Être straight edge, c’est une discipline. Celle du corps et de l’esprit, suivant l’adage mens sana in corpore sano, un esprit sain dans un corps sain. C’est une philosophie de la vie, au sens où ce que l’on fait est décidé ou non en fonction de règles bien précises, qu’on applique soigneusement.
Beaucoup de straight edge sont d’ailleurs des gens qui ont été déboussolés dans leur vie à un moment, qui n’avaient plus aucun repères, basculant dans une vie quotidienne de drogues, d’alcool, de promiscuité sexuelle. Ils ont considéré à un moment que cette survie au jour le jour était insupportable et ils se sont arrachés à cela.
Finies les drogues, fini l’alcool, finis les rapports sexuels hors du cadre bien normé du couple. Parce que sinon, on n’aboutit à rien à part à s’auto-humilier et à faire semblant de vivre alors qu’on ne fait qu’accumuler des choses sans intérêt où, en plus, on perd à chaque fois un peu de soi-même.
Et plus on est allé loin dans la destruction physique ou la déchéance morale, plus on a besoin d’une coupure franche. Et même, étant donné qu’on vit dans une société du libéralisme culturel, où rien ne se construit et tout se déconstruit, alors on ne peut pas faire les choses à moitié. Il faut couper court à toute décadence.
C’est en cela que la mentalité straight edge, résolument stricte, est un point d’appui fondamental. Grâce à la méthode straight edge, qui signifie zéro tolérance avec ses propres faiblesses, on surmonte une situation insupportable. On construit des choses dans sa vie et ce sur le long terme. D’ailleurs, tous les gens qui construisent quelque chose dans leur vie sont straight edge sans le savoir.
Tous les gens qui construisent quelque chose sur le long terme y parviennent, car ils sont loyaux. Sans loyauté à ce qui est réel, concret, sensible… on tombe du côté du choix et là on commence à faire n’importe quoi, en croyant « choisir » alors qu’on est porté par une frénésie de consommation et une orgie d’egotrip.
Dire qu’on est straight edge, c’est savoir qu’on est faillible, et donc se mettre des garde-fous, en sachant qu’il faudra se plier soi-même à ces règles. On sait évidemment que le fait d’accepter des normes est plus que mal vu dans une société libérale… Mais il n’y a pas le choix et d’ailleurs ces règles exprime la normalité.
Car il y a des choses qui sont normales et ces choses normales sont bonnes, elles sont déterminées par la Nature. Rien de plus affreux à affronter comme idée lorsqu’on est formaté par une société affirmant la toute-puissance du « choix personnel » !
En ce sens, être straight edge n’est pas un choix, c’est une obligation naturelle. Beaucoup de gens l’acceptent et s’en portent justement bien. Quand on ne boit pas, quand on ne prend pas de drogues, quand on s’établit dans un couple, on est straight edge. Rien de plus normal au final! Au sens strict, rien de plus naturel que ne pas basculer dans les paradis artificiels et ses fuites en avant.
Pourquoi le straight edge, alors ? C’est simplement malheureusement que la société où l’on vit empêche de pouvoir le faire de manière tranquille. Parce que la société veut que l’on consomme tout, y compris les rapports humains, y compris soi-même.
Avec le straight edge, on dit stop! Et on pare les coups à venir. Et c’est nécessaire. La moindre faiblesse est traquée, pourchassée, éliminée. On se force à triompher sur soi-même, pour pouvoir être soi-même. Être straight edge, c’est pouvoir être soi-même, en étant soi-même, un soi-même qui se protège d’un environnement néfaste malheureusement dans les conditions actuelles.
Le straight edge est donc bien une fin en soi. Ce n’est pas un moyen, un levier, un outil pour simplement sortir de quelque chose ou bien en fonction d’un objectif. Ce n’est pas un savant calcul où l’on dit qu’on ferait mieux d’être straight edge pour telle ou telle raison. La mentalité straight edge, ce n’est pas celle du médecin ou du pompier qui se dit qu’il a des responsabilités dans plusieurs heures et ne peut pas ne pas avoir l’esprit clair à ce moment-là.
La mentalité straight edge, c’est simplement être soi-même et le rester. C’est un état d’esprit où l’on est conscient de ce qu’on fait, des phénomènes qui nous entourent, et où on dit non à la dépendance. C’est un processus ininterrompu.
Le groupe Earth Crisis, dans sa chanson « Discipline » qui rappelle la définition du straight edge, a trouvé les mots justes, avec un certain sens de la formule :
« Straight edge – la discipline. La clef de la libération de soi est l’abstinence de l’évasion destructrice par l’intoxication. (…) Par mon refus de prendre part je me suis sauvé. L’abstinence a été le commencement. Ce qui est important est ce qui est fait avec la liberté, pas à pas je surmonte. Seul je grimpe les escaliers de l’édification. »
Le straight edge se rattache ainsi à de nombreuses philosophies du passé, comme l’épicurisme ou le stoïcisme, avec leur sens de la sobriété, de la préservation de l’intégrité psychologique, de l’abstinence de ce qui embarque dans des choses négatives.
Aller quelque part sans réfléchir à ce que cela signifie ? Consommer quelque chose sans savoir ce que cela signifie ? Ce n’est pas straight edge. C’est exactement la raison pour laquelle le straighr edge s’est très rapidement ouvert au végétarisme, puis au véganisme. C’était juste un regard strict porté sur quelque chose : le clip « No more » de Youth of Today le résume parfaitement.
Être straight edge, c’est se désengager, pour soi, et également pour les autres en témoignant de l’importance de la vie menée naturellement. C’est un état d’esprit concernant tous les actes du quotidien et certains diront que cela se passe sur le même plan que la religion, mais de manière athée. C’est tout à fait vrai et d’ailleurs Jeff Nelson, l’un des principaux membres du groupe Minor Threat (à l’origine des mots « straight edge ») a ainsi pu dire :
« Le straight edge est devenu une religion. C’est un sentiment très étrange d’être l’un des fondateurs involontaires de cette religion. »
Le straight edge, c’est une religion qui n’en est pas une, mais qui pose pareillement des exigences de normes, de valeur, mais pas pour l’au-delà : pour la vie réelle, sensible !