur toute la ligne. Il aurait fallu politiser le procès de manière collective, même pour dire que la campagne « stop spécisme » était une erreur, mais une erreur inévitable historiquement (ce que nous ne pensons pas, c’était une erreur tout à fait évitable si la prétention des « antispécistes » avait été moins grande)

Il y aurait pu y avoir une remise de ce procès dans son « contexte » historique et une campagne d’amnistie en faveur des « utopistes » qui se sont trompés de chemin, mais dont l’exigence a un sens. Cela n’a pas été le cas.