Straight edge pour faire face à la multiplication des dépendances

Lorsque le mouvement straight edge est apparu aux États-Unis dans la scène punk au début des années 1980, trois dépendances étaient visées : l’alcool, les drogues, le fait de coucher avec n’importe qui. C’était cela les paroles du premier groupe de musique portant la culture straight edge, Minor Threat.

Quarante ans après, on peut voir qu’avec le développement de la société de consommation, le nombre de dépendances et leur intensité a explosé. Il y a les jeux d’argent, les réseaux sociaux, la pornographie, les séries, des activités sportives intenses, les jeux vidéos sur console, la voiture, le smartphone, les combats pratiquement sans règles sur les rings, les jeux pour tablette ou smartphone à la Candy crush…

Le nombre de choses où les gens restent « scotchés » est devenu tellement important que la dépendance peut même éventuellement changer de forme, pas de contenu : hier on traînait sur Facebook, aujourd’hui sur Instagram. On regarde Netflix, demain cela sera un autre service.

Car consommer implique de consommer même ce qu’on consomme. C’est la hantise d’Apple que de passer de mode, et qui pourtant n’échappera pas à cette loi du turbocapitalisme. Tout doit être consommé rapidement et efficacement, toujours renouvelé. Hier on appelait cela les modes, aujourd’hui on appelle cela les tendances.

Il est inutile de préciser que le véganisme est devenu lui-même une telle tendance et qu’il a déjà épuisé son quota de crédibilité sur le plan de la consommation. Il y aura quelques restes, car les gens continueront de passer d’une chose à une autre, du non-véganisme au véganisme, puis à autre chose. Mais ce n’est déjà plus une vraie tendance, à part pour les médias pour racler des dernières possibilités de buzz ou d’articles.

C’est bien la preuve qu’il y a tout intérêt pour les personnes véganes à s’intéresser à la culture straight edge. Bien sûr, elle non plus n’échappe à la tyrannie de la consommation et il en existe bien des versions édulcorées, surtout en ce qui concerne le refus de coucher avec n’importe qui, même avec un prétendu « respect ».

Toutefois le principe authentiquement straight edge du désengagement par rapport à toute dépendance est incontournable pour qui cherche à décrocher des valeurs dominantes. Une personne végane accro au simili-carné, c’est une personne encore accro au carné dont le simili-carné n’est qu’un ersatz. C’est un problème.

On pourrait résumer tout cela en disant que le mouvement straight edge est la rencontre fructueuse des valeurs punk et hippie. Ce n’est pas pour rien que des membres de l’un des principaux groupes du straight edge, Youth of today, qui a par ailleurs introduit le végétarisme dans le straight edge, sont passés chez les Hare Krishna. Nul besoin d’aller aussi loin dans l’illusion spirituelle (ou la dérive sectaire), mais en tout cas l’exigence culturelle doit être aussi profonde, aussi dense.

C’est ce qui fait d’ailleurs que les Hare Krishna, même s’ils ne sont pas vegans, auront plus d’intérêt que des antispécistes habillés en noir et broyant du noir ou des straight edge résumant le refus de la dépendance à une simple « protection » individuelle.

Car les dépendances ne sont pas des abstractions, mais une réalité culturelle. Et qui produit cette culture ? Une société qui vise la consommation superficielle et n’éprouve aucun intérêt pour les choses profondes, que ce soit dans les domaines de la sensibilité ou des arts.

Croire qu’une telle société puisse devenir vegan, dans les conditions actuelles, est une illusion complète. Il faut d’abord que les gens décrochent, qu’ils se désintoxiquent.

Et moins ils le font, plus la société a des valeurs pourries, corrompues, exigeant une véritable tempête de feu, pour paraphraser le troisième grand groupe de musique straight edge, Earth Crisis.

On vit dans une société totalement bloquée. Alors, où sont les jeunes portant une culture alternative, du niveau de mai 1968 ou des hippies américains, des squatters allemands des années 1980 ou des punks anglais ? Les raisons de rompre avec les valeurs de la société ne sont-elles pas mille fois plus nombreuses ?

Malheureusement, comme on le sait, les contre-sociétés existantes en France ne sont que religieuses. Des dizaines de milliers de gens, voire des centaines de milliers de gens se sont réfugiés dans la dépendance, se précipitant dans un profond infantilisme. Ces contre-sociétés sont elles-mêmes le reflet de la société : elles sont fades, formelles, sans utopie. Les religions ne donnent que des images en noir et blanc.

Or, ce qu’il nous faut, c’est de la couleur, c’est d’être gai comme la vie. Et la vie est riche, car elle n’a pas de dépendance à des choses qui n’ont aucun rapport avec elle. On en est au point où on se demanderait comment feraient les gens pour vivre si internet était coupé pendant une semaine. Comme s’ils vivaient vraiment !

Aussi y a-t-il tout intérêt d’adopter la philosophie straight edge, qui se résume à un principe simple : pas d’intoxication physique ou mentale par des choses répétitives et encore moins si elles sont impulsées par des industries en tirant du profit.

C’est avec cela qu’on libère sa psychologie et c’est précisément pour cette raison que les straight edge se sont tournés vers le végétarisme, puis le véganisme. Ils se sont demandés : qu’est-ce que je fais de manière mécanique, sans réfléchir, de manière imposée sans même que je le remarque.

Le jour où la société commencera une telle remise en question raisonnable et exigeante, alors l’horizon de la libération commencera à être visible.